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Med Sci (Paris) Volume 35, Number 1, Janvier 2019 |
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46 - 54 | ||
M/S Revues | ||
https://doi.org/10.1051/medsci/2018308 | ||
23 January 2019 |
Med Sci (Paris) 2019 ; 35 : 46–54
L’ADN mitochondrial, un potentiel codant mésestimé
The underestimated coding potential of mitochondrial DNA
Annie Angers*, Philip Ouimet, Assia Tsyvian-Dzyabko, Tanya Nock et Sophie Breton
Département de sciences biologiques, université de Montréal, pavillon Marie-Victorin, faculté des arts et des sciences. CP 6128, succursale centre-ville, Montréal QC, H3C 3J7, Canada
*annie.angers@umontreal.ca
Résumé
Du génome bactérien de l’endosymbionte d’origine les mitochondries animales n’ont retenu que 13 séquences codant des polypeptides essentiels à la production d’ATP. La découverte de petits peptides d’origine mitochondriale vient remettre en question cette interprétation du génome des mitochondries et suggère que leur potentiel codant reste sous-estimé. L’humanine, MOTS-c, les SHLP et Gau sont des peptides dérivés de l’ADN mitochondrial dont l’existence a été démontrée expérimentalement et qui jouent des rôles importants dans la régulation de l’apoptose et du métabolisme cellulaire. Chez certains bivalves à transmission doublement uniparentale des mitochondries, des gènes codant des peptides additionnels ont été découverts et pourraient être impliqués dans la détermination du sexe de ces animaux.
Abstract
Mitochondria are ancient organelles that emerged from the endosymbiosis of free-living proto-bacteria. They still retain a semi-autonomous genetic system with a small genome. Mitochondrial DNA (mtDNA) codes for 13 essential proteins for the production of ATP, the sequences of which are relatively conserved across Metazoans. The discovery of additional mitochondria-derived peptides (MDPs) indicates an underestimated coding potential. Humanin, an anti-apoptotic peptide, is likely independently transcribed from within the 16S rRNA gene, as are recently described SHLPs. MOTS-c, discovered in silico, has been demonstrated to be involved in metabolism and insulin sensitivity. Gau, is a positionally conserved open reading frame (ORF) sequence found in the antisense strand of the COX1 gene and its corresponding peptide is strictly colocalized with mitochondrial markers. In bivalves with doubly uniparental inheritance of mtDNA, male and female mtDNAs each carry a separate additional gene possibly involved in sex determination. Other MDPs likely exist and their investigation will shed light on the underestimated functional repertoire of mitochondria.
© 2019 médecine/sciences – Inserm
https://www.medecinesciences.org/art...80215-img1.jpg
Vignette (Photo © Manuel Rojo).
Le génome mitochondrial
L’établissement de la relation endosymbiotique entre une cellule eucaryote primitive et une α-protéobactérie1 aérobie est à l’origine des mitochondries modernes. Cette relation a permis de compartimenter les réactions de conversion d’énergie de la phosphorylation oxydative (ou PhosOx), et a assuré le succès évolutif des eucaryotes [1]. Au fil d’approximativement deux milliards d’années d’évolution, une relation toujours plus étroite entre les organismes symbiotiques s’est établie. La plupart des gènes de la bactérie primitive ont été perdus ou transférés au génome nucléaire de la cellule eucaryote, mais les mitochondries conservent un génome restreint (l’ADN mitochondrial ou ADNmt), codant des protéines essentielles à la production d’ATP par la voie PhosOx et la capacité de produire localement ces protéines. Cette évolution s’étant effectuée en parallèle, au fil de la séparation des lignées évolutives, les génomes mitochondriaux peuvent être fort divergents selon les groupes taxonomiques (Figure 1).
Ainsi, le nombre de protéines codées par le génome mitochondrial varie grandement selon les espèces, allant de seulement trois séquences codant des protéines chez le protozoaire Plasmodium, à plus d’une soixantaine chez certains flagellés [2]. Les ARNm correspondants sont traduits à l’intérieur de la mitochondrie, mais la plupart des facteurs essentiels à la transcription et à la traduction du génome mitochondrial sont importés du cytoplasme [1]. Malgré cette grande variabilité en nombre, les séquences codant certaines protéines fondamentales sont conservées dans la plupart des génomes mitochondriaux. À l’échelle des métazoaires, dont l’homme, le génome mitochondrial conserve approximativement le même contenu, c’est-à-dire 13 séquences codant des protéines, 2 codant des ARN ribosomaux (ARNr) (12S et 16S) et 22 des ARN de transfert (ARNt) [3] (Figure 1).
Jusqu’à relativement récemment, on considérait que cette poignée de gènes constituait la totalité du génome mitochondrial animal. Toutefois, il s’avère que le plein potentiel codant des mitochondries reste à découvrir [4–6] (→).
→ Voir la Nouvelle de S. Breton et H. Doucet Beaupré, m/s n° 11, novembre 2007, page 1038
Par exemple, certaines espèces de méduses et d’éponges possèdent un intron mitochondrial contenant une endonucléase [5]. Des séquences formant des cadres de lecture ouverts (ORF) codant des protéines, au rôle toujours incompris, ont par ailleurs été trouvées dans les génomes mitochondriaux de plusieurs espèces de bivalves, et semblent être associées à la détermination du sexe chez ces animaux [7–9]. Même les mitochondries humaines renferment des gènes supplémentaires [4, 10], certains cachés à l’intérieur des gènes qui codent les ARN ribosomaux 12S et 16S, suggérant que le répertoire fonctionnel de l’ADN mitochondrial a été sous-estimé. Ces gènes supplémentaires sont présentés dans le Tableau I et décrits dans les prochaines sections.
Tableau I.
Peptides mitochondriaux connus.mtORFans : séquences codantes orphelines mitochondriales.
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