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« Je sépare la classe en deux. Karim et les autres »

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  • « Je sépare la classe en deux. Karim et les autres »

    MAKING OF
    Depuis les attentats de Paris, il y a beaucoup de délire. Un gosse de huit ans est convoqué par la police pour « apologie de terrorisme » et a circulé un temps, avant d’être démentie, l’information qu’un autre de six aurait été contraint de jouer l’un des frères Kouachi dans une représentation organisée par son l’école. Morano répète qu’une femme voilée avec une valise » c’est un « danger potentiel ». Emerge aussi une figure nouvelle : celle du gentil délateur. La personne bien attentionnée qui dénonce des signes de « radicalisation ». On s’est mis à sa place. Voilà, c’est une fiction, un délire. Rien d’autre.
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    Souvent, le djihadiste est sous notre nez. On ne le voit pas ou plutôt, on feint de ne pas le voir. Ça ne suffit pas de dire « Je suis Charlie », il faut agir, mettre de côté les bons sentiments.

    Moi, c’est Myriam, prof dans un petit collège rural. Tous les matins, je vois ces gamins qui ne veulent pas être Charlie, qui choisissent le camp de Daesh. Je ne veux pas être celle que l’on viendra interviewer après une attaque au bazooka dans un Conforama. Qui débitera des conneries bras croisés devant la caméra, du genre :

    « Oui, je connaissais Abdel, on partageait la même passion pour Clovis Cornillac. »

    Le djihadisme s’attrape gamin. La maladie se déclare plus tard, mais le virus est là. J’ai décidé de faire de la prévention. Avec mes armes. Mon instinct et un téléphone portable pour signaler tous les cas suspects aux autorités compétentes. Mon mari dit que je suis une grosse balance. Que je suis devenue dingue. Il n’a que le Bafa. Ces choses le dépassent.

    1

    « J’ai eu un accident maîtresse »

    Lundi

    Karim est arrivé cinq minutes en retard en cours. C’est déjà la deuxième fois en trois ans. A mon bureau, je lui demande de s’excuser et de fournir une explication valable. Il se met à chuinter comme un lâche :

    « – J’ai eu un accident, maîtresse.
    – Ton père est encore aller parler à Dieu en arabe c’est ça ?
    – Hein ?
    – Quoi hein ? A la mosquée, vous parlez en anglais peut-être ? Tu vois que tu as choisi le mauvais trône pour ***** mon con. »

    Au moment où il se lève, je l’attrape :

    « Tu penses quoi du rapport Baroin de 2003 sur la laïcité ? Et de l’affaire de Creil en 1989 ? Est-ce que ta mère pourrait porter un legging ? »

    Je passe au CDI pour vérifier que le blocage administratif des sites est bien appliqué. Je place une puce GSM, achetée sur Le Bon Coin, sur l’exemplaire de « Hygiène de l’Assassin », celui écrit par la gothique au chapeau. Celui qu’on a vu sur la vidéo de Coulibaly. Amedy, hein. Pas Moussa. On s’y perd.
    Contente d’apprendre que la ministre me soutient. J’appelle le standard pour remercier, puis je me fais des sandwichs en triangle. Ce soir, je vais patrouiller à la gare de l’Est. Morano-style.

    2

    « Avez-vous besoin d’un traducteur ? »

    Mardi

    Le directeur de l’école est un poltron (il a voté à la primaire socialiste), mais il ne peut rien me refuser. Quand les parents de Karim ont débarqué le lendemain, j’ai été claire :

    « Si vous êtes venus avec Allah, dites-lui d’attendre dans la voiture ou à
    l’arrêt de bus. Et si vous me demandez de me couvrir la tête, c’est non. On est pas au Qatar. »

    D’emblée, j’ai posé le problème. Je n’ai rien contre la religion, à partir du moment où celle-ci n’empiète pas sur ma salle de classe. Le papa s’est pris la tête à deux mains et la maman s’est mise à pleurnicher. Ce genre de comportement ne m’apitoie pas, mais je suis profondément éprise de justice et les procès expéditifs ne m’intéressent pas :

    « – Avez-vous besoin d’un traducteur ?
    – “Nous sommes cadres dans les ressources humaines, madame. Que signifie cette mascarade ?
    – Regardez le Powerpoint que je viens de faire et vous comprendrez. Il y a deux mois, j’ai organisé une comédie musicale et votre fils a été brillant dans le rôle du mahométan.”

    J’ai bien cru qu’ils passeraient aux aveux, mais ils sont rusés :

    “– Madame, Karim n’a que sept ans. S’il est arrivé en retard, c’est parce qu’il avait fait caca dans sa culotte. Vous voulez faire analyser le slip peut-être ?
    – Bien évidemment. Mettez-le dans mon casier en sortant.”

    3

    “Il la joue barbe fine, mais ça pue”

    Mercredi

    Ce soir, super débat en vue avec Xavier Lemoine et Alain Finkielkraut. Je descends acheter une boîte de ratatouille à la provençale Cassegrain. Le début est un peu chiant. Il y a la femme en cheveux (NKM) qui cause comme une animatrice de tombola. Face au petit calme avec ses lèvres pincées (Cazeneuve), c’est trop de contraste. N’empêche, c’est fou la radicalisation, il suffit d’un ordinateur. Ils font une démonstration en direct.
    Voilà Finkie et sa moumoute télécommandée. Comme d’hab, il se prend pour Soljenitsyne :

    “Ouvrez les yeux les kolkozards.”

    Il y a même un musulman à la télé. On sait qu’il est musulman parce qu’il a une petite calotte sur la tête avec ce qui ressemble à de fines écritures en arabe. Evidemment, la résolution n’est pas assez bonne pour me permettre de zoomer et de taper tout cela dans Google translate. Il la joue barbe fine bien élevée. Mais cette histoire pue.

    Lemoine me donne un truc infaillible : tu verses un peu de Champomy dans un gobelet en plastique et tu invites tous les gosses pour un goûter d’anniversaire. Y plus qu’à noter ceux qui en reste au jus d’ananas. Je passe un coup de fil au numéro vert, mais ça sonne dans le vide. Feignants.
    Pendant ce temps-là, le musulman s’époumone : “Je sais ce que c’est que le Champomy.” Sale hypocrite.

    4

    “Mais c’est qui le Mollah Omar ?”

    Jeudi

    Ce matin, j’étais partie pour parler un peu d’anatomie avec les gosses :

    “Savez-vous ce qu’est une cellule, les enfants ?”
    Ils étaient emballés. Léon a parlé d’ADN, Séraphin de police scientifique et Sénéchal s’est mis à poser plein de questions :

    “Maîtresse, il y a combien de cellules dans le corps ?”
    Je m’apprêtais à lui répondre, quand j’ai croisé le regard de Karim. Glaçant. Ça m’a inspiré des vérités :

    “Dans le corps, on s’en fout, mais en France, il y a des milliers de cellules de Daesh et d’Al Qaida.”

    J’ai la chance de pouvoir gamberger très vite. J’ai décidé de bouleverser le programme de la journée et de partir sur l’organisation d’une comédie musicale que j’ai intitulée “Karim”.

    J’ai décidé de séparer la classe en deux. Karim d’un côté et les autres. Personne n’a moufté quand j’ai distribué les rôles, sauf lui :

    - “Maîtresse, c’est qui Mollah Omar ?
    - T’inquiète. Contente-toi de lever l’index quand tu liras les dialogues.”

    Le directeur de mon école est une baltringue. En entrant dans la salle pour nous saluer, il n’a pas compris pourquoi il y avait un Solex en plein milieu :

    – “Myriam, que sont-ce ces billevesées ?
    – Le Mollah Omar n’avait pas de Scenic. C’est un motard émérite.
    – Et le menton de Karim colorié au Velleda noir ?”

    5

    “Cookies bonne maman”

    Vendredi

    J’ai confié le slip de Karim à une amie qui bosse en laboratoire. Elle confirme la thèse des parents : il a chié dans son froc, certainement à cause de cookies “Bonne Maman”. Je lui ai demandé des analyses complémentaires sur le contenu exact des menus et la provenance du textile. Je n’arrive pas à dormir. Je m’ouvre un compte Twitter au nom de SaintMaclou732.
    Enfin, le gouvernement s’est décidé à m’aider. Il vient de mettre en ligne un site stop-djihadisme. C’est un peu amateur, mais toute aide est la bienvenue. Niveau critère, ils sont bétons : “ils se méfient des anciens amis, ils rejettent des membres de leur famille, ils changent leur tenue vestimentaire…”

    Le fils de mon voisin coche toutes les cases. Je l’ai alpagué dans l’ascenseur :

    “Tu fais quoi cet été ? Ibiza, Miami, le triangle sunnite dans le Levant ?”
    J’appellerai le numéro vert ce soir. Là j’ai besoin d’un peu de repos. Je me détends en ouvrant l’annuaire pour spotter les Coulibaly. Rien de moins que sept dans le département. J’applique la méthode que j’ai vue dans “Homeland”. Je chope tout ceux qui postent des photos du grand bâtiment qu’on voit dans les kebabs, sur un fond rétroéclairé.
    Retour à l’école. J’ai préparé de petites exercices pratiques. Comme dans le film “Orange mécanique”, je vais leur scotcher les yeux devant une caricature du prophète. On va voir ceux qui font dans leur froc :

    “Mais madame, c’est trop mal dessiné.”

    La petite pustule, je vais le briser.
    “T’es pas content ? Sors ta kalach, sale pleutre.”

    L’autre soir, je l’ai surpris à quatre pattes sous une table. Pour ne pas éveiller ses soupçons, j’ai blagué :

    “Là, tu es prosterné vers Boulogne-Billancourt. La Mecque, QG des arabes, c’est à l’opposé.”

    Magnanime, je n’ai pas voulu en rajouter. Au fond, ce n’est qu’un enfant.
    J’envoie quand même un mail au directeur, au cabinet du maire, à la gendarmerie, à la clinique, au centre de loisirs et au club de foot : Karim se radicalise à cause de ses parents.

    Chut..

    Nour K. | Journaliste
    Joël D. | Assis
    Rue 89
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