Dans la peau d'un Noir à Alger
L’été est là depuis plusieurs jours déjà, faisant de l’ombre à ses rivaux de l’hiver et du printemps et à quelques orages impromptus qui font de la résistance avant d’abdiquer devant l’armistice de la rotation des saisons. Et on se surprend, comme chaque année, à nous étonner qu’il arrive prématurément. Mais l’été est toujours arrivé prématurément. Et nous nous sommes toujours astreints à cet exercice de l’étonnement avec la même candeur. J’aime cette agaçante et nécessaire candeur, elle provoque des liens et de la conversation entre proches et voisins qui trouvent là des opportunités de sociabilité supplémentaires. Parler de la pluie et du beau temps aura certainement permis à certains hommes de moins se haïr et d’éviter à d’autres, à défaut de s’aimer, de moins se faire la guerre. Crédule pensée.
Les étudiants de l’université de Bab Ezzouar, n’étant peut-être pas au fait de cet axiome de base, n’ont certainement pas pris le temps de parler du beau temps. C’est ce qui explique leur piètre prestation de cette semaine où ils se sont adonnés, dans le bruit et la fureur, à un misérable spectacle pour se faire la «guerre».
Un insignifiant accrochage entre deux étudiants s’est transformé en guerre ethnique, en émeute raciale. Les faits sont d’une banalité affligeante : un étudiant de nationalité angolaise écoutait de la musique à une heure assez tardive, dit-on. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Un autre, algérien, voulait ce jour-là travailler dans le calme. Ce dernier se dirige vers la chambre de son voisin afin de lui demander de baisser le son. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Peu importe.
L’échange entre les deux étudiants déborde et finit en insurrection revancharde entre, d’un côté, comme le précisent les journaux «démocratiques», les étudiants algériens, ameutés et mobilisés pour la «bonne cause», et de l’autre, les «étudiants africains», minoritaires et «minorisés».
Passons sur cette étrange manière qu’on a de se soustraire à notre africanité, de la voir dédaigneusement de haut.
Les identités «meurtrières» des uns et des autres sont soulignées presque avec fierté.
Des «Algériens» qui se mobilisent comme un seul homme pour affronter ces hommes venus de loin, ces «étrangers» aux «étranges coutumes» et défendre ainsi «l’honneur de la tribu». Quel honneur ?
Stupides étudiants qui reproduisent allègrement les atavismes d’une société qui a réussi à faire de la différence un obstacle. Triste constat d’une presse qui encourage la «tribu» dans ses manifestations les plus sordides. Ridicule tribu qui empêche les hommes d’être seulement des hommes.
Le problème n’est pas tant de savoir qui est responsable de cette bagarre et qui ne l’est pas. Le problème est de savoir pourquoi ce qui est censé être une vulgaire querelle entre étudiants se transforme, en un claquement de doigts, en débordement hargneux, en violence sans limites ? En guerre des frontières ?
Pourquoi une banale bagarre de jeunes devient-elle motif à mettre en avant cette illusoire et dangereuse notion de supériorité des «races» ?
Il est loin le temps de Fanon l’Algérien. Il est loin le temps des Blacks Panthers trouvant refuge à Alger pour fuir la violence des Blancs d’Amérique. Il est loin le temps des révolutions où même Mandela, avant d’être emprisonné par l’apartheid, faisait escale pour échanger une expérience avec ses frères d’armes.
Le racisme des Algériens
Les tendances racistes de l’Algérien ne sont pas une vue de l’esprit. Et ce racisme n’est pas latent, comme le qualifient les bonnes âmes. Ce racisme est entier et assumé. Il n’y a qu’à voir le comportement dédaigneux des Algériens envers les Chinois et les Noirs.
On leur parle avec le mépris des Blancs de l’Oklahoma d’il y a un siècle. Et cet humour gras qu’on s’évertue à parfaire pour leur parler en est sûrement la meilleure preuve. Et ce chapelet de qualificatifs qu’on s’emploie à trouver pour les désigner sans jamais les nommer ? Nigro. Babaye. Batata.
Et ces Chinois qu’on voit exclusivement comme des sous-hommes bons à manger les chiens errants et à occuper les chantiers sans arrêt de travail !
Et ces Noirs qu’on évalue comme tout juste aptes à faire le gardiennage dans les villas huppées des hauteurs d’Alger et toutes les autres tâches ingrates, indignes des «nobles» Blancs que nous croyons être !
Dely Brahim. Un homme est debout. Il a une tasse de café à la main et une cigarette dans l’autre. Sa voiture est stationnée devant lui, sur le trottoir. Un autre homme, noir, se charge de la nettoyer. Comme dans un vieux film américain évoquant cette sombre période de l’esclavagisme, il lui indique avec un profond mépris les endroits où il faut bien astiquer.
Pour les indications, il lui parle en français. Pour le reste, il l’insulte en ricanant en arabe.
- Pourquoi vous moquez-vous de lui de cette manière, dit une élégante dame de passage sur les lieux du forfait ?
- «Il n’y a pas de problème, madame, je le paie. L’essentiel, c’est que je ne suis pas en train de le voler.»
- «Volez-le si ça vous chante, mais respectez-le au moins…»
La dame élégante s’éloigne avec écœurement. Le propriétaire de la voiture, dans la solitude de son idiotie, rit. L’homme noir continue à nettoyer la voiture, sans faire attention à ce qui se passe autour de lui.
C’est vrai qu’on peut voler un homme. Ce sera certainement toujours moins grave que de ne pas respecter sa dignité. Méprisante misère des hommes.
SAS
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L’été est là depuis plusieurs jours déjà, faisant de l’ombre à ses rivaux de l’hiver et du printemps et à quelques orages impromptus qui font de la résistance avant d’abdiquer devant l’armistice de la rotation des saisons. Et on se surprend, comme chaque année, à nous étonner qu’il arrive prématurément. Mais l’été est toujours arrivé prématurément. Et nous nous sommes toujours astreints à cet exercice de l’étonnement avec la même candeur. J’aime cette agaçante et nécessaire candeur, elle provoque des liens et de la conversation entre proches et voisins qui trouvent là des opportunités de sociabilité supplémentaires. Parler de la pluie et du beau temps aura certainement permis à certains hommes de moins se haïr et d’éviter à d’autres, à défaut de s’aimer, de moins se faire la guerre. Crédule pensée.
Les étudiants de l’université de Bab Ezzouar, n’étant peut-être pas au fait de cet axiome de base, n’ont certainement pas pris le temps de parler du beau temps. C’est ce qui explique leur piètre prestation de cette semaine où ils se sont adonnés, dans le bruit et la fureur, à un misérable spectacle pour se faire la «guerre».
Un insignifiant accrochage entre deux étudiants s’est transformé en guerre ethnique, en émeute raciale. Les faits sont d’une banalité affligeante : un étudiant de nationalité angolaise écoutait de la musique à une heure assez tardive, dit-on. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Un autre, algérien, voulait ce jour-là travailler dans le calme. Ce dernier se dirige vers la chambre de son voisin afin de lui demander de baisser le son. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Peu importe.
L’échange entre les deux étudiants déborde et finit en insurrection revancharde entre, d’un côté, comme le précisent les journaux «démocratiques», les étudiants algériens, ameutés et mobilisés pour la «bonne cause», et de l’autre, les «étudiants africains», minoritaires et «minorisés».
Passons sur cette étrange manière qu’on a de se soustraire à notre africanité, de la voir dédaigneusement de haut.
Les identités «meurtrières» des uns et des autres sont soulignées presque avec fierté.
Des «Algériens» qui se mobilisent comme un seul homme pour affronter ces hommes venus de loin, ces «étrangers» aux «étranges coutumes» et défendre ainsi «l’honneur de la tribu». Quel honneur ?
Stupides étudiants qui reproduisent allègrement les atavismes d’une société qui a réussi à faire de la différence un obstacle. Triste constat d’une presse qui encourage la «tribu» dans ses manifestations les plus sordides. Ridicule tribu qui empêche les hommes d’être seulement des hommes.
Le problème n’est pas tant de savoir qui est responsable de cette bagarre et qui ne l’est pas. Le problème est de savoir pourquoi ce qui est censé être une vulgaire querelle entre étudiants se transforme, en un claquement de doigts, en débordement hargneux, en violence sans limites ? En guerre des frontières ?
Pourquoi une banale bagarre de jeunes devient-elle motif à mettre en avant cette illusoire et dangereuse notion de supériorité des «races» ?
Il est loin le temps de Fanon l’Algérien. Il est loin le temps des Blacks Panthers trouvant refuge à Alger pour fuir la violence des Blancs d’Amérique. Il est loin le temps des révolutions où même Mandela, avant d’être emprisonné par l’apartheid, faisait escale pour échanger une expérience avec ses frères d’armes.
Le racisme des Algériens
Les tendances racistes de l’Algérien ne sont pas une vue de l’esprit. Et ce racisme n’est pas latent, comme le qualifient les bonnes âmes. Ce racisme est entier et assumé. Il n’y a qu’à voir le comportement dédaigneux des Algériens envers les Chinois et les Noirs.
On leur parle avec le mépris des Blancs de l’Oklahoma d’il y a un siècle. Et cet humour gras qu’on s’évertue à parfaire pour leur parler en est sûrement la meilleure preuve. Et ce chapelet de qualificatifs qu’on s’emploie à trouver pour les désigner sans jamais les nommer ? Nigro. Babaye. Batata.
Et ces Chinois qu’on voit exclusivement comme des sous-hommes bons à manger les chiens errants et à occuper les chantiers sans arrêt de travail !
Et ces Noirs qu’on évalue comme tout juste aptes à faire le gardiennage dans les villas huppées des hauteurs d’Alger et toutes les autres tâches ingrates, indignes des «nobles» Blancs que nous croyons être !
Dely Brahim. Un homme est debout. Il a une tasse de café à la main et une cigarette dans l’autre. Sa voiture est stationnée devant lui, sur le trottoir. Un autre homme, noir, se charge de la nettoyer. Comme dans un vieux film américain évoquant cette sombre période de l’esclavagisme, il lui indique avec un profond mépris les endroits où il faut bien astiquer.
Pour les indications, il lui parle en français. Pour le reste, il l’insulte en ricanant en arabe.
- Pourquoi vous moquez-vous de lui de cette manière, dit une élégante dame de passage sur les lieux du forfait ?
- «Il n’y a pas de problème, madame, je le paie. L’essentiel, c’est que je ne suis pas en train de le voler.»
- «Volez-le si ça vous chante, mais respectez-le au moins…»
La dame élégante s’éloigne avec écœurement. Le propriétaire de la voiture, dans la solitude de son idiotie, rit. L’homme noir continue à nettoyer la voiture, sans faire attention à ce qui se passe autour de lui.
C’est vrai qu’on peut voler un homme. Ce sera certainement toujours moins grave que de ne pas respecter sa dignité. Méprisante misère des hommes.
SAS
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