Un jour, il fera vraiment nuit
par Kamel Daoud
par Kamel Daoud

Vous aurez compris que tout cela ne va pas arriver dans quelque temps, mais arrive déjà depuis des années. Cela veut dire que ce qui va suivre sera pire, ou meilleur, selon l'angle et l'emploi. Dans quelque temps, on vous demandera ce que vous faites à Alger parce que votre CIN porte l'adresse d'El-Bayadh ou de Relizane. On pourra aussi vous demander la liste des gens qui viennent passer la nuit chez vous alors qu'il s'agit de vos invités. Vous imposer de signaler les étrangers à votre quartier, vous faire signer de fausses déclarations contre votre patron, frère syndicaliste, voisin opposant ou militante active. On vous expliquera que si vous « n'êtes pas avec nous, vous êtes contre nous », car on ne peut s'asseoir au milieu entre le Régime et la Liberté et leur tendre les deux joues. Un jour, vous serez seul, les mains derrière le dos, une supplique entre les dents, isolé de toute part, assis sur un banc en bois dans un lieu sombre, affolé par la possibilité de l'arbitraire, dépendant d'un coup de fil ou d'un PV déjà rédigé sans vous, sans possibilité de vous expliquer sur vos actes, terrorisé par l'idée qu'on ait interprété votre demande de recours comme un manifeste de parti politique. Un jour, vous vivrez cela et là vous comprendrez ce que signifie cette expression ramollie par les démocrates et les intellectuels : « libertés civiles » et vous saurez que vous êtes coupable de ce qui vous arrive car, cela vous est arrivé à l'époque où vous ne vous sentiez pas coupable. Et si ce n'est pas vous, ce sera votre fils, ou votre petit-fils.
Le Quotidien d'Oran .