Le cauchemar
par Boudaoud Mohamed
par Boudaoud Mohamed

L'indécision me torture et éreinte mes nerfs, et je ressens un désir impérieux de me reposer. Guidez-moi, je vous en supplie.» Il est couvert de sang encore fumant, et tient à la main une pelle également ensanglantée qui s'égoutte sur le sol. Je réponds : «Vous avez le choix entre fuir, vous livrer à la police ou vous suicider. Mais puis-je savoir qui avez-vous massacré et pourquoi, votre aspect extérieur et vos paroles ont piqué vivement et douloureusement ma curiosité ?» Ma question ne l'irrite pas, il m'informe, l'oeil vague comme quelqu'un qui fouille sa mémoire : «J'ai tué mes parents, mes soeurs et mes frères, mon frère. La vie à la maison devenait impossible. J'ai mis fin au vacarme et à la fureur qui y régnaient. J'ai perçu qu'ils désiraient que quelqu'un les délivre de la bête immonde qui s'emparait souvent de nos corps et nous jetait les uns sur les autres, les dents ruisselant de salive empoisonnée. Adieu, mon frère, je vais me livrer à la police.» Ensuite, il a disparu de ma vue comme il m'est apparu, subitement.
Une femme alors a surgi de nulle part, tenant contre sa poitrine un sachet en plastique noir : «Pourriez-vous m'indiquer, mon frère, un lieu où je puisse l'enterrer ? Je viens d'étrangler mon petit-fils. Nous avons été, moi et mes filles, contraintes de sortir des sentiers battus. Le divorce. La faim. Le froid. La saleté. Les maladies. Les vitrines des magasins. Les marchandises étalées sur les trottoirs. Les jeunes filles élégamment vêtues. Les yeux de mes filles sur ces objets et ces corps. Le fer chauffé à blanc de la jalousie. La morsure venimeuse du serpent de la possession. Puis l'argent des hommes que la rage du désir inassouvi traînait par les cheveux jusqu'au seuil de ma porte. Puis le ventre de la cadette qui se met à enfler, distendu par une autre bouche à protéger et à nourrir. Mais je ne suis pas immortelle. Les langues visqueuses et gluantes des voisins auraient salivé en abondance sur sa naissance. Même ceux qui empruntent souvent le chemin de mon taudis pour désinfecter leurs plaies purulentes auraient jasé. L'odeur puante de cette bave aurait imprégné son corps jusqu'à sa mort. Mes mains ont fait le nécessaire.» J'ai réfléchi pendant un moment puis j'ai répondu : «Je suis désolé, ma soeur, un égaré ne peut pas éclairer le sentier d'un autre égaré. Je suis un étranger ici.» Elle a disparu avant même que je finisse de parler, laissant traîner derrière elle une odeur forte de chair étranglée.
La femme au cadavre venait à peine d'être dérobée à mon regard, que j'entends une voix m'interpeller : «Maintenant la paix va régner sur les âmes, mon frère. Regardez-la, son corps ne pourra plus jamais se mouvoir. Ma main a été désignée par le sort pour faire cesser ces mouvements sataniques qui ruinaient notre raison et empoisonnaient notre sang. Chaque jour, une force invincible et maléfique nous entassait dans ce café que vous voyez là-bas, nous plantait sur le trottoir qui le longe, afin que nous la mangions du regard quatre fois par jour. Elle portait des vêtements qui moulaient son corps et révélaient des formes dessinées par les mains du Diable. Soumis, nos yeux s'emparaient avidement de sa chair pour nourrir nos fantasmes. Des fenêtres s'ouvraient sur son passage, et la jalousie acide qui ruisselait des murs et inondait le trottoir, trahissait une présence de femmes derrière les rideaux. Il y avait parmi nous des enseignants qui nous ont juré avoir tout essayé pour l'arracher à la boue dans laquelle elle pataugeait avec délice. Inutilement. Au fil du temps, un phénomène mystérieux se produisit : de temps à autre quelqu'un parmi nous se métamorphosait en bouc. Alors, je l'ai tuée, mon frère. Maintenant, je vais me livrer à la police... Mais regardez, des poils me poussent sur les mains et mes jambes se transforment en pattes. C'est ennuyeux ! Je ne suis plus un être humain ! Comment éviter à présent les tracasseries de la justice ? Pensez-vous que le code pénal a prévu un délit ni humain ni animal comme le mien ? Mon jugement n'aura jamais lieu. Je moisirai dans l'attente. Je chevroterai vainement jusqu'à ma mort.» C'est un jeune homme brandissant une épée qui vient de me parler. Des gouttes de sang encore fumant tombent de son arme et éclaboussent le sol. Lui aussi a disparu de ma vue subitement.
(à suivre )
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