Mustapha Touahir est né dans une famille d’immigrés algériens installée à Croix (Nord). Si à la maison, « l’argent ne coule pas à flot », ses parents insufflent à leurs enfants le goût de l’école et des études. Mustapha se distingue, jusqu’à intégrer Polytechnique et devenir haut fonctionnaire.
Imperméable noir sur le dos, lunettes carrées noires sur le visage, l’homme nous accueille avec un grand sourire aux lèvres. C’est lui qui a choisi le lieu, un salon de thé Paul à Roubaix, en face du parc Barbieux, « et du lycée Baudelaire », où il a fait ses classes. Tout près de là où il a grandi aussi, et où il rentre quand il peut, le temps d’un week-end.
Mustapha Touahir, 37 ans, aime à le dire lui-même : avec son histoire, il fait figure « d’anomalie statistique ». Figure seulement, car à l’écouter, il n’y a aucune anomalie.
Il faut remonter à la fin des Trente Glorieuses pour retracer l’itinéraire de sa famille en France. Durant cette période, la France fait venir des travailleurs d’Algérie dans le cadre d’accords passés avec son ancienne colonie. Dans les années 1970, les parents de Mustapha et leurs cinq enfants vivent sur les versants de l’Anneb, un pic montagneux à trois heures de route d’Alger - « la Creuse » – plaisante le trentenaire. Son père, devenu soudeur « sur le tard, un peu par hasard » arrive le premier en France pour prendre le chemin d’une usine de tissage mécanique de Roubaix. « En célibat géographique », précise Mustapha.
L’Algérie, un lieu « abstrait »
En 1980, de l’autre côté de la Méditerranée, un séisme comme l’Algérie n’en a jamais connu frappe la région d’origine de la famille Touahir. Les villages ravagés se comptent par dizaines, les morts par milliers. C’est ce drame qui détermine la mère de Mustapha à faire à son tour le choix de l’exil, avec ses cinq enfants.
La famille s’établit à Croix, à côté de Roubaix. Quatre enfants y naissent, dont Mustapha, l’avant-dernier de la fratrie, en 1985. « Ça a créé deux groupes parmi nous, les « petits » et les « grands », explique le trentenaire aux yeux noirs. Une partie de mes frères et sœurs sont des immigrés, c’est une caractéristique forte. »
À la maison, on parle l’arabe mais l’Algérie reste un lieu « abstrait » pour Mustapha. « On n’y allait pas, explique-t-il. C’était la guerre civile et on n’avait pas les moyens. Mes parents n’y retournaient que pour enterrer les morts… »
« J’ai eu un père au chômage jusqu’à sa retraite »
Dans le Nord, c’est l’heure du déclin de l’industrie textile. Les usines ferment les unes après les autres ou tentent, avec l’énergie du désespoir, d’innover. Dans celle du père de Mustapha, on fait venir « une grosse machine venue d’Allemagne » et son illettrisme le conduit à être remercié. « J’ai quelques images de lui allant à l’usine, se souvient Mustapha. Mais dès le début des années 1990, c’était fini. J’ai eu un père au chômage jusqu’à sa retraite. »
Il se veut pudique sur la pauvreté dans laquelle il a grandi. « L’équation est simple : deux parents sans emploi, neuf enfants… » entame-t-il en haussant les épaules. Tout juste évoque-t-il les visites de sa mère aux Restos du cœur pour remplir le réfrigérateur ou ce voyage scolaire en CM1 pour lequel, « par réflexe », il retourne le bordereau en indiquant qu’il n’y participera pas. « La question ne se posait pas. » Afin qu’il puisse partir, son instituteur va prendre à sa charge une partie des frais du voyage. En évoquant ce souvenir, trente ans après, Mustapha a les larmes aux yeux.
« L’argent ne coulait pas à flots, c’est peu dire… poursuit-il. Mais on ne manquait de rien, ma mère ne voulait pas qu’on le porte sur nous. Pas d’apitoiement. »
Il fait du lit de ses parents son bureau
La famille vit dans une grande maison de Croix que les parents ont pu acquérir. « À l’époque, les prix n’étaient pas les mêmes, explique Mustapha. C’était une ruine mais on n’a jamais été les uns sur les autres. »
Il partage une chambre avec son frère mais investit celle des parents pour faire ses devoirs, parce qu’elle « ferme à clé ». « La contrepartie c’est que mon bureau, c’était le lit de mes parents ! »
Mustapha se livre plus volontiers sur son parcours scolaire. Non pas pour « flatter [son] ego », mais plutôt pour mettre en lumière « un discours dissonant » qui a affleuré après une longue réflexion sur son histoire : « Je n’ai pas réussi malgré mon milieu… mais grâce à mon milieu. »
« J’ai grandi très vite »
Enfant, il se sent « très tôt confronté à l’injustice ». Cela ne va pas être sans conséquences. Quand il est en CE1, il s’attend à recevoir, en récompense de ses bonnes notes, comme l’année précédente, le livre que la maîtresse remet au premier de la...Il vous reste 70% de cet article à lire.
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