Je comprends rien au football américain. Pourtant j'aime son propos. Pour ceux qui ne comprennent pas ce sport, tout comme moi, je vous explique le propos : gagner du terrain comme dans la vie. Chaque joueur à une tâche bien précise, superspécialisation, comme dans la vie encore. Son rythme : on arrête, on choisit un jeu, on l'exécute, on arrête, on choisit un autre jeu, on l'exécute... J'aime l'idée de s'arrêter pour penser à ce qu'on va faire.
Et dimanche passé, c'était le Super Bowl. Mais avant de voir le match, j'ai eu un petit accident. Oh, rien de grave, j'y reviendrai.
Je situe le début du Super Bowl à 18h20, au moment où on a entonné l'hymne national américain. Comme il s'est terminé vers 22h, le Super Bowl a donc duré trois heures et 40 minutes. Soit 220 minutes. De l'hymne national au dernier jeu du match, 15 minutes de jeu réel, de temps actif pendant lequel il s'est passé quelque chose sur le terrain. Une semaine de délire, des milliers de pages de journaux, des heures et des heures de " pregame show ", 220 minutes de spectacle, pour 15 minutes de jeu !
-Je viens d'entendre une voix, quelqu'un du forum là : Aya berkana mel khorté déalek ya bloum ! Quessé qu'ils ont foutu pendant les 205 minutes restantes ?
-Mais non, c'est pas du khorté, je viens de le dire, c'est le rythme : on choisit un jeu, on l'exécute, durée de la séquence : 15 secondes, on arrête, durée de l'arrêt : 3 minutes, on choisit un autre jeu, on l'exécute, durée : 15 secondes, on arrête, durée : 3 minutes, on choisit un... Sauf qu'on profite de chaque arrêt pour glisser un bloc de quatre annonces publicitaires, Budweiser, McDonald, Volvo, Pontiac, du vin, de la pommade pour les muscles, des assurances, la ScotiaBank, Esso, Chrysler, des pâtes, Tim Horton, des céréales, des chips Doritos, Ford, des batteries de voiture, durée de la pub : 3 minutes, ce qui donne 15 minutes de football et 205 minutes de pub. Ben, 15 + 205 = 240. Le compte est bon. Voilà jeune homme, c'est juste pour t'expliquer le football américain que tu comprends pas, moi non plus, ben, pour vulgariser le Super Bowl, c'est exactement ce que je viens de t'expliquer, un matraquage honteux d'un public captif, un sport parasité, transformé en centre commercial qui renvoie directement à ce que nous sommes : des consommateurs...
-La même voix : Khorté kho (foutaises), n'importe quoi, ça m'a jamais incité à consommer quoi que ce soit, la pub, je ne me laisse pas voler !
-Bouh, khorté toi-même, voler, voler, voler quoi d'abord ? Faut posséder quelque chose pour qu'on puisse te le voler. Toi et moi, on a rien. Niet. C'est pas de moi et toi que je parle. Les consommateurs, ceux qui ont le pouvoir d'achat, sont autres que nous. Mettons ça clair jeune homme, on n'est pas des cosommateurs nous, moi et toi, on est des algériens, et disons qu'on vit en Algérie, on a pas les sous pour consommer anyway, on est des jeunes, pas de boulot, pas d'argent, pas de pouvoir d'achat, on regarde pour regarder, on vit pas notre présent, notre avenir n'aura pas lieu, la vermine qui nous gouverne peut bien changer de régime politique, ça ne suffira pas, c'est l'horizon qui est fucké, so, moi et toi, pas de consommation.
Yo man, je t'entends plus là, yo, répond... J'entends plus sa voix. Vous qui me lisez là, l'entendez-vous ? Non... Bon, bon, il est parti... P-utain que j'aime pas ça, c'est comme si on me raccroche au nez. Anyway, vous le connaissez, vous ? Celui qui me parlait là ? Si oui...
Je veux son nom.
Bon OK, l'accident d'abord, J'ai tout vu, tout enregistré, comme dans un film au ralenti. J'ai vu la voiture s'arrêter. Elle attendait que la voie de gauche soit libre pour entrer dans une cour. J'ai vu une deuxième voiture s'arrêter derrière celle-là. J'ai vu une troisième voiture s'arrêter. J'ai vu une quatrième voiture s'en venir derrière les trois premières et je me suis dit qu'est-ce qu'il s'en vient vite ce con. Il n'aura jamais le temps de freiner. Il va leur rentrer dans le c-u-l.
Dans cette quatrième voiture il y avait un jeune homme, sa femme enceinte, et un bébé sur le siège arrière. Quand le jeune homme a vu qu'il allait frapper la voiture devant lui, il a donné un coup de volant en se disant tant pis, je prends une chance, j'essaie de passer sur la voie opposée, en priant pour que personne ne s'en vienne en sens inverse.
Mais quelqu'un s'en venait. Moi.
Dans ma nouvelle vieille voiture. Pas vite. Je ne vais jamais vite. Il y avait de la glace, et de la poudrerie. J'écoutais une de mes chansons préférées, une chanson de Bob Marley : Red, red wine / Go to my head / Makes me forget that I / Still need her so... Cela se passait à l'entrée de St-Donat, une route à deux voies étroites. On se tue beaucoup sur les longues lignes droites des routes étroites. Il n'y a pas vraiment de raison. On se tue en pensant à autre chose, on se tue par distraction, en quelque sorte. Dans la seconde où j'ai vu le type déboîter et foncer sur moi j'ai eu le temps de penser à ça : qu'il allait me tuer par distraction. J'ai eu le temps aussi d'entendre Bob Marley reprendre son refrain : All I can do, I've done / Memories won't go / Memories won't go...
Et bang on s'est rentré dedans. La seconde d'après j'étais loin dans le champ. Bob Marley continuait sa chanson.
Quelqu'un cognait à ma vitre. Ça va ? Ça avait l'air d'aller. Dans l'autre voiture aussi ça allait. Le jeune homme, la dame enceinte, le bébé derrière. Rien. Pas une égratignure. Un miracle. Il s'en venait pleine vitesse. Moi je devais rouler 70. Comment a-t-on évité le face à face ? Je ne sais pas. Je ne me rappelle pas ma manoeuvre. Lui non plus. Sa femme dit que lorsqu'elle a vu qu'on allait se frapper elle a crié Jésus comme une folle. Peut-être a-t-il entendu.
La police est venue. La dépanneuse. Le plus drôle, mais il n'y a pas vraiment de quoi rire, le plus drôle, j'allais à l'enterrement du papa de ma copine.
Bref, tout ça vous dit pourquoi j'ai compté le temps au lieu de suivre le jeu. Pourquoi je déteste la vitesse. Et un peu la mort. Et oui mon vieux, je déteste un peu la mort.
Allez, je vous embrasse.
Et dimanche passé, c'était le Super Bowl. Mais avant de voir le match, j'ai eu un petit accident. Oh, rien de grave, j'y reviendrai.
Je situe le début du Super Bowl à 18h20, au moment où on a entonné l'hymne national américain. Comme il s'est terminé vers 22h, le Super Bowl a donc duré trois heures et 40 minutes. Soit 220 minutes. De l'hymne national au dernier jeu du match, 15 minutes de jeu réel, de temps actif pendant lequel il s'est passé quelque chose sur le terrain. Une semaine de délire, des milliers de pages de journaux, des heures et des heures de " pregame show ", 220 minutes de spectacle, pour 15 minutes de jeu !
-Je viens d'entendre une voix, quelqu'un du forum là : Aya berkana mel khorté déalek ya bloum ! Quessé qu'ils ont foutu pendant les 205 minutes restantes ?
-Mais non, c'est pas du khorté, je viens de le dire, c'est le rythme : on choisit un jeu, on l'exécute, durée de la séquence : 15 secondes, on arrête, durée de l'arrêt : 3 minutes, on choisit un autre jeu, on l'exécute, durée : 15 secondes, on arrête, durée : 3 minutes, on choisit un... Sauf qu'on profite de chaque arrêt pour glisser un bloc de quatre annonces publicitaires, Budweiser, McDonald, Volvo, Pontiac, du vin, de la pommade pour les muscles, des assurances, la ScotiaBank, Esso, Chrysler, des pâtes, Tim Horton, des céréales, des chips Doritos, Ford, des batteries de voiture, durée de la pub : 3 minutes, ce qui donne 15 minutes de football et 205 minutes de pub. Ben, 15 + 205 = 240. Le compte est bon. Voilà jeune homme, c'est juste pour t'expliquer le football américain que tu comprends pas, moi non plus, ben, pour vulgariser le Super Bowl, c'est exactement ce que je viens de t'expliquer, un matraquage honteux d'un public captif, un sport parasité, transformé en centre commercial qui renvoie directement à ce que nous sommes : des consommateurs...
-La même voix : Khorté kho (foutaises), n'importe quoi, ça m'a jamais incité à consommer quoi que ce soit, la pub, je ne me laisse pas voler !
-Bouh, khorté toi-même, voler, voler, voler quoi d'abord ? Faut posséder quelque chose pour qu'on puisse te le voler. Toi et moi, on a rien. Niet. C'est pas de moi et toi que je parle. Les consommateurs, ceux qui ont le pouvoir d'achat, sont autres que nous. Mettons ça clair jeune homme, on n'est pas des cosommateurs nous, moi et toi, on est des algériens, et disons qu'on vit en Algérie, on a pas les sous pour consommer anyway, on est des jeunes, pas de boulot, pas d'argent, pas de pouvoir d'achat, on regarde pour regarder, on vit pas notre présent, notre avenir n'aura pas lieu, la vermine qui nous gouverne peut bien changer de régime politique, ça ne suffira pas, c'est l'horizon qui est fucké, so, moi et toi, pas de consommation.
Yo man, je t'entends plus là, yo, répond... J'entends plus sa voix. Vous qui me lisez là, l'entendez-vous ? Non... Bon, bon, il est parti... P-utain que j'aime pas ça, c'est comme si on me raccroche au nez. Anyway, vous le connaissez, vous ? Celui qui me parlait là ? Si oui...
Je veux son nom.
Bon OK, l'accident d'abord, J'ai tout vu, tout enregistré, comme dans un film au ralenti. J'ai vu la voiture s'arrêter. Elle attendait que la voie de gauche soit libre pour entrer dans une cour. J'ai vu une deuxième voiture s'arrêter derrière celle-là. J'ai vu une troisième voiture s'arrêter. J'ai vu une quatrième voiture s'en venir derrière les trois premières et je me suis dit qu'est-ce qu'il s'en vient vite ce con. Il n'aura jamais le temps de freiner. Il va leur rentrer dans le c-u-l.
Dans cette quatrième voiture il y avait un jeune homme, sa femme enceinte, et un bébé sur le siège arrière. Quand le jeune homme a vu qu'il allait frapper la voiture devant lui, il a donné un coup de volant en se disant tant pis, je prends une chance, j'essaie de passer sur la voie opposée, en priant pour que personne ne s'en vienne en sens inverse.
Mais quelqu'un s'en venait. Moi.
Dans ma nouvelle vieille voiture. Pas vite. Je ne vais jamais vite. Il y avait de la glace, et de la poudrerie. J'écoutais une de mes chansons préférées, une chanson de Bob Marley : Red, red wine / Go to my head / Makes me forget that I / Still need her so... Cela se passait à l'entrée de St-Donat, une route à deux voies étroites. On se tue beaucoup sur les longues lignes droites des routes étroites. Il n'y a pas vraiment de raison. On se tue en pensant à autre chose, on se tue par distraction, en quelque sorte. Dans la seconde où j'ai vu le type déboîter et foncer sur moi j'ai eu le temps de penser à ça : qu'il allait me tuer par distraction. J'ai eu le temps aussi d'entendre Bob Marley reprendre son refrain : All I can do, I've done / Memories won't go / Memories won't go...
Et bang on s'est rentré dedans. La seconde d'après j'étais loin dans le champ. Bob Marley continuait sa chanson.
Quelqu'un cognait à ma vitre. Ça va ? Ça avait l'air d'aller. Dans l'autre voiture aussi ça allait. Le jeune homme, la dame enceinte, le bébé derrière. Rien. Pas une égratignure. Un miracle. Il s'en venait pleine vitesse. Moi je devais rouler 70. Comment a-t-on évité le face à face ? Je ne sais pas. Je ne me rappelle pas ma manoeuvre. Lui non plus. Sa femme dit que lorsqu'elle a vu qu'on allait se frapper elle a crié Jésus comme une folle. Peut-être a-t-il entendu.
La police est venue. La dépanneuse. Le plus drôle, mais il n'y a pas vraiment de quoi rire, le plus drôle, j'allais à l'enterrement du papa de ma copine.
Bref, tout ça vous dit pourquoi j'ai compté le temps au lieu de suivre le jeu. Pourquoi je déteste la vitesse. Et un peu la mort. Et oui mon vieux, je déteste un peu la mort.
Allez, je vous embrasse.

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