Telerama par Youness Bousenna Publié le 17/03/21
La laïcité militaire, un exemple ? Depuis vingt ans et le passage à une armée professionnelle, l’afflux d’engagés de confession musulmane a changé la composition sociologique de l’institution. Qui a dû et qui a su s’adapter, avec l’objectif de concilier liberté de croyance et impératif de cohésion, vital sur les zones de combats.
Et s’il persistait un îlot où la laïcité est encore appliquée dans sa pureté originelle ? Éric Germain le croit. « Ici, nous sommes dans l’épure de la loi de 1905, celle d’une laïcité libérale. » Ici, c’est au sein de l’armée française — où il est chargé des questions religieuses et de laïcité auprès de l’état-major. Croire ou ne pas croire, telle est la question à l’armée comme ailleurs ; mais la réponse est en effet singulière, pour cette petite société formée des quelque 200 000 militaires français. « Toute la spécificité de l’armée tient dans le rapport à la mort. Quand on part à 22 ans en mission sans savoir si on reviendra, on est respectueux du rapport de chacun à Dieu. »
Le sociologue Elyamine Settoul va plus loin. « Si la laïcité militaire est plus ouverte que dans le reste de la société, c’est parce que le rapport au transcendant y est plus apaisé. Un militaire croit forcément en quelque chose, en Dieu, en la République ou en la nation », assure ce maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Il n’empêche que l’institution militaire aura dû gérer une évolution majeure ces vingt dernières années : le passage à une armée professionnelle (à la suite de la fin du service militaire, décidée en 1996 par le président Chirac), qui l’a obligée à susciter des vocations pour recruter ; et l’intégration d’une nouvelle génération issue de l’immigration du Maghreb, majoritairement fidèle à l’islam, non plus pour quelques mois mais pour toute une carrière.
Une aumônerie musulmane depuis 2005
Or, à l’époque, il n’existe pas d’aumônerie musulmane, alors que les autres cultes en ont une. Et des repas de substitution au porc ne sont pas toujours prévus. Bien que la France ait compté des soldats musulmans depuis la conquête de l’Algérie, au xixe siècle, la question va donc se poser avec une tout autre ampleur. « Les militaires se demandaient à l’époque si nous irions vers une armée ‘‘franchouillarde’’, ou une armée représentant la société dans sa pluralité », rappelle Elyamine Settoul, qui a soutenu sa thèse en 2012 sur l’engagement des militaires issus de l’immigration.
Le recrutement dans les quartiers populaires et en Outre-mer se révélera substantiel, et, « à partir du moment où ces jeunes avaient choisi l’armée, on ne pouvait plus les traiter différemment », poursuit le sociologue. La Grande Muette doit s’adapter. En 1990, un rapport du colonel Biville formulait déjà des recommandations pour accueillir cette diversité. La décennie suivante marquera « une reconnaissance de l’islam comme une religion à part entière », souligne Elyamine Settoul.
La création du Conseil français du culte musulman (CFCM), en 2003, offre un interlocuteur officiel à l’état-major. Deux ans plus tard, une aumônerie musulmane est mise sur pied. « Cela a généré une forme de fierté de pouvoir être français et musulman, alors que dans ces années-là je me souviens de jeunes de quartiers me demandant encore s’il était possible d’être soldat et musulman. »
La formule d’une laïcité apaisée ?
Les années 2000 seront aussi celles d’un nouvel air du temps, marqué par le Livre blanc sur la défense de 2008, qui définit les orientations stratégiques de la France. Pour la première fois, ce document évoque le fait religieux comme une ressource à mobiliser. « Alors que le sujet était ignoré depuis la guerre froide, les conflits de la fin du XXe siècle au Liban puis dans les Balkans ont montré que le fait religieux était une composante de l’environnement, que le militaire en opération ne pouvait pas ignorer », souligne Éric Germain. En 2009, un poste de « chargé de mission sur le fait religieux » est créé au sein du ministère de la Défense : Éric Germain l’occupera durant une décennie, avant de rejoindre l’état-major en 2020. Sa mission, vouée à l’origine à réfléchir à l’enjeu religieux, s’est progressivement étendue à la laïcité.
C’est dans ce cadre qu’il va peaufiner la notion de « laïcité militaire », exposée dans un guide pratique publié en 2017. « Il était initialement destiné aux attachés de défense basés hors de France, qui se sentaient démunis lorsque des officiers étrangers les questionnaient sur la laïcité. » Cette incompréhension était à la source de quiproquos : « Beaucoup réduisaient notre laïcité à un athéisme d’État ou à une hostilité aux confessions non catholiques, ce qui donnait une image caricaturale. » Pourtant, la France a rattrapé son retard en la matière : avec 42 aumôniers, elle compte l’aumônerie musulmane la plus nombreuse de tous les pays de l’Otan – s’y ajoutent 203 aumôniers et aumônières catholiques, 77 protestants, 35 israélites et un orthodoxe.
La laïcité militaire, un exemple ? Depuis vingt ans et le passage à une armée professionnelle, l’afflux d’engagés de confession musulmane a changé la composition sociologique de l’institution. Qui a dû et qui a su s’adapter, avec l’objectif de concilier liberté de croyance et impératif de cohésion, vital sur les zones de combats.
Et s’il persistait un îlot où la laïcité est encore appliquée dans sa pureté originelle ? Éric Germain le croit. « Ici, nous sommes dans l’épure de la loi de 1905, celle d’une laïcité libérale. » Ici, c’est au sein de l’armée française — où il est chargé des questions religieuses et de laïcité auprès de l’état-major. Croire ou ne pas croire, telle est la question à l’armée comme ailleurs ; mais la réponse est en effet singulière, pour cette petite société formée des quelque 200 000 militaires français. « Toute la spécificité de l’armée tient dans le rapport à la mort. Quand on part à 22 ans en mission sans savoir si on reviendra, on est respectueux du rapport de chacun à Dieu. »
Le sociologue Elyamine Settoul va plus loin. « Si la laïcité militaire est plus ouverte que dans le reste de la société, c’est parce que le rapport au transcendant y est plus apaisé. Un militaire croit forcément en quelque chose, en Dieu, en la République ou en la nation », assure ce maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Il n’empêche que l’institution militaire aura dû gérer une évolution majeure ces vingt dernières années : le passage à une armée professionnelle (à la suite de la fin du service militaire, décidée en 1996 par le président Chirac), qui l’a obligée à susciter des vocations pour recruter ; et l’intégration d’une nouvelle génération issue de l’immigration du Maghreb, majoritairement fidèle à l’islam, non plus pour quelques mois mais pour toute une carrière.
Une aumônerie musulmane depuis 2005
Or, à l’époque, il n’existe pas d’aumônerie musulmane, alors que les autres cultes en ont une. Et des repas de substitution au porc ne sont pas toujours prévus. Bien que la France ait compté des soldats musulmans depuis la conquête de l’Algérie, au xixe siècle, la question va donc se poser avec une tout autre ampleur. « Les militaires se demandaient à l’époque si nous irions vers une armée ‘‘franchouillarde’’, ou une armée représentant la société dans sa pluralité », rappelle Elyamine Settoul, qui a soutenu sa thèse en 2012 sur l’engagement des militaires issus de l’immigration.
Le recrutement dans les quartiers populaires et en Outre-mer se révélera substantiel, et, « à partir du moment où ces jeunes avaient choisi l’armée, on ne pouvait plus les traiter différemment », poursuit le sociologue. La Grande Muette doit s’adapter. En 1990, un rapport du colonel Biville formulait déjà des recommandations pour accueillir cette diversité. La décennie suivante marquera « une reconnaissance de l’islam comme une religion à part entière », souligne Elyamine Settoul.
La création du Conseil français du culte musulman (CFCM), en 2003, offre un interlocuteur officiel à l’état-major. Deux ans plus tard, une aumônerie musulmane est mise sur pied. « Cela a généré une forme de fierté de pouvoir être français et musulman, alors que dans ces années-là je me souviens de jeunes de quartiers me demandant encore s’il était possible d’être soldat et musulman. »
La formule d’une laïcité apaisée ?
Les années 2000 seront aussi celles d’un nouvel air du temps, marqué par le Livre blanc sur la défense de 2008, qui définit les orientations stratégiques de la France. Pour la première fois, ce document évoque le fait religieux comme une ressource à mobiliser. « Alors que le sujet était ignoré depuis la guerre froide, les conflits de la fin du XXe siècle au Liban puis dans les Balkans ont montré que le fait religieux était une composante de l’environnement, que le militaire en opération ne pouvait pas ignorer », souligne Éric Germain. En 2009, un poste de « chargé de mission sur le fait religieux » est créé au sein du ministère de la Défense : Éric Germain l’occupera durant une décennie, avant de rejoindre l’état-major en 2020. Sa mission, vouée à l’origine à réfléchir à l’enjeu religieux, s’est progressivement étendue à la laïcité.
C’est dans ce cadre qu’il va peaufiner la notion de « laïcité militaire », exposée dans un guide pratique publié en 2017. « Il était initialement destiné aux attachés de défense basés hors de France, qui se sentaient démunis lorsque des officiers étrangers les questionnaient sur la laïcité. » Cette incompréhension était à la source de quiproquos : « Beaucoup réduisaient notre laïcité à un athéisme d’État ou à une hostilité aux confessions non catholiques, ce qui donnait une image caricaturale. » Pourtant, la France a rattrapé son retard en la matière : avec 42 aumôniers, elle compte l’aumônerie musulmane la plus nombreuse de tous les pays de l’Otan – s’y ajoutent 203 aumôniers et aumônières catholiques, 77 protestants, 35 israélites et un orthodoxe.
