Par Stéphane Foucart
Enquête .
Maintes fois démontées depuis leur émergence au XIXᵉ siècle, les thèses d’une inégalité génétique entre les populations humaines – dont s’inspirent notamment des auteurs de crimes racistes – refont surface à la faveur de publications scientifiques autour des études du génome.
Payton Gendron avait d’excellentes lectures. Il les a consignées dans le manifeste qu’il a posté sur Internet, le 14 mai 2022, avant de parcourir les 320 kilomètres séparant son domicile de la ville de Buffalo. Là, dans un supermarché, il a abattu dix personnes afro-américaines à l’arme automatique. Le jeune homme de 18 ans ne s’était pas seulement radicalisé à la lecture des exégèses du « grand remplacement » de Renaud Camus ou de la blogosphère suprémaciste : tout au long des 180 pages, souvent délirantes, de son testament raciste, apparaissent des références puisées dans des revues scientifiques, parfois parmi les plus prestigieuses.
Dans son texte, Payton Gendron rassemble d’abord des statistiques pointant la surreprésentation des Afro-Américains parmi les auteurs de crimes et de délits aux Etats-Unis, leur moindre réussite scolaire ou leurs scores plus faibles aux tests de quotient intellectuel (QI) que les Blancs. Son interprétation ? Rien à voir avec le déclassement social et économique, les inégalités territoriales et environnementales, l’héritage du déracinement culturel et de trois siècles d’esclavage. Tout, écrit-il, est affaire de gènes : les humains à peau sombre n’auraient pas les bons. Et personne n’y peut rien.
C’est « la science » qui en atteste. Une « science » qui est d’abord, dans l’esprit du tueur, un galimatias de travaux marginaux et de piètre qualité, parfois ouvertement racistes et publiés par des revues de seconde zone. Mais dans les références de Payton Gendron surgissent également des travaux de référence conduits par des consortiums de chercheurs internationaux et publiés dans des journaux prestigieux et influents. Parmi eux, deux analyses génomiques respectivement publiées en 2011 et 2018 dans Molecular Psychiatry et Nature Genetics : pour elles, des traits aussi complexes que l’intelligence et la réussite scolaire sont inscrits, pour une part substantielle, dans nos gènes.
Mille fois réfuté, l’héréditarisme semble toujours revenir hanter les sciences de la vie. Depuis sa naissance au XIXe siècle, la biologie moderne voit sans cesse renaître l’idée selon laquelle ceux qui jouissent de la meilleure destinée sociale et économique sont ceux qui ont les « meilleurs gènes ». Une idée dont « il ressort invariablement que l’infériorité des groupes opprimés et désavantagés – races, classes ou sexes – est innée, et qu’ils méritent leur statut », écrivait, en 1981, le biologiste Stephen Jay Gould, de l’université Harvard, dans un livre devenu un classique (La Mal-Mesure de l’homme, Ramsay, 1983). Aujourd’hui, on ne cherche plus comme au XIXe siècle les marques héréditaires de l’intelligence ou du comportement antisocial dans la taille et la forme du crâne, ou la longueur du troisième orteil : les nouvelles technologies de séquençage du génome, la disponibilité des séquences d’ADN de millions d’individus et les immenses capacités de calcul de l’informatique offrent un nouveau terrain de jeu.
La question de l’hérédité
De nombreux biologistes s’inquiètent ainsi que leur discipline soit, comme elle le fut au cours des deux derniers siècles, instrumentalisée à des fins politiques funestes. Au lendemain de la tuerie de Buffalo, Lior Pachter, professeur de biologie computationnelle au California Institute of Technology (Caltech), remarque, dans le manifeste de Gendron, la référence à l’analyse génomique de 2018, publiée par Nature Genetics. Les scientifiques, déclare-t-il sur Twitter, ont la responsabilité de « ne pas diffuser de manière irréfléchie et irresponsable des munitions idéologiques pour soutenir des croyances tordues ». Il lui est aussitôt objecté qu’il souhaite « censurer » la recherche.
L’objection du chercheur américain va cependant bien au-delà de considérations sur l’éthique de la communication scientifique. Bien que publiés dans une revue majeure, ces travaux « n’ont aucune valeur scientifique et ne servent que de matériel de manipulation », ajoute-t-il. Un point de vue qui peut sembler radical pour le béotien, mais qui reflète celui de nombreux généticiens et épidémiologistes.
Pour comprendre, il faut entrer dans le détail de la controverse. La question de l’hérédité est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Certains traits tels que la stature, la complexion, le groupe sanguin et d’autres sont bien sûr fortement héritables : nul ne le conteste. De même que certains facteurs génétiques sont indubitablement des causes de maladies. Des mutations sur les gènes suppresseurs de tumeur BRCA1 ou BRCA2 jouent un rôle essentiel dans certaines formes de cancer du sein, par exemple. La mucoviscidose, le syndrome de l’X fragile ou la maladie de Huntington : toutes sont des pathologies causées par un défaut sur un gène – on parle alors de maladies « monogéniques ».
Les travaux cherchant des causes génétiques à des maladies multifactorielles ou des traits sociaux complexes comme la réussite scolaire, l’intelligence, les préférences sexuelles, les choix politiques ou les orientations idéologiques reposent sur des principes tout autres. Il s’agit de rechercher au sein d’une population des différences statistiques sur l’ensemble du génome des individus, en tentant d’identifier les marqueurs plus probablement présents chez certaines personnes (par exemple ceux qui ont fait des études longues) que chez les autres.
Score génétique
Ces analyses sont appelées « études d’association pangénomiques » (GWAS, pour Genome-Wide Association Studies) et permettent de calculer un « score polygénique » pour chaque individu, par comparaison avec la population étudiée, estimant sa prédisposition plus ou moins forte à un QI élevé, à la réussite scolaire, sa susceptibilité aux drogues, à la maladie de Parkinson, etc.
Premier problème, « les “scores polygéniques” ne donnent pas d’explication causale », détaille l’épidémiologiste John Ioannidis, de l’université Stanford, dont le travail sur la qualité des résultats de la recherche en sciences biomédicales est mondialement réputé. « Cela signifie, précise-t-il, que les variants génétiques identifiés ne sont pas nécessairement à l’origine du comportement, de l’aptitude ou de la maladie étudiée, ils n’en sont que des marqueurs. » En d’autres termes, si l’on imagine une société où les enfants aux yeux bleus n’auraient pas le droit d’aller à l’école, les facteurs génétiques caractéristiques de ces enfants seraient identifiés par ce type d’études comme statistiquement associés à l’illettrisme, à la propension à divaguer dans les rues, à la délinquance, etc.
« Ces “scores polygéniques” reposent sur des hypothèses totalement erronées, affirme la généticienne et mathématicienne Françoise Clerget-Darpoux, directrice de recherche émérite à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Leur présupposé est que le génome s’exprime indépendamment de l’environnement, or nous savons avec certitude que cela est faux. Les facteurs génétiques et environnementaux sont en interaction permanente. »
Le fait est connu depuis des décennies. De la conception d’un humain jusqu’à sa mort, l’environnement au sens large – l’alimentation, le stress, l’environnement social et culturel, les expositions à des agents pathogènes chimiques ou naturels, l’éducation, etc. – contribue à réguler le fonctionnement et l’expression de ses gènes. La condition sociale, en somme, s’imprime profondément dans la construction et la vie biologiques des individus.
L’existence de « bons » et de « mauvais » profils génétiques est au cœur de fortes tensions dans la communauté scientifique. Et ce d’autant plus que le contexte politique, notamment aux Etats-Unis, est propice à toutes les récupérations. Le 18 septembre 2020, au cours d’un meeting de campagne à Bemidji (Minnesota), le président Donald Trump s’adressait à ses partisans : « Vous avez de bons gènes, vous le savez, n’est-ce pas ? C’est en grande partie une question de gènes, n’est-ce pas ? C’est la théorie du cheval de course : vous pensez qu’on est si différents ? Vous avez de bons gènes dans le Minnesota ! » La presse américaine n’a pas manqué de noter que la harangue de Donald Trump s’adressait à une foule presque exclusivement blanche.
Le séquençage de l’ADN et ses promesses
La principale société savante rassemblant les chercheurs en génétique humaine ne s’y est pas trompée non plus. Moins d’une semaine après le discours de Donald Trump, l’American Society of Human Genetics (ASHG) publiait une déclaration à propos « de récents commentaires sur le rôle de la génétique dans la société ». « La génétique montre que les humains ne peuvent être divisés en sous-catégories ou races biologiquement distinctes, et que toute affirmation d’une supériorité en fonction d’une ascendance génétique ne repose sur aucune preuve scientifique, explique la société savante dans une déclaration du 24 septembre 2020. De plus, il est inexact de prétendre que la génétique est un facteur déterminant dans les aptitudes humaines, lorsque l’éducation, l’environnement, le statut social et l’accès à la santé sont souvent des facteurs plus importants. Il n’y a aucune base factuelle dans les tentatives de définir des “bons” ou des “mauvais” gènes, et un siècle de science a démenti les idéologies racistes. »
En dépit de ce consensus qui prévaut chez les spécialistes de génétique humaine, des centaines d’études, parfois publiées dans les plus prestigieuses revues, se livrent, au contraire, à la recherche des « bons » et des « mauvais » ensembles de gènes, pour tout ce qui touche à la cognition, à la capacité à étudier, aux comportements antisociaux, etc.
Pour comprendre ce paradoxe, il faut revenir au tournant du siècle et aux espoirs ouverts par le séquençage du génome. Ce sont les promesses de voir l’ADN humain receler les causes moléculaires de nombreuses maladies – et donc leurs traitements potentiels – qui ont suscité des investissements considérables dans ces études d’association pangénomiques, ces fameuses GWAS. Le 26 juin 2000, au cours de la conférence de presse annonçant la fin du séquençage du génome humain, le généticien américain Francis Collins, directeur des National Institutes of Health (NIH) et l’une des personnalités les plus influentes de la recherche biomédicale, déclarait : « A plus long terme, peut-être dans quinze ou vingt ans, vous assisterez à une transformation complète de la médecine thérapeutique. »
Près d’un quart de siècle plus tard, des thérapies géniques ont vu le jour pour traiter certaines maladies monogéniques, mais la révolution promise par Francis Collins n’a pas eu lieu. Néanmoins, les GWAS profitent encore de cette croyance forte que notre ADN est un eldorado qui recèle de nombreux trésors, dont des réponses à une variété de questions sociales. « Le séquençage du génome humain a suscité beaucoup d’attentes et de nombreux postes de direction dans le monde scientifique ont été obtenus par des personnes convaincues que c’était la voie à suivre pour réaliser des progrès scientifiques, explique John Ioannidis. Cet énorme investissement n’a malheureusement pas permis de faire une grande différence pour les gens et les patients. Mais, aujourd’hui, les agences de financement de la recherche n’arrivent pas à cesser de verser de l’argent dans ce tonneau des Danaïdes et les scientifiques travaillant sur ce thème ne peuvent pas changer de métier pour faire autre chose ! »
Enquête .
Maintes fois démontées depuis leur émergence au XIXᵉ siècle, les thèses d’une inégalité génétique entre les populations humaines – dont s’inspirent notamment des auteurs de crimes racistes – refont surface à la faveur de publications scientifiques autour des études du génome.
Payton Gendron avait d’excellentes lectures. Il les a consignées dans le manifeste qu’il a posté sur Internet, le 14 mai 2022, avant de parcourir les 320 kilomètres séparant son domicile de la ville de Buffalo. Là, dans un supermarché, il a abattu dix personnes afro-américaines à l’arme automatique. Le jeune homme de 18 ans ne s’était pas seulement radicalisé à la lecture des exégèses du « grand remplacement » de Renaud Camus ou de la blogosphère suprémaciste : tout au long des 180 pages, souvent délirantes, de son testament raciste, apparaissent des références puisées dans des revues scientifiques, parfois parmi les plus prestigieuses.
Dans son texte, Payton Gendron rassemble d’abord des statistiques pointant la surreprésentation des Afro-Américains parmi les auteurs de crimes et de délits aux Etats-Unis, leur moindre réussite scolaire ou leurs scores plus faibles aux tests de quotient intellectuel (QI) que les Blancs. Son interprétation ? Rien à voir avec le déclassement social et économique, les inégalités territoriales et environnementales, l’héritage du déracinement culturel et de trois siècles d’esclavage. Tout, écrit-il, est affaire de gènes : les humains à peau sombre n’auraient pas les bons. Et personne n’y peut rien.
C’est « la science » qui en atteste. Une « science » qui est d’abord, dans l’esprit du tueur, un galimatias de travaux marginaux et de piètre qualité, parfois ouvertement racistes et publiés par des revues de seconde zone. Mais dans les références de Payton Gendron surgissent également des travaux de référence conduits par des consortiums de chercheurs internationaux et publiés dans des journaux prestigieux et influents. Parmi eux, deux analyses génomiques respectivement publiées en 2011 et 2018 dans Molecular Psychiatry et Nature Genetics : pour elles, des traits aussi complexes que l’intelligence et la réussite scolaire sont inscrits, pour une part substantielle, dans nos gènes.
Mille fois réfuté, l’héréditarisme semble toujours revenir hanter les sciences de la vie. Depuis sa naissance au XIXe siècle, la biologie moderne voit sans cesse renaître l’idée selon laquelle ceux qui jouissent de la meilleure destinée sociale et économique sont ceux qui ont les « meilleurs gènes ». Une idée dont « il ressort invariablement que l’infériorité des groupes opprimés et désavantagés – races, classes ou sexes – est innée, et qu’ils méritent leur statut », écrivait, en 1981, le biologiste Stephen Jay Gould, de l’université Harvard, dans un livre devenu un classique (La Mal-Mesure de l’homme, Ramsay, 1983). Aujourd’hui, on ne cherche plus comme au XIXe siècle les marques héréditaires de l’intelligence ou du comportement antisocial dans la taille et la forme du crâne, ou la longueur du troisième orteil : les nouvelles technologies de séquençage du génome, la disponibilité des séquences d’ADN de millions d’individus et les immenses capacités de calcul de l’informatique offrent un nouveau terrain de jeu.
La question de l’hérédité
De nombreux biologistes s’inquiètent ainsi que leur discipline soit, comme elle le fut au cours des deux derniers siècles, instrumentalisée à des fins politiques funestes. Au lendemain de la tuerie de Buffalo, Lior Pachter, professeur de biologie computationnelle au California Institute of Technology (Caltech), remarque, dans le manifeste de Gendron, la référence à l’analyse génomique de 2018, publiée par Nature Genetics. Les scientifiques, déclare-t-il sur Twitter, ont la responsabilité de « ne pas diffuser de manière irréfléchie et irresponsable des munitions idéologiques pour soutenir des croyances tordues ». Il lui est aussitôt objecté qu’il souhaite « censurer » la recherche.
L’objection du chercheur américain va cependant bien au-delà de considérations sur l’éthique de la communication scientifique. Bien que publiés dans une revue majeure, ces travaux « n’ont aucune valeur scientifique et ne servent que de matériel de manipulation », ajoute-t-il. Un point de vue qui peut sembler radical pour le béotien, mais qui reflète celui de nombreux généticiens et épidémiologistes.
Pour comprendre, il faut entrer dans le détail de la controverse. La question de l’hérédité est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Certains traits tels que la stature, la complexion, le groupe sanguin et d’autres sont bien sûr fortement héritables : nul ne le conteste. De même que certains facteurs génétiques sont indubitablement des causes de maladies. Des mutations sur les gènes suppresseurs de tumeur BRCA1 ou BRCA2 jouent un rôle essentiel dans certaines formes de cancer du sein, par exemple. La mucoviscidose, le syndrome de l’X fragile ou la maladie de Huntington : toutes sont des pathologies causées par un défaut sur un gène – on parle alors de maladies « monogéniques ».
Les travaux cherchant des causes génétiques à des maladies multifactorielles ou des traits sociaux complexes comme la réussite scolaire, l’intelligence, les préférences sexuelles, les choix politiques ou les orientations idéologiques reposent sur des principes tout autres. Il s’agit de rechercher au sein d’une population des différences statistiques sur l’ensemble du génome des individus, en tentant d’identifier les marqueurs plus probablement présents chez certaines personnes (par exemple ceux qui ont fait des études longues) que chez les autres.
Score génétique
Ces analyses sont appelées « études d’association pangénomiques » (GWAS, pour Genome-Wide Association Studies) et permettent de calculer un « score polygénique » pour chaque individu, par comparaison avec la population étudiée, estimant sa prédisposition plus ou moins forte à un QI élevé, à la réussite scolaire, sa susceptibilité aux drogues, à la maladie de Parkinson, etc.
Premier problème, « les “scores polygéniques” ne donnent pas d’explication causale », détaille l’épidémiologiste John Ioannidis, de l’université Stanford, dont le travail sur la qualité des résultats de la recherche en sciences biomédicales est mondialement réputé. « Cela signifie, précise-t-il, que les variants génétiques identifiés ne sont pas nécessairement à l’origine du comportement, de l’aptitude ou de la maladie étudiée, ils n’en sont que des marqueurs. » En d’autres termes, si l’on imagine une société où les enfants aux yeux bleus n’auraient pas le droit d’aller à l’école, les facteurs génétiques caractéristiques de ces enfants seraient identifiés par ce type d’études comme statistiquement associés à l’illettrisme, à la propension à divaguer dans les rues, à la délinquance, etc.
« Ces “scores polygéniques” reposent sur des hypothèses totalement erronées, affirme la généticienne et mathématicienne Françoise Clerget-Darpoux, directrice de recherche émérite à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Leur présupposé est que le génome s’exprime indépendamment de l’environnement, or nous savons avec certitude que cela est faux. Les facteurs génétiques et environnementaux sont en interaction permanente. »
Le fait est connu depuis des décennies. De la conception d’un humain jusqu’à sa mort, l’environnement au sens large – l’alimentation, le stress, l’environnement social et culturel, les expositions à des agents pathogènes chimiques ou naturels, l’éducation, etc. – contribue à réguler le fonctionnement et l’expression de ses gènes. La condition sociale, en somme, s’imprime profondément dans la construction et la vie biologiques des individus.
L’existence de « bons » et de « mauvais » profils génétiques est au cœur de fortes tensions dans la communauté scientifique. Et ce d’autant plus que le contexte politique, notamment aux Etats-Unis, est propice à toutes les récupérations. Le 18 septembre 2020, au cours d’un meeting de campagne à Bemidji (Minnesota), le président Donald Trump s’adressait à ses partisans : « Vous avez de bons gènes, vous le savez, n’est-ce pas ? C’est en grande partie une question de gènes, n’est-ce pas ? C’est la théorie du cheval de course : vous pensez qu’on est si différents ? Vous avez de bons gènes dans le Minnesota ! » La presse américaine n’a pas manqué de noter que la harangue de Donald Trump s’adressait à une foule presque exclusivement blanche.
Le séquençage de l’ADN et ses promesses
La principale société savante rassemblant les chercheurs en génétique humaine ne s’y est pas trompée non plus. Moins d’une semaine après le discours de Donald Trump, l’American Society of Human Genetics (ASHG) publiait une déclaration à propos « de récents commentaires sur le rôle de la génétique dans la société ». « La génétique montre que les humains ne peuvent être divisés en sous-catégories ou races biologiquement distinctes, et que toute affirmation d’une supériorité en fonction d’une ascendance génétique ne repose sur aucune preuve scientifique, explique la société savante dans une déclaration du 24 septembre 2020. De plus, il est inexact de prétendre que la génétique est un facteur déterminant dans les aptitudes humaines, lorsque l’éducation, l’environnement, le statut social et l’accès à la santé sont souvent des facteurs plus importants. Il n’y a aucune base factuelle dans les tentatives de définir des “bons” ou des “mauvais” gènes, et un siècle de science a démenti les idéologies racistes. »
En dépit de ce consensus qui prévaut chez les spécialistes de génétique humaine, des centaines d’études, parfois publiées dans les plus prestigieuses revues, se livrent, au contraire, à la recherche des « bons » et des « mauvais » ensembles de gènes, pour tout ce qui touche à la cognition, à la capacité à étudier, aux comportements antisociaux, etc.
Pour comprendre ce paradoxe, il faut revenir au tournant du siècle et aux espoirs ouverts par le séquençage du génome. Ce sont les promesses de voir l’ADN humain receler les causes moléculaires de nombreuses maladies – et donc leurs traitements potentiels – qui ont suscité des investissements considérables dans ces études d’association pangénomiques, ces fameuses GWAS. Le 26 juin 2000, au cours de la conférence de presse annonçant la fin du séquençage du génome humain, le généticien américain Francis Collins, directeur des National Institutes of Health (NIH) et l’une des personnalités les plus influentes de la recherche biomédicale, déclarait : « A plus long terme, peut-être dans quinze ou vingt ans, vous assisterez à une transformation complète de la médecine thérapeutique. »
Près d’un quart de siècle plus tard, des thérapies géniques ont vu le jour pour traiter certaines maladies monogéniques, mais la révolution promise par Francis Collins n’a pas eu lieu. Néanmoins, les GWAS profitent encore de cette croyance forte que notre ADN est un eldorado qui recèle de nombreux trésors, dont des réponses à une variété de questions sociales. « Le séquençage du génome humain a suscité beaucoup d’attentes et de nombreux postes de direction dans le monde scientifique ont été obtenus par des personnes convaincues que c’était la voie à suivre pour réaliser des progrès scientifiques, explique John Ioannidis. Cet énorme investissement n’a malheureusement pas permis de faire une grande différence pour les gens et les patients. Mais, aujourd’hui, les agences de financement de la recherche n’arrivent pas à cesser de verser de l’argent dans ce tonneau des Danaïdes et les scientifiques travaillant sur ce thème ne peuvent pas changer de métier pour faire autre chose ! »
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