«J’avais l’impression d’être une criminelle, alors que je n’avais rien fait de mal.» Ce 2 juin,
Marta Lomartire est toujours sous le coup de la colère et de l’incompréhension. Le 17 avril,
cette Italienne de 24 ans devait rejoindre des membres de sa famille vivant en Angleterre pour
s’occuper de leurs trois enfants et apprendre l’anglais. Mais à l’aéroport d’Heathrow, où Marta
Lomartire atterrit à 19 heures ce jour-là, rien ne se passe comme prévu. Le service douanier
britannique lui refuse l’entrée au Royaume-Uni. La raison invoquée : un document dans lequel
ses cousins détaillent qu’elle vient en tant que fille au pair. «On pensait que la lettre serait
considérée comme un motif sérieux de voyage en cette période de Covid, relate celle qui vit
dans la région très touristique des Pouilles, dans le sud-est de l’Italie. Au contraire, dès qu’ils
l’ont lue, ils m’ont immédiatement demandé si je connaissais vraiment ces personnes…»
La douane suspecte un emploi déguisé. Marta Lomartire, qui n’a pas de visa de travail à
présenter (le document est obligatoire depuis le 1er janvier pour tout Européen qui souhaite
travailler outre-Manche), se voit dans la foulée confisquer tous ses effets personnels. Après
avoir été fouillée plusieurs fois, elle est ensuite emmenée dans un bureau. «Ils m’ont
photographiée et ont pris mes empreintes digitales. A partir de là, j’ai su que quelque chose
n’allait pas», raconte la jeune femme aux longs cheveux bruns, qui reste traumatisée par
l’incident. L’étudiante en design attendra dans une pièce, sous surveillance, jusqu’à 4 heures du
matin avant d’être transférée au centre de rétention Colnbrook, situé à quelques minutes de
l’aéroport de Heathrow, à l’ouest de Londres. Elle passera le reste de la nuit et une partie du
lendemain dans cet endroit austère, «entouré de barbelés et avec des barreaux aux fenêtres»
avant de prendre un vol retour vers l’Italie le lendemain soir. «Je ne souhaite à personne ce qui
m’est arrivé, c’était terrible. Ma famille et moi sommes encore sous le choc», souffle-t-elle.
«Je n’ai eu droit à aucun conseil»
Cette douloureuse expérience, quelques dizaines d’autres Européens l’ont vécue depuis le
début de l’année. Deux Espagnoles en provenance de Valence et de Bilbao ont témoigné dans
The Guardian. Elles ont été arrêtées à l’aéroport de Gatwick, au sud de Londres, les 2 et 3 mai.
La première, María, dont l’objectif était de chercher un emploi sur place, a passé trois nuits au
sein du centre de rétention de migrants Yarl’s Wood, situé à 160 kilomètres au nord de Londres,
avant de pouvoir retourner chez elle. «Le pire, c’est que personne ne m’a expliqué ce qui allait
se passer. On m’avait retiré ma liberté et je n’ai eu droit à aucun conseil juridique», a-t-elle
expliqué. A peine débarquée de son avion à Gatwick, Eugenia, 24 ans, a été transférée par les
services à l’immigration dans le même centre que María, où elle a dormi une nuit avec une
douzaine d’autres personnes. Parmi celles-ci, deux autres Espagnols, aussi interdits de
territoire malgré la preuve d’un futur entretien d’embauche (selon le ministère britannique de
l’Intérieur, ce document permet pourtant d’entrer sur le sol britannique), et une Française, qui
venait pour un stage. «Je ne savais pas qu’il fallait avoir déjà un travail. Je pensais que vous
pouviez venir pour d’abord chercher un emploi, et revenir ensuite avec un visa», a expliqué
Eugenia.
A l’ambassade de Bulgarie, on confirme aussi que, en début d’année, «plusieurs citoyens
bulgares ont été placés en détention lorsqu’ils informaient la douane de leur intention de
travailler au Royaume-Uni mais qu’ils n’avaient pas de visa pour». Ces incarcérations, qui ont
parfois duré plusieurs jours, ont eu lieu «lorsqu’un vol retour n’était pas possible dans les
vingt quatre heures suivant leur arrivée», a expliqué un porte-parole. Ces situations inédites ont été
vécues par des Espagnols, des Italiens, mais aussi un Français qui, selon des sources
officielles, a été retenu pendant quarante-huit heures à l’aéroport d’Edimbourg, capitale
écossaise.
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les retours forcés ont explosé en un an, passant
de 493 au premier trimestre 2020 à 3 294 en 2021 à la même période, même si la majorité de
ceux-ci ne passe pas par la case détention. Une conséquence concrète du Brexit et de l’arrêt
de la libre circulation au 1er janvier 2021. Certaines nationalités, à l’instar des Roumains, des
Bulgares ou encore des Polonais, qui font partie des principaux migrants en Grande-Bretagne,
sont plus concernées par ces mesures. Côté français, 30 personnes avaient été refoulées à la
frontière au premier trimestre 2020, contre 54 cette année. «Les chiffres risquent d’augmenter à
l’avenir parce qu’à cause du Covid, le nombre d’arrivées depuis l’Europe est encore assez
bas», relève Marley Morris, qui suit les conséquences du Brexit sur l’immigration pour le
thinktank Institute for Public Policy Research. D’après le chercheur, les expulsions se multiplieraient
notamment à cause du flou qui règne autour des mesures adoptées récemment. Les voyageurs
seraient mal informés et les services de douanes peu aiguillés. «Le système n’a pas encore été
bien testé et cela va prendre du temps avant qu’il fonctionne correctement», poursuit-il.
«Il ne reste que trente jours»
Face à l’émoi et la colère grandissante, le ministère de l’Intérieur a été forcé, le 12 mai, de
publier de nouvelles directives. Désormais, au lieu d’être placé en détention, des mises en
liberté sous caution seront autorisées. Mais d’autres témoignages diffusés dans la presse
britannique ces dernières semaines dévoilent tout de même l’extrême - et nouvelle - rigidité des
douaniers. Au-delà des incarcérations, d’autres Européens ont été retenus de longues heures
aux services de douane alors qu’ils présentaient les bons documents. «Le plus gros challenge
sera après le 30 juin, qui est le dernier jour pour demander le "pre-settled status" [qui donne
accès aux droits de résidence, de santé et de travail aux Européens qui vivent depuis plus de
six mois au Royaume-Uni, ndlr], estime Marley Morris. Pour l’instant, il n’y a rien de prévu pour
ceux qui manqueront cette date. C’est assez inquiétant.»
Au mois d’avril, 5,4 millions de citoyens européens avaient enregistré leur demande. La
délégation de l’Union européenne au Royaume-Uni presse ceux qui ne l’ont toujours pas fait de
se dépêcher : «Un grand nombre de demandes sont toujours en cours. Il ne reste que trente
jours. Citoyens de l’UE : postulez maintenant», exhortait le 1er juin João Vale de Almeida, son
ambassadeur à Londres
Marta Lomartire est toujours sous le coup de la colère et de l’incompréhension. Le 17 avril,
cette Italienne de 24 ans devait rejoindre des membres de sa famille vivant en Angleterre pour
s’occuper de leurs trois enfants et apprendre l’anglais. Mais à l’aéroport d’Heathrow, où Marta
Lomartire atterrit à 19 heures ce jour-là, rien ne se passe comme prévu. Le service douanier
britannique lui refuse l’entrée au Royaume-Uni. La raison invoquée : un document dans lequel
ses cousins détaillent qu’elle vient en tant que fille au pair. «On pensait que la lettre serait
considérée comme un motif sérieux de voyage en cette période de Covid, relate celle qui vit
dans la région très touristique des Pouilles, dans le sud-est de l’Italie. Au contraire, dès qu’ils
l’ont lue, ils m’ont immédiatement demandé si je connaissais vraiment ces personnes…»
La douane suspecte un emploi déguisé. Marta Lomartire, qui n’a pas de visa de travail à
présenter (le document est obligatoire depuis le 1er janvier pour tout Européen qui souhaite
travailler outre-Manche), se voit dans la foulée confisquer tous ses effets personnels. Après
avoir été fouillée plusieurs fois, elle est ensuite emmenée dans un bureau. «Ils m’ont
photographiée et ont pris mes empreintes digitales. A partir de là, j’ai su que quelque chose
n’allait pas», raconte la jeune femme aux longs cheveux bruns, qui reste traumatisée par
l’incident. L’étudiante en design attendra dans une pièce, sous surveillance, jusqu’à 4 heures du
matin avant d’être transférée au centre de rétention Colnbrook, situé à quelques minutes de
l’aéroport de Heathrow, à l’ouest de Londres. Elle passera le reste de la nuit et une partie du
lendemain dans cet endroit austère, «entouré de barbelés et avec des barreaux aux fenêtres»
avant de prendre un vol retour vers l’Italie le lendemain soir. «Je ne souhaite à personne ce qui
m’est arrivé, c’était terrible. Ma famille et moi sommes encore sous le choc», souffle-t-elle.
«Je n’ai eu droit à aucun conseil»
Cette douloureuse expérience, quelques dizaines d’autres Européens l’ont vécue depuis le
début de l’année. Deux Espagnoles en provenance de Valence et de Bilbao ont témoigné dans
The Guardian. Elles ont été arrêtées à l’aéroport de Gatwick, au sud de Londres, les 2 et 3 mai.
La première, María, dont l’objectif était de chercher un emploi sur place, a passé trois nuits au
sein du centre de rétention de migrants Yarl’s Wood, situé à 160 kilomètres au nord de Londres,
avant de pouvoir retourner chez elle. «Le pire, c’est que personne ne m’a expliqué ce qui allait
se passer. On m’avait retiré ma liberté et je n’ai eu droit à aucun conseil juridique», a-t-elle
expliqué. A peine débarquée de son avion à Gatwick, Eugenia, 24 ans, a été transférée par les
services à l’immigration dans le même centre que María, où elle a dormi une nuit avec une
douzaine d’autres personnes. Parmi celles-ci, deux autres Espagnols, aussi interdits de
territoire malgré la preuve d’un futur entretien d’embauche (selon le ministère britannique de
l’Intérieur, ce document permet pourtant d’entrer sur le sol britannique), et une Française, qui
venait pour un stage. «Je ne savais pas qu’il fallait avoir déjà un travail. Je pensais que vous
pouviez venir pour d’abord chercher un emploi, et revenir ensuite avec un visa», a expliqué
Eugenia.
A l’ambassade de Bulgarie, on confirme aussi que, en début d’année, «plusieurs citoyens
bulgares ont été placés en détention lorsqu’ils informaient la douane de leur intention de
travailler au Royaume-Uni mais qu’ils n’avaient pas de visa pour». Ces incarcérations, qui ont
parfois duré plusieurs jours, ont eu lieu «lorsqu’un vol retour n’était pas possible dans les
vingt quatre heures suivant leur arrivée», a expliqué un porte-parole. Ces situations inédites ont été
vécues par des Espagnols, des Italiens, mais aussi un Français qui, selon des sources
officielles, a été retenu pendant quarante-huit heures à l’aéroport d’Edimbourg, capitale
écossaise.
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les retours forcés ont explosé en un an, passant
de 493 au premier trimestre 2020 à 3 294 en 2021 à la même période, même si la majorité de
ceux-ci ne passe pas par la case détention. Une conséquence concrète du Brexit et de l’arrêt
de la libre circulation au 1er janvier 2021. Certaines nationalités, à l’instar des Roumains, des
Bulgares ou encore des Polonais, qui font partie des principaux migrants en Grande-Bretagne,
sont plus concernées par ces mesures. Côté français, 30 personnes avaient été refoulées à la
frontière au premier trimestre 2020, contre 54 cette année. «Les chiffres risquent d’augmenter à
l’avenir parce qu’à cause du Covid, le nombre d’arrivées depuis l’Europe est encore assez
bas», relève Marley Morris, qui suit les conséquences du Brexit sur l’immigration pour le
thinktank Institute for Public Policy Research. D’après le chercheur, les expulsions se multiplieraient
notamment à cause du flou qui règne autour des mesures adoptées récemment. Les voyageurs
seraient mal informés et les services de douanes peu aiguillés. «Le système n’a pas encore été
bien testé et cela va prendre du temps avant qu’il fonctionne correctement», poursuit-il.
«Il ne reste que trente jours»
Face à l’émoi et la colère grandissante, le ministère de l’Intérieur a été forcé, le 12 mai, de
publier de nouvelles directives. Désormais, au lieu d’être placé en détention, des mises en
liberté sous caution seront autorisées. Mais d’autres témoignages diffusés dans la presse
britannique ces dernières semaines dévoilent tout de même l’extrême - et nouvelle - rigidité des
douaniers. Au-delà des incarcérations, d’autres Européens ont été retenus de longues heures
aux services de douane alors qu’ils présentaient les bons documents. «Le plus gros challenge
sera après le 30 juin, qui est le dernier jour pour demander le "pre-settled status" [qui donne
accès aux droits de résidence, de santé et de travail aux Européens qui vivent depuis plus de
six mois au Royaume-Uni, ndlr], estime Marley Morris. Pour l’instant, il n’y a rien de prévu pour
ceux qui manqueront cette date. C’est assez inquiétant.»
Au mois d’avril, 5,4 millions de citoyens européens avaient enregistré leur demande. La
délégation de l’Union européenne au Royaume-Uni presse ceux qui ne l’ont toujours pas fait de
se dépêcher : «Un grand nombre de demandes sont toujours en cours. Il ne reste que trente
jours. Citoyens de l’UE : postulez maintenant», exhortait le 1er juin João Vale de Almeida, son
ambassadeur à Londres
Bienvenue dans la nouvel Europe ....ou les Anglais parlent de certains autres pays européens comme de "pays poubelle"
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