À quand les Lumières dans le monde «musulman»?
by onelas
Statue d’Ibn Roch (Aveeroes) à Cordoue
Nous avons souvent entendu des anthropologues, des sociologues, des écrivains, bref, des intellectuels chacun dans son espace de compétence, nous dire, à l’instar du penseur Mohammed Arkoun, que ce qui arrivait aux musulmans, si tant est que ce monde soit tout simplement l’espace géographique de la propagation du fait islamique, que les musulmans s’ils végétaient ainsi dans les innombrables violences et pathologies sociales, dans ces monolithismes sacralisés de la pensée, dans ces guerres fratricides interminables et qu’ils avaient ainsi du mal à accepter l’autre (l’occident, celui qui est différent…), c’est-à-dire à composer avec l’altérité, c’était parce que tout simplement ils n’avaient pas vécu Les lumières; une période charnière et décisive où l’homme s’était détaché de « l’émanation de l’absolu»[1] pour être désormais dans la raison, la connaissance, les valeurs humaines et humanistes afin qu’il soit autonome et maître de son destin.
Malek Chebel a trouvé une formule pour opposer l’islam islamiste pour ainsi dire à l’islam authentique : l’islam des lumières! On peut être d’accord ou en désaccord, chacun y va de son opinion, de son capital symbolique comme dit P. Bourdieu, néanmoins, l’auteur a le mérite d’être un fervent défenseur de la laïcité même si l’islam des lumières me parait être une conception un tant soit peu biaisée et incontestablement subjective, tant pour moi il n’y a pas de religion vraie, pas plus qu’il y en ait de fausse. Du reste, Mohamed Arkoun a si bien approfondi le concept dans son célèbre triangle anthropologique : « Je construis ce que j’appelle un triangle anthropologique : la violence, le sacré au milieu et la vérité qui accompagne le sacré et la violence… qui dit religion vraie dit qu’il faut aller rechercher et identifier pour les rejeter les religions fausses… Les systèmes théologiques (dans le cas des monothéismes) sont des systèmes intellectuels et culturels d’exclusion réciproque. Chaque système exclue les deux autres du bénéfice de la vérité… Je suis autorisé à tuer parce que je le fais pour la face de dieu! »[2]. C’est dire que l’islam des Lumières de Chebel n’est pas si éloignée de la conception de Benoit XVI sur le christianisme comme étant la religion vraie!
Mais, là n’est pas le propos. Ce qui nous intéresse surtout c’est de comprendre pourquoi Les Lumières, la période en d’autres termes qui se voulait éclairée et éclairante de l’esprit humain par «la lumière métaphorique de la connaissance»[3], par opposion aux divers obscurantismes dont surtout l’obscurantisme religieux, n’avaient pas pour autant bouleversé la conception existentielle du musulman? Comment les musulmans ont ainsi, sans crier gare, rater le train qui a sorti l’homme de la métaphysique à la raison, du mythe à l’histoire, du groupe à l’individu? La question n’est pas tant de remettre en cause la foi musulmane, ni de déprécier le fait religieux en général, mais plutôt de mettre, comme l’ont fait les Lumières justement, l’esprit séculaire, la laïcité plus tard, comme condition essentielle, par ailleurs inévitablement salvatrice, pour vivre la différence intrinsèque à l’homme et à la nature, pour un vivre commun sans tensions. Pour sûr, serions-nous tentés de dire, que les musulmans ne se seraient pas autant entretués, ne se seraient pas refugiés à ce point dans des extrémismes négationnistes et surtout n’auraient pas été à la traine dans pratiquement tous les domaines de la vie, s’ils avaient vécu de leur côté un tant soit peu le rayonnement de la pensée intellectuelle comme celle des Les Lumières.
Selon Wikipédia, pour définir ce qu’est le siècle des Lumières, l’historiographie en retient par exemple
Quelques philosophes des Lumières
aujourd’hui l’expression suivante : «Siècle un, profondément, mais combien divers. La raison éclaire tous les hommes, elle est la lumière, ou plus précisément, ne s’agissant pas d’un rayon, mais d’un faisceau, les lumières», mais, en vérité, les Lumières est une plus longue période qui a vu la parole et les positions intellectuelles remettre en cause tout un ordre établi, figé et obsolète, et ce, pratiquement dans tous les domaines, surtout en ce qui avait trait à la réflexion et à la philosophie où l’on avait vu désormais un élargissement sans précédent de notre vision du monde. Car, maintenant, la pensée de l’homme pouvait enfin reposer sur les points suivants : «la primauté de l’esprit scientifique sur la providence dont la révolution newtonienne est l’illustration la plus marquante; la réflexion politique marquée par la théorie contractuelle (le contrat social), influencée par les travaux de John Lock; les progrès de l’esprit critique à l’œuvre, pour exemple, dans le dictionnaire historique critique (1667) de Pierre Bayle et la critique lockéenne des idées innées; l’affirmation de l’idée de Tolérance dans une Europe marquée par les divisions religieuses dont l’œuvre de Lessing, Nathan le Sage est une illustration; le déisme[4]…»[5]. Ainsi, La définition du croyant, si l’on avait à actualiser ces fondements de la pensée qui fondra la modernité par rapport à ce qui nous concerne, nous, aujourd’hui, la définition du croyant qui avait tous les droits sur l’autre (l’incroyant, l’hérétique, le juif, l’autre en général…) allait avoir pour son compte, idem pour toutes les vérités jusque-là puisées dans la transcendance. L’homme allait comprendre que le vivre et bon vivre ensemble dépend de son acceptabilité de l’autre; l’autre qui peut être différent religieusement, culturellement, sexuellement…
Mohamed Arkoun a de son vivant souvent asséné cette triste vérité selon laquelle les musulmans avaient cessé d’avancer dans l’histoire depuis la mort d’Ibn Rochd (Averroès) (1126-1198) à la fin du douzième siècle. Il voulait tout simplement dire qu’Ibn Rochd était si l’on veut le sommet jamais atteint par la pensée musulmane et que le penseur, que l’on dit par ailleurs en d’autres contrées êtres l’un des premiers penseurs de l’histoire à avoir auguré pour la laïcité, aurait pu être la première brique partie pour édifier une conception séculaire du monde qui compose avec l’autre et qui, par conséquent, produit une pensée féconde pour l’humanité.
C’est que l’islam orthodoxe a de tout temps refusé toute approche historique de l’islam. À tel point que la période de ce que l’on dit être l’islam originel ou de source, à savoir de l’avènement de l’islam jusqu’à la mort de Ali, le quatrième calife de l’islam, est toujours considérée, étudiée et décrite dans la quasi-totalité des manuels scolaires du monde musulman comme de l’histoire, c’est-à-dire comme une période historique que l’on peut approcher par les outils scientifiques des sciences humaines. Or, il n’en est rien en vérité, car c’est ce de l’histoire mythique ou de la mytho-histoire pour reprendre Arkoun, l’histoire étant cette science qui traque la preuve, la trace, le fait avéré, le témoignage, les chiffres… Ou alors on n’est pas dans l’histoire.
Il faut le dire, le refus de séculariser l’histoire dans les pays musulmans a été funeste pour l’essor de ces sociétés. Étudier l’islam, le fait révélé, le texte coranique, l’islam de source, bref, tous les éléments du fait religieux islamique à la lumière des outils donnés par les sciences humaines aurait sans doute permis de réaliser la triade conceptuelle chère au penseur Mohamed Arkoun : « Transgresser, déplacer et dépasser», car, disait-il : «si l’islamologie classique n’a jamais entrainé une redistribution quelconque du savoir occidental, c’est que la plupart de ses praticiens sont restés solidaires de la vision historiciste et ethnocentriste»[6]. Selon lui, toutes les interprétations du coran ont obéi jusqu’ici à des volontés de puissance de groupes sociaux pour asseoir leur domination hégémonique.
Il y a eu pourtant des penseurs qui avaient tenté ce dépassement, osé jusqu’à remettre en cause le caractère révélé du texte coranique, appelé leur vie durant à la lecture enfin historique du texte sacré, à savoir que l’application stricte de l’islam de nos jours est tout simplement obsolète, que ce qui avait été une avancée peut-être au septième siècle ne peut être qu’un anachronisme et archaïsme délétères pour le vivre commun de nos jours.
Nasr Hamid Abou Zaid (1943-2010), en théologien libéral, a été apostasié et son mariage annulé par les instances d’Al Azhar en Égypte pour avoir tenté d’interpréter le coran à la lumière de l’herméneutique humaniste[7] dans son Critique du discours religieux. Dans le procès célèbre où on lui avait refusé une simple promotion, on accusa l’islamologue d’affronts directs à la foi musulmane[8] alors que l’islamologue ne tentait que de faire appel à la théologie, au droit, à la philosophie et à l’humanisme pour déconstruire le discours religieux orthodoxe et jeter enfin des ponts entre la tradition et la modernité.
by onelas
Statue d’Ibn Roch (Aveeroes) à Cordoue
Nous avons souvent entendu des anthropologues, des sociologues, des écrivains, bref, des intellectuels chacun dans son espace de compétence, nous dire, à l’instar du penseur Mohammed Arkoun, que ce qui arrivait aux musulmans, si tant est que ce monde soit tout simplement l’espace géographique de la propagation du fait islamique, que les musulmans s’ils végétaient ainsi dans les innombrables violences et pathologies sociales, dans ces monolithismes sacralisés de la pensée, dans ces guerres fratricides interminables et qu’ils avaient ainsi du mal à accepter l’autre (l’occident, celui qui est différent…), c’est-à-dire à composer avec l’altérité, c’était parce que tout simplement ils n’avaient pas vécu Les lumières; une période charnière et décisive où l’homme s’était détaché de « l’émanation de l’absolu»[1] pour être désormais dans la raison, la connaissance, les valeurs humaines et humanistes afin qu’il soit autonome et maître de son destin.
Malek Chebel a trouvé une formule pour opposer l’islam islamiste pour ainsi dire à l’islam authentique : l’islam des lumières! On peut être d’accord ou en désaccord, chacun y va de son opinion, de son capital symbolique comme dit P. Bourdieu, néanmoins, l’auteur a le mérite d’être un fervent défenseur de la laïcité même si l’islam des lumières me parait être une conception un tant soit peu biaisée et incontestablement subjective, tant pour moi il n’y a pas de religion vraie, pas plus qu’il y en ait de fausse. Du reste, Mohamed Arkoun a si bien approfondi le concept dans son célèbre triangle anthropologique : « Je construis ce que j’appelle un triangle anthropologique : la violence, le sacré au milieu et la vérité qui accompagne le sacré et la violence… qui dit religion vraie dit qu’il faut aller rechercher et identifier pour les rejeter les religions fausses… Les systèmes théologiques (dans le cas des monothéismes) sont des systèmes intellectuels et culturels d’exclusion réciproque. Chaque système exclue les deux autres du bénéfice de la vérité… Je suis autorisé à tuer parce que je le fais pour la face de dieu! »[2]. C’est dire que l’islam des Lumières de Chebel n’est pas si éloignée de la conception de Benoit XVI sur le christianisme comme étant la religion vraie!
Mais, là n’est pas le propos. Ce qui nous intéresse surtout c’est de comprendre pourquoi Les Lumières, la période en d’autres termes qui se voulait éclairée et éclairante de l’esprit humain par «la lumière métaphorique de la connaissance»[3], par opposion aux divers obscurantismes dont surtout l’obscurantisme religieux, n’avaient pas pour autant bouleversé la conception existentielle du musulman? Comment les musulmans ont ainsi, sans crier gare, rater le train qui a sorti l’homme de la métaphysique à la raison, du mythe à l’histoire, du groupe à l’individu? La question n’est pas tant de remettre en cause la foi musulmane, ni de déprécier le fait religieux en général, mais plutôt de mettre, comme l’ont fait les Lumières justement, l’esprit séculaire, la laïcité plus tard, comme condition essentielle, par ailleurs inévitablement salvatrice, pour vivre la différence intrinsèque à l’homme et à la nature, pour un vivre commun sans tensions. Pour sûr, serions-nous tentés de dire, que les musulmans ne se seraient pas autant entretués, ne se seraient pas refugiés à ce point dans des extrémismes négationnistes et surtout n’auraient pas été à la traine dans pratiquement tous les domaines de la vie, s’ils avaient vécu de leur côté un tant soit peu le rayonnement de la pensée intellectuelle comme celle des Les Lumières.
Selon Wikipédia, pour définir ce qu’est le siècle des Lumières, l’historiographie en retient par exemple
Quelques philosophes des Lumières
aujourd’hui l’expression suivante : «Siècle un, profondément, mais combien divers. La raison éclaire tous les hommes, elle est la lumière, ou plus précisément, ne s’agissant pas d’un rayon, mais d’un faisceau, les lumières», mais, en vérité, les Lumières est une plus longue période qui a vu la parole et les positions intellectuelles remettre en cause tout un ordre établi, figé et obsolète, et ce, pratiquement dans tous les domaines, surtout en ce qui avait trait à la réflexion et à la philosophie où l’on avait vu désormais un élargissement sans précédent de notre vision du monde. Car, maintenant, la pensée de l’homme pouvait enfin reposer sur les points suivants : «la primauté de l’esprit scientifique sur la providence dont la révolution newtonienne est l’illustration la plus marquante; la réflexion politique marquée par la théorie contractuelle (le contrat social), influencée par les travaux de John Lock; les progrès de l’esprit critique à l’œuvre, pour exemple, dans le dictionnaire historique critique (1667) de Pierre Bayle et la critique lockéenne des idées innées; l’affirmation de l’idée de Tolérance dans une Europe marquée par les divisions religieuses dont l’œuvre de Lessing, Nathan le Sage est une illustration; le déisme[4]…»[5]. Ainsi, La définition du croyant, si l’on avait à actualiser ces fondements de la pensée qui fondra la modernité par rapport à ce qui nous concerne, nous, aujourd’hui, la définition du croyant qui avait tous les droits sur l’autre (l’incroyant, l’hérétique, le juif, l’autre en général…) allait avoir pour son compte, idem pour toutes les vérités jusque-là puisées dans la transcendance. L’homme allait comprendre que le vivre et bon vivre ensemble dépend de son acceptabilité de l’autre; l’autre qui peut être différent religieusement, culturellement, sexuellement…
Mohamed Arkoun a de son vivant souvent asséné cette triste vérité selon laquelle les musulmans avaient cessé d’avancer dans l’histoire depuis la mort d’Ibn Rochd (Averroès) (1126-1198) à la fin du douzième siècle. Il voulait tout simplement dire qu’Ibn Rochd était si l’on veut le sommet jamais atteint par la pensée musulmane et que le penseur, que l’on dit par ailleurs en d’autres contrées êtres l’un des premiers penseurs de l’histoire à avoir auguré pour la laïcité, aurait pu être la première brique partie pour édifier une conception séculaire du monde qui compose avec l’autre et qui, par conséquent, produit une pensée féconde pour l’humanité.
C’est que l’islam orthodoxe a de tout temps refusé toute approche historique de l’islam. À tel point que la période de ce que l’on dit être l’islam originel ou de source, à savoir de l’avènement de l’islam jusqu’à la mort de Ali, le quatrième calife de l’islam, est toujours considérée, étudiée et décrite dans la quasi-totalité des manuels scolaires du monde musulman comme de l’histoire, c’est-à-dire comme une période historique que l’on peut approcher par les outils scientifiques des sciences humaines. Or, il n’en est rien en vérité, car c’est ce de l’histoire mythique ou de la mytho-histoire pour reprendre Arkoun, l’histoire étant cette science qui traque la preuve, la trace, le fait avéré, le témoignage, les chiffres… Ou alors on n’est pas dans l’histoire.
Il faut le dire, le refus de séculariser l’histoire dans les pays musulmans a été funeste pour l’essor de ces sociétés. Étudier l’islam, le fait révélé, le texte coranique, l’islam de source, bref, tous les éléments du fait religieux islamique à la lumière des outils donnés par les sciences humaines aurait sans doute permis de réaliser la triade conceptuelle chère au penseur Mohamed Arkoun : « Transgresser, déplacer et dépasser», car, disait-il : «si l’islamologie classique n’a jamais entrainé une redistribution quelconque du savoir occidental, c’est que la plupart de ses praticiens sont restés solidaires de la vision historiciste et ethnocentriste»[6]. Selon lui, toutes les interprétations du coran ont obéi jusqu’ici à des volontés de puissance de groupes sociaux pour asseoir leur domination hégémonique.
Il y a eu pourtant des penseurs qui avaient tenté ce dépassement, osé jusqu’à remettre en cause le caractère révélé du texte coranique, appelé leur vie durant à la lecture enfin historique du texte sacré, à savoir que l’application stricte de l’islam de nos jours est tout simplement obsolète, que ce qui avait été une avancée peut-être au septième siècle ne peut être qu’un anachronisme et archaïsme délétères pour le vivre commun de nos jours.
Nasr Hamid Abou Zaid (1943-2010), en théologien libéral, a été apostasié et son mariage annulé par les instances d’Al Azhar en Égypte pour avoir tenté d’interpréter le coran à la lumière de l’herméneutique humaniste[7] dans son Critique du discours religieux. Dans le procès célèbre où on lui avait refusé une simple promotion, on accusa l’islamologue d’affronts directs à la foi musulmane[8] alors que l’islamologue ne tentait que de faire appel à la théologie, au droit, à la philosophie et à l’humanisme pour déconstruire le discours religieux orthodoxe et jeter enfin des ponts entre la tradition et la modernité.
Commentaire