Écrit par YASMINE BOUKHADRI
«Alger meurt, Alger vit, Alger dort, Alger crie, Alger peur, Alger prie, Alger pleure, Algérie». Médine
13 h 00. Port de Marseille. Cela fait deux heures que nous patientons sur le pont du ferry, tout excités à l’idée de retrouver Alger la Blanche. Plusieurs fois par an, je fais le voyage par avion. En cette fin d’août 2013, une fois n’est pas coutume, j’ai traversé la France en direction de la cité phocéenne, après dix ans de trajets exclusivement par les airs.
Assise sur le banc écaillé et inconfortable d’un «célèbre» navire algérien, je prends mon mal en patience. Les retards font désormais partie d’un triste folklore. Je me sens déjà à Alger, parmi les Algériens. Dans la file de la douane, les klaxons ont fait rage et certains, pour ne pas rentrer les premiers et sortir les derniers, ont trouvé l’astuce : se garer en plein milieu du passage et simuler une panne.
Pour accéder à la traversée Marseille-Alger, même en fin de saison, il faut se saigner : 1400 euros pour deux personnes en cabine et une voiture standard. A ce prix-là, j’aurais pu trouver une croisière sur le Nil. Mais l’appel du pays est plus puissant. Et puis, c’est l’occasion ou jamais d’arriver en douceur, d’admirer la Méditerranée. De fouler la terre de mes ancêtres sereine et reposée par le bercement des vagues, loin des fouilles à répétition et des sonneries éreintantes des portiques d’aéroport.
Malheureusement, très vite, mes projets de relaxation ont été avortés. Cette fois, le voyage vers ce pays et cette ville que je chéris aura été amer. De l’instant même où j’ai mis les pieds sur le navire jusqu’à mon retour, le carnet de mes «vacances» ne s’est rempli qu’avec l’encre de la colère et de l’incompréhension, face aux comportements inciviques, irrespectueux, voire même autodestructeurs de certains Algériens d’ici et d’ailleurs. Ecrire est devenu catharsistique.
IMMONDICES
Dix minutes à peine après l’arrivée des premiers passagers, des mégots de cigarettes s’amoncellent sur le pont du bateau, bien que des bacs aient été prévus à cet effet. A mon grand désespoir, les immondices n’ont pas fini de joncher les sols du navire. Dans notre cabine – que j’espérais être un havre de paix et de tranquillité vu son prix - les premiers désenchantements nous éclaboussent le visage. Draps souillés, gilets de sauvetage cassés et, le pire, l’impensable, l’insupportable : la crasse, la saleté, la saloperie, appelez ça comme vous voudrez. Partout. Sur les murs, par terre, sur la porte, dans le lavabo. Le dernier ménage semble dater du siècle dernier. L’idée de passer la nuit enfermée dans cet antre insalubre, mal éclairé (à 1400 euros, pas de hublot), où la seule évacuation d’air a été bouchée par un drap tâché d’une substance plus que douteuse, me révulse littéralement. Comment même imaginer pouvoir prier dans un tel endroit ? Le reste n’est guère mieux. Dans le couloir, les sanitaires sont dignes des meilleurs films d’horreur. Aucune porte ne se ferme, tout est sale, et - âmes sensibles s’abstenir - des excréments collent aux cuvettes. Même se laver les mains relève d’un parcours du combattant. Il faut savoir manipuler les robinets à l’aide de lingettes de manière à ne jamais faire entrer l’épiderme en contact avec ce concentré de microbes ambiants. Ce qui m’indispose aussi, c’est le détachement avec lequel le personnel de bord vous indique le chemin des WC, tout sourire et tout fier. Aucune honte ou gêne ne se lisent sur les visages. Est-ce par habitude ? Ont-ils abandonné le combat ? Trouvent-ils ça normal ou alors pensent-ils que l’unique responsabilité incombe à la société ? Je ne saurais jamais. Les absurdités ne s’arrêtent pas là et l’incivisme s’empare aussi des passagers, telle une malédiction. Les gens prennent le bateau pour un véritable camping. Chaque millimètre de moquette est « squatté » par des matelas, gonflables ou pas, oreillers, couvertures, bagages, qui entravent le passage. Quel amusement que de devoir enjamber à longueur de temps tout ce barda ! Cela deviendrait presque une occupation comme une autre, sur un bateau où vous n’avez accès qu’à votre cabine/geôle et au pont lorsque vous êtes en économique. Même les canapés du bateau sont réquisitionnés. J’ai l’impression de me trouver dans un camp de réfugiés. Un couple de Hollandais observe la scène d’un œil étonné, et finit par rejoindre le pont à la recherche d’air frais, loin des effluves de tchaktchouka (oui, qui dit camping sur la moquette dit aussi pique-nique sur la moquette). Certes, la traversée est hors de prix et tout le monde ne peut pas s’offrir une cabine. Mais priver ceux qui se saignent financièrement, espérant un peu de tranquillité, du peu d’espace public à disposition pendant ces vingt longues heures, ce n’est pas très citoyen. Je me sens sur le territoire du chacun pour soi et Dieu pour tous.
00 H 30. Dans la nuit, je décide de quitter ma cabine lugubre - dans laquelle j’ai vaporisé de la citronnelle, ultime tentative pour masquer certaines odeurs nauséabondes - pour rejoindre le pont supérieur. Pour la première fois, je prends plaisir à être ici. J’aperçois les îles Baléares toutes illuminées. Je commence enfin à relativiser. Le meilleur est à venir. Mais le répit est de court instant. Car très vite un bruit sourd me tire de ma rêverie et me fait sursauter. Au deuxième « plouf », je comprends ce qui se passe : des cuisines du bateau, du personnel jette d’énormes sacs poubelles remplis des déchets du self-service. J’avais pourtant lu sur plusieurs pancartes à l’intérieur : « Interdit de jeter les ordures par-dessus bord, y compris alimentaires ». Mon énervement reprend de plus belle : pourquoi ne pas attendre l’arrivée au port ? Pourquoi contaminer la mer ? Pourquoi asphyxier les poissons avec du plastique ? Pourquoi tant d’irresponsabilité et d’hypocrisie? Des questions du genre, je n’ai pas fini de m’en poser.
ALGER LA BLANCHE, ALGER LA NOIRE
7 h 00. Au petit matin, après une nuit écourtée, l’arrivée sur le port d’Alger est, comme dans mes souvenirs, une pure merveille. Encore brumeuse, la capitale se tire lentement de son sommeil et s’anime. Il est temps de débarquer. Un passager nous le rappelle sèchement : « Allez, dépêchez-vous regagnez les garages sinon vous allez tous nous bloqués ». Le ton est donné. La sortie des garages est on ne peut plus sportive. La guerre est clairement déclarée. Les passagers passent en force, quitte à rayer votre voiture et la leur avec pour sortir le plus vite. Pourtant, ils n’iront pas bien loin. Encore deux heures de formalités administratives les attendent. Après quelques jours de repos en famille, nous nous rendons dans une location saisonnière. De France, les échanges avec l’agent immobilier et le propriétaire avaient été courtois. Quelques photos nous étaient parvenues et un proche avait effectué une rapide visite avant notre arrivée, histoire de s’assurer que l’appartement existait bien. Ce n’est pas la première fois que nous louons à
Alger. Pas de surprise donc, en principe. Le studio est loué à des gens de passage, des émigrés ou bien des «gwar», à 30 000 dinars la semaine. La villa dans laquelle il se trouve est élégante, bien qu’en bord de route. On nous remet les clés, les vacances peuvent enfin commencer. 15 h 00. Mes premiers pas dans l’appartement ont marqué mon séjour et ont inexorablement contribué à ma « décrépitude estivale ». Première mauvaise nouvelle : la climatisation n’a finalement pas été installée comme promis. Aucun ventilateur de substitut à l’horizon. Les nuits s’annoncent difficiles. Très vite, les désillusions s’enchaînent. Le ménage n’a pas été fait : le sol est crasseux, les draps des anciens locataires n’ont pas été lavés en dépit de ce qu’affirme l’agent (les taies d’oreiller puent le cheveu gras…), la douche est bouchée par des résidus capillaires, les toilettes sont loin d’être nettes. L’intermédiaire s’excuse, nous promet une femme de ménage – nous ferons le ménage nous-mêmes. La visite se poursuit, et, avec elle, son lot de grincements de dents. La porte des toilettes ne se ferme pas. Dans la cuisine « équipée », pas de verres, pas de cafetière, pas de four. Une petite casserole, sans passoire. Pratique pour cuire les pâtes ou le riz, la nourriture de base lorsqu’on ne veut pas se casser la tête en vacances. Nous réalisons petit à petit qu’il nous sera impossible de cuisiner, et encore moins de recevoir nos proches. Pas de balai, ni de pelle, ni de seau pour nettoyer les vestiges des précédents occupants. « Pas de problème », selon l’agent, « faites-moi une liste, je vous apporte tout ça ». Nous limitons les frais et ne demandons que le strict nécessaire. Nous nous précipitons à la supérette du coin pour dévaliser le rayon produits ménagers. Quant à Internet, il nous faut l’oublier.
Une semaine plus tard, notre voisine de palier vient frapper. La discussion vire au cahier de doléances. Dans son studio, la vie n’est guère plus rose. Elle a trouvé du sang dans le réfrigérateur et des selles dans les WC à son arrivée. Une multitude de questionnements nous envahit. Pourquoi cet irrespect envers les locataires ? Le propriétaire, un homme poli et discret, est-il conscient que louer un appartement dans un tel état est inacceptable ? Je ne doute pas que son espace de vie, au-dessus de nos têtes, soit quant à lui irréprochable. Le paradoxe est horripilant : les Algériens sont les gens les plus propres au monde, chez eux. Ne dit-on pas : «Inna an-nadhafa min al-imane» ? Je rumine d’incompréhension. Pourtant habituée à vivre ici deux à trois mois par an, cette fois, l’accumulation en un laps de temps de comportements intolérables et égocentriques m’est difficile à supporter. Je pense aux Algériens qui doivent endurer ces conduites détestables à longueur de temps. Péniblement, je me fais une raison : dans ces conditions actuelles, je ne pourrais ni même n’oserais jamais ramener avec moi mes amis du monde entier. Et ils sont nombreux à vouloir visiter Alger la Blanche que je leur ai toujours décrite comme une ville extraordinaire.
«Alger meurt, Alger vit, Alger dort, Alger crie, Alger peur, Alger prie, Alger pleure, Algérie». Médine
13 h 00. Port de Marseille. Cela fait deux heures que nous patientons sur le pont du ferry, tout excités à l’idée de retrouver Alger la Blanche. Plusieurs fois par an, je fais le voyage par avion. En cette fin d’août 2013, une fois n’est pas coutume, j’ai traversé la France en direction de la cité phocéenne, après dix ans de trajets exclusivement par les airs.
Assise sur le banc écaillé et inconfortable d’un «célèbre» navire algérien, je prends mon mal en patience. Les retards font désormais partie d’un triste folklore. Je me sens déjà à Alger, parmi les Algériens. Dans la file de la douane, les klaxons ont fait rage et certains, pour ne pas rentrer les premiers et sortir les derniers, ont trouvé l’astuce : se garer en plein milieu du passage et simuler une panne.
Pour accéder à la traversée Marseille-Alger, même en fin de saison, il faut se saigner : 1400 euros pour deux personnes en cabine et une voiture standard. A ce prix-là, j’aurais pu trouver une croisière sur le Nil. Mais l’appel du pays est plus puissant. Et puis, c’est l’occasion ou jamais d’arriver en douceur, d’admirer la Méditerranée. De fouler la terre de mes ancêtres sereine et reposée par le bercement des vagues, loin des fouilles à répétition et des sonneries éreintantes des portiques d’aéroport.
Malheureusement, très vite, mes projets de relaxation ont été avortés. Cette fois, le voyage vers ce pays et cette ville que je chéris aura été amer. De l’instant même où j’ai mis les pieds sur le navire jusqu’à mon retour, le carnet de mes «vacances» ne s’est rempli qu’avec l’encre de la colère et de l’incompréhension, face aux comportements inciviques, irrespectueux, voire même autodestructeurs de certains Algériens d’ici et d’ailleurs. Ecrire est devenu catharsistique.
IMMONDICES
Dix minutes à peine après l’arrivée des premiers passagers, des mégots de cigarettes s’amoncellent sur le pont du bateau, bien que des bacs aient été prévus à cet effet. A mon grand désespoir, les immondices n’ont pas fini de joncher les sols du navire. Dans notre cabine – que j’espérais être un havre de paix et de tranquillité vu son prix - les premiers désenchantements nous éclaboussent le visage. Draps souillés, gilets de sauvetage cassés et, le pire, l’impensable, l’insupportable : la crasse, la saleté, la saloperie, appelez ça comme vous voudrez. Partout. Sur les murs, par terre, sur la porte, dans le lavabo. Le dernier ménage semble dater du siècle dernier. L’idée de passer la nuit enfermée dans cet antre insalubre, mal éclairé (à 1400 euros, pas de hublot), où la seule évacuation d’air a été bouchée par un drap tâché d’une substance plus que douteuse, me révulse littéralement. Comment même imaginer pouvoir prier dans un tel endroit ? Le reste n’est guère mieux. Dans le couloir, les sanitaires sont dignes des meilleurs films d’horreur. Aucune porte ne se ferme, tout est sale, et - âmes sensibles s’abstenir - des excréments collent aux cuvettes. Même se laver les mains relève d’un parcours du combattant. Il faut savoir manipuler les robinets à l’aide de lingettes de manière à ne jamais faire entrer l’épiderme en contact avec ce concentré de microbes ambiants. Ce qui m’indispose aussi, c’est le détachement avec lequel le personnel de bord vous indique le chemin des WC, tout sourire et tout fier. Aucune honte ou gêne ne se lisent sur les visages. Est-ce par habitude ? Ont-ils abandonné le combat ? Trouvent-ils ça normal ou alors pensent-ils que l’unique responsabilité incombe à la société ? Je ne saurais jamais. Les absurdités ne s’arrêtent pas là et l’incivisme s’empare aussi des passagers, telle une malédiction. Les gens prennent le bateau pour un véritable camping. Chaque millimètre de moquette est « squatté » par des matelas, gonflables ou pas, oreillers, couvertures, bagages, qui entravent le passage. Quel amusement que de devoir enjamber à longueur de temps tout ce barda ! Cela deviendrait presque une occupation comme une autre, sur un bateau où vous n’avez accès qu’à votre cabine/geôle et au pont lorsque vous êtes en économique. Même les canapés du bateau sont réquisitionnés. J’ai l’impression de me trouver dans un camp de réfugiés. Un couple de Hollandais observe la scène d’un œil étonné, et finit par rejoindre le pont à la recherche d’air frais, loin des effluves de tchaktchouka (oui, qui dit camping sur la moquette dit aussi pique-nique sur la moquette). Certes, la traversée est hors de prix et tout le monde ne peut pas s’offrir une cabine. Mais priver ceux qui se saignent financièrement, espérant un peu de tranquillité, du peu d’espace public à disposition pendant ces vingt longues heures, ce n’est pas très citoyen. Je me sens sur le territoire du chacun pour soi et Dieu pour tous.
00 H 30. Dans la nuit, je décide de quitter ma cabine lugubre - dans laquelle j’ai vaporisé de la citronnelle, ultime tentative pour masquer certaines odeurs nauséabondes - pour rejoindre le pont supérieur. Pour la première fois, je prends plaisir à être ici. J’aperçois les îles Baléares toutes illuminées. Je commence enfin à relativiser. Le meilleur est à venir. Mais le répit est de court instant. Car très vite un bruit sourd me tire de ma rêverie et me fait sursauter. Au deuxième « plouf », je comprends ce qui se passe : des cuisines du bateau, du personnel jette d’énormes sacs poubelles remplis des déchets du self-service. J’avais pourtant lu sur plusieurs pancartes à l’intérieur : « Interdit de jeter les ordures par-dessus bord, y compris alimentaires ». Mon énervement reprend de plus belle : pourquoi ne pas attendre l’arrivée au port ? Pourquoi contaminer la mer ? Pourquoi asphyxier les poissons avec du plastique ? Pourquoi tant d’irresponsabilité et d’hypocrisie? Des questions du genre, je n’ai pas fini de m’en poser.
ALGER LA BLANCHE, ALGER LA NOIRE
7 h 00. Au petit matin, après une nuit écourtée, l’arrivée sur le port d’Alger est, comme dans mes souvenirs, une pure merveille. Encore brumeuse, la capitale se tire lentement de son sommeil et s’anime. Il est temps de débarquer. Un passager nous le rappelle sèchement : « Allez, dépêchez-vous regagnez les garages sinon vous allez tous nous bloqués ». Le ton est donné. La sortie des garages est on ne peut plus sportive. La guerre est clairement déclarée. Les passagers passent en force, quitte à rayer votre voiture et la leur avec pour sortir le plus vite. Pourtant, ils n’iront pas bien loin. Encore deux heures de formalités administratives les attendent. Après quelques jours de repos en famille, nous nous rendons dans une location saisonnière. De France, les échanges avec l’agent immobilier et le propriétaire avaient été courtois. Quelques photos nous étaient parvenues et un proche avait effectué une rapide visite avant notre arrivée, histoire de s’assurer que l’appartement existait bien. Ce n’est pas la première fois que nous louons à
Alger. Pas de surprise donc, en principe. Le studio est loué à des gens de passage, des émigrés ou bien des «gwar», à 30 000 dinars la semaine. La villa dans laquelle il se trouve est élégante, bien qu’en bord de route. On nous remet les clés, les vacances peuvent enfin commencer. 15 h 00. Mes premiers pas dans l’appartement ont marqué mon séjour et ont inexorablement contribué à ma « décrépitude estivale ». Première mauvaise nouvelle : la climatisation n’a finalement pas été installée comme promis. Aucun ventilateur de substitut à l’horizon. Les nuits s’annoncent difficiles. Très vite, les désillusions s’enchaînent. Le ménage n’a pas été fait : le sol est crasseux, les draps des anciens locataires n’ont pas été lavés en dépit de ce qu’affirme l’agent (les taies d’oreiller puent le cheveu gras…), la douche est bouchée par des résidus capillaires, les toilettes sont loin d’être nettes. L’intermédiaire s’excuse, nous promet une femme de ménage – nous ferons le ménage nous-mêmes. La visite se poursuit, et, avec elle, son lot de grincements de dents. La porte des toilettes ne se ferme pas. Dans la cuisine « équipée », pas de verres, pas de cafetière, pas de four. Une petite casserole, sans passoire. Pratique pour cuire les pâtes ou le riz, la nourriture de base lorsqu’on ne veut pas se casser la tête en vacances. Nous réalisons petit à petit qu’il nous sera impossible de cuisiner, et encore moins de recevoir nos proches. Pas de balai, ni de pelle, ni de seau pour nettoyer les vestiges des précédents occupants. « Pas de problème », selon l’agent, « faites-moi une liste, je vous apporte tout ça ». Nous limitons les frais et ne demandons que le strict nécessaire. Nous nous précipitons à la supérette du coin pour dévaliser le rayon produits ménagers. Quant à Internet, il nous faut l’oublier.
Une semaine plus tard, notre voisine de palier vient frapper. La discussion vire au cahier de doléances. Dans son studio, la vie n’est guère plus rose. Elle a trouvé du sang dans le réfrigérateur et des selles dans les WC à son arrivée. Une multitude de questionnements nous envahit. Pourquoi cet irrespect envers les locataires ? Le propriétaire, un homme poli et discret, est-il conscient que louer un appartement dans un tel état est inacceptable ? Je ne doute pas que son espace de vie, au-dessus de nos têtes, soit quant à lui irréprochable. Le paradoxe est horripilant : les Algériens sont les gens les plus propres au monde, chez eux. Ne dit-on pas : «Inna an-nadhafa min al-imane» ? Je rumine d’incompréhension. Pourtant habituée à vivre ici deux à trois mois par an, cette fois, l’accumulation en un laps de temps de comportements intolérables et égocentriques m’est difficile à supporter. Je pense aux Algériens qui doivent endurer ces conduites détestables à longueur de temps. Péniblement, je me fais une raison : dans ces conditions actuelles, je ne pourrais ni même n’oserais jamais ramener avec moi mes amis du monde entier. Et ils sont nombreux à vouloir visiter Alger la Blanche que je leur ai toujours décrite comme une ville extraordinaire.
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