D’année en année, les vagues de chaleur sont plus fréquentes et plus intenses. Partout, les plus défavorisés sont les plus exposés. En France, les habitants des foyers de travailleurs migrants, surreprésentés dans les métiers du bâtiment, voient leurs conditions de vie et de travail fortement affectées.
Névil Gagnepain (Bondy Blog)
« L’année« L’année dernière, même quand il faisait 45 °C, on devait bosser. On avait une heure de pause, le midi, c’est tout. Le patron s’en foutait. » Booba* travaille sur les échafaudages des chantiers du BTP. Arrivé en France en 2017 depuis le Mali, il est en situation irrégulière et vit dans un foyer de travailleurs migrants (FTM) dans le XIIIe arrondissement de Paris.
La majorité des travailleurs qui peuplent ces foyers sont originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Comme Booba, nombre d’entre eux travaillent dans le BTP. Le secteur d’activité dont les travailleurs sont les plus touchés par le dérèglement climatique en Europe. Lorsqu’ils sont en situation irrégulière, ils travaillent au noir, sous un faux nom ou avec de faux papiers. À la merci de leurs patrons, ils sont souvent recrutés par des entreprises sous-traitantes et sont en proie à des cadences infernales.
Lors des vagues de chaleur, comme en a connu l’été 2022, leurs journées se transforment en calvaire. « L’année dernière, une après-midi, il faisait tellement chaud que j’ai cru que j’allais mourir, se remémore Booba. Il était 14 heures, j’ai prévenu mes collègues que je me sentais mal, je me suis mis sur le côté. Mais le patron nous forçait à travailler, et je suis obligé de l’accepter pour payer les factures. » À plusieurs mètres de hauteur, sur les échafaudages, un malaise peut entraîner une chute fatale.
Agrandir l’image : Illustration 1Un travailleur dans sa chambre partagée de 16 mètres carrés en février 2023. © Olorin Maquindus pour le Bondy Blog
Le BTP n’est pas le seul secteur d’activité des habitants des foyers. Plus généralement, ils exercent dans les métiers « en tension », où la main-d’œuvre manque et dans lesquels les conditions salariales et de travail sont des plus précaires. La livraison, la propreté, la restauration, les espaces verts, autant de professions pénibles particulièrement exposées aux fortes chaleurs.
Chaleur au travail, chaleur dans les chambres
Les conséquences des fortes chaleurs ne s’arrêtent pas à la porte du foyer. Souvent nombreux dans des chambres exiguës et mal isolées où les vitres et les murs chauffent, les habitants se retrouvent entassés dans des espaces irrespirables. « La chaleur est telle que parfois, tu ne peux pas rentrer dans ta chambre, tu as l’impression que quelqu’un est en train de cuisiner dedans », décrit Booba.
Malgré la fatigue, il est difficile de trouver le sommeil entre ces murs. « Même si tu travailles tôt le lendemain, tu ne rentres pas dans la chambre avant deux ou trois heures du matin, relate-t-il. C’est un peu plus frais à quatre ou cinq heures, mais ça laisse peu de temps pour dormir. »
Abdoulaye, lui, vit dans un foyer à l’est de la capitale, depuis plus de dix ans. Il dort dans une chambre de 9 mètres carrés avec deux de ses proches. Son constat est le même : « Tous ceux qui se réveillent à 5 ou 6 heures du matin finissent leur nuit dans les transports. »
En attendant que sa chambre retrouve une température acceptable, Abdoulaye patiente dehors. « Ils ont fermé tous les espaces communs dans les foyers, explique-t-il. Avant, on pouvait aller dans les cuisines collectives pour ne pas chauffer encore plus la chambre en faisant à manger, mais ce n’est plus possible. Tu es obligé de sortir dans la rue, d’attendre sur le trottoir que ce soit vivable. »
Les actifs ne sont pas les seuls à peupler les foyers. On y trouve quelque 55 000 chibanis (retraités immigrés originaires d’Afrique du Nord), selon les chiffres du gouvernement. Résidant dans ces établissements depuis presque un demi-siècle pour certains, ils doivent justifier de six mois pour toucher l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse). L’obligation de séjour en France passera à neuf mois au 1ᵉʳ septembre 2023 pour toucher cette allocation indispensable pour compenser des pensions de retraite rachitiques.
Des chambres insalubres et surpeuplées
Selon l’Insee, en Île-de-France, 22 300 places étaient occupées dans les foyers de travailleurs migrants en 2022. En réalité, c’est beaucoup plus. Les foyers parisiens ont pour la majorité été construits dans les années 1960 et 1970, pendant les Trente Glorieuses. Ils devaient répondre à un besoin de logements pour la main-d’œuvre étrangère largement employée à la reconstruction du pays après-guerre.
« Les foyers ont été construits rapidement afin de loger près de 110 000 résidents au détriment des notions de confort et d’intimité : unités de vie, chambres de 7,5 mètres carrés ou à lits multiples, cuisines et sanitaires partagés. Ces structures, souvent suroccupées en zones tendues, se sont rapidement dégradées », peut-on lire sur le site du gouvernement. Dans un rapport public à la Cour des comptes datant de 2014, il est même indiqué que 2 718 chambres du gestionnaire de foyers Adoma mesuraient seulement 4,5 mètres carrés.
« Ici encore, ça va, moi, j’ai vu des choses dans d’autres foyers, c’était tellement dégueulasse », confirme Michael, assis sur un des deux lits disposés en L dans la chambre qu’il partage avec son grand-oncle. « Quand il fait chaud, ça fait remonter les odeurs, les nuisibles, les cafards », décrit-il.
Théoriquement, il faut un titre de séjour pour obtenir une place en foyer. Mais même avec, aujourd’hui, les places sont rares. Au fil des générations, les travailleurs qui vivaient en foyer ont été rejoints par des proches, leurs fils, leurs cousins. Sans papiers, ils ne peuvent prétendre à l’obtention d’un logement. Alors, les chambres à l’origine individuelles se sont transformées en chambres collectives.
« Parfois, il y a cinq ou six personnes dans 9 mètres carrés, affirme Abdoulaye. On accueille des gens qui ont besoin de se reconstruire. Si on ne fait pas ça, les gens sont dehors, dorment à La Chapelle et peuvent tomber dans la drogue. » Alors les habitants partagent le peu qu’ils ont avec leurs proches le temps qu’ils construisent leur autonomie.
Les sociétés gestionnaires des foyers sont bien conscientes du problème de surpopulation des chambres, mais ce n’est pas forcément à leur désavantage. Les prix des loyers dans les foyers parisiens ne sont pas loin des prix au mètre carré des habitats « traditionnels ». « On doit payer 470 euros pour 12 mètres carrés, expose Michael. Les gestionnaires savent, mais ils ne disent rien, comme nous, pour pouvoir avoir leur argent. » « Quand on ne bosse pas, c’est difficile de payer des chambres à 470 euros, on doit payer à plusieurs », tranche-t-il.
Les habitants soumis aux pressions des gestionnaires
Booba et ses camarades doivent s’organiser pour rendre le quotidien vivable. Mais des solutions pourtant simples peuvent amener leur lot de problèmes. « On a acheté un ventilateur il y a quelques années. Le gestionnaire est venu nous dire que c’était interdit, il faut l’enlever. Si tu refuses, ils menacent de t’envoyer un courrier d’expulsion », affirme-t-il.
Les résidents n’ont manifestement pas d’autre choix que de se plier à leur bon vouloir. Abdoulaye, Booba et Michael font partie des Gilets noirs, un mouvement autonome qui lutte « pour des papiers pour tous et toutes, pour la dignité et l’autodéfense immigrée face au racisme et à l’exploitation ». Une des vocations du mouvement est d’imposer un rapport de force pour combattre les oppressions dans les foyers et au travail.
« C’est très dur d’être un immigré en France. On est à la merci des patrons et des gestionnaires », confirme Booba. Il caresse tout de même l’espoir d’obtenir enfin un titre de séjour après des années de labeur dans le pays. Il espère même pouvoir ensuite créer sa propre boîte dans les échafaudages. En attendant, durant les nuits de canicule, Booba continue à passer de longues heures dehors en attendant de pouvoir fermer les yeux quelques heures.
Névil Gagnepain (Bondy Blog)
« L’année« L’année dernière, même quand il faisait 45 °C, on devait bosser. On avait une heure de pause, le midi, c’est tout. Le patron s’en foutait. » Booba* travaille sur les échafaudages des chantiers du BTP. Arrivé en France en 2017 depuis le Mali, il est en situation irrégulière et vit dans un foyer de travailleurs migrants (FTM) dans le XIIIe arrondissement de Paris.
La majorité des travailleurs qui peuplent ces foyers sont originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Comme Booba, nombre d’entre eux travaillent dans le BTP. Le secteur d’activité dont les travailleurs sont les plus touchés par le dérèglement climatique en Europe. Lorsqu’ils sont en situation irrégulière, ils travaillent au noir, sous un faux nom ou avec de faux papiers. À la merci de leurs patrons, ils sont souvent recrutés par des entreprises sous-traitantes et sont en proie à des cadences infernales.
Lors des vagues de chaleur, comme en a connu l’été 2022, leurs journées se transforment en calvaire. « L’année dernière, une après-midi, il faisait tellement chaud que j’ai cru que j’allais mourir, se remémore Booba. Il était 14 heures, j’ai prévenu mes collègues que je me sentais mal, je me suis mis sur le côté. Mais le patron nous forçait à travailler, et je suis obligé de l’accepter pour payer les factures. » À plusieurs mètres de hauteur, sur les échafaudages, un malaise peut entraîner une chute fatale.
Agrandir l’image : Illustration 1Un travailleur dans sa chambre partagée de 16 mètres carrés en février 2023. © Olorin Maquindus pour le Bondy Blog
Le BTP n’est pas le seul secteur d’activité des habitants des foyers. Plus généralement, ils exercent dans les métiers « en tension », où la main-d’œuvre manque et dans lesquels les conditions salariales et de travail sont des plus précaires. La livraison, la propreté, la restauration, les espaces verts, autant de professions pénibles particulièrement exposées aux fortes chaleurs.
Chaleur au travail, chaleur dans les chambres
Les conséquences des fortes chaleurs ne s’arrêtent pas à la porte du foyer. Souvent nombreux dans des chambres exiguës et mal isolées où les vitres et les murs chauffent, les habitants se retrouvent entassés dans des espaces irrespirables. « La chaleur est telle que parfois, tu ne peux pas rentrer dans ta chambre, tu as l’impression que quelqu’un est en train de cuisiner dedans », décrit Booba.
Malgré la fatigue, il est difficile de trouver le sommeil entre ces murs. « Même si tu travailles tôt le lendemain, tu ne rentres pas dans la chambre avant deux ou trois heures du matin, relate-t-il. C’est un peu plus frais à quatre ou cinq heures, mais ça laisse peu de temps pour dormir. »
Abdoulaye, lui, vit dans un foyer à l’est de la capitale, depuis plus de dix ans. Il dort dans une chambre de 9 mètres carrés avec deux de ses proches. Son constat est le même : « Tous ceux qui se réveillent à 5 ou 6 heures du matin finissent leur nuit dans les transports. »
En attendant que sa chambre retrouve une température acceptable, Abdoulaye patiente dehors. « Ils ont fermé tous les espaces communs dans les foyers, explique-t-il. Avant, on pouvait aller dans les cuisines collectives pour ne pas chauffer encore plus la chambre en faisant à manger, mais ce n’est plus possible. Tu es obligé de sortir dans la rue, d’attendre sur le trottoir que ce soit vivable. »
Les actifs ne sont pas les seuls à peupler les foyers. On y trouve quelque 55 000 chibanis (retraités immigrés originaires d’Afrique du Nord), selon les chiffres du gouvernement. Résidant dans ces établissements depuis presque un demi-siècle pour certains, ils doivent justifier de six mois pour toucher l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse). L’obligation de séjour en France passera à neuf mois au 1ᵉʳ septembre 2023 pour toucher cette allocation indispensable pour compenser des pensions de retraite rachitiques.
Des chambres insalubres et surpeuplées
Selon l’Insee, en Île-de-France, 22 300 places étaient occupées dans les foyers de travailleurs migrants en 2022. En réalité, c’est beaucoup plus. Les foyers parisiens ont pour la majorité été construits dans les années 1960 et 1970, pendant les Trente Glorieuses. Ils devaient répondre à un besoin de logements pour la main-d’œuvre étrangère largement employée à la reconstruction du pays après-guerre.
« Les foyers ont été construits rapidement afin de loger près de 110 000 résidents au détriment des notions de confort et d’intimité : unités de vie, chambres de 7,5 mètres carrés ou à lits multiples, cuisines et sanitaires partagés. Ces structures, souvent suroccupées en zones tendues, se sont rapidement dégradées », peut-on lire sur le site du gouvernement. Dans un rapport public à la Cour des comptes datant de 2014, il est même indiqué que 2 718 chambres du gestionnaire de foyers Adoma mesuraient seulement 4,5 mètres carrés.
« Ici encore, ça va, moi, j’ai vu des choses dans d’autres foyers, c’était tellement dégueulasse », confirme Michael, assis sur un des deux lits disposés en L dans la chambre qu’il partage avec son grand-oncle. « Quand il fait chaud, ça fait remonter les odeurs, les nuisibles, les cafards », décrit-il.
Théoriquement, il faut un titre de séjour pour obtenir une place en foyer. Mais même avec, aujourd’hui, les places sont rares. Au fil des générations, les travailleurs qui vivaient en foyer ont été rejoints par des proches, leurs fils, leurs cousins. Sans papiers, ils ne peuvent prétendre à l’obtention d’un logement. Alors, les chambres à l’origine individuelles se sont transformées en chambres collectives.
« Parfois, il y a cinq ou six personnes dans 9 mètres carrés, affirme Abdoulaye. On accueille des gens qui ont besoin de se reconstruire. Si on ne fait pas ça, les gens sont dehors, dorment à La Chapelle et peuvent tomber dans la drogue. » Alors les habitants partagent le peu qu’ils ont avec leurs proches le temps qu’ils construisent leur autonomie.
Les sociétés gestionnaires des foyers sont bien conscientes du problème de surpopulation des chambres, mais ce n’est pas forcément à leur désavantage. Les prix des loyers dans les foyers parisiens ne sont pas loin des prix au mètre carré des habitats « traditionnels ». « On doit payer 470 euros pour 12 mètres carrés, expose Michael. Les gestionnaires savent, mais ils ne disent rien, comme nous, pour pouvoir avoir leur argent. » « Quand on ne bosse pas, c’est difficile de payer des chambres à 470 euros, on doit payer à plusieurs », tranche-t-il.
Les habitants soumis aux pressions des gestionnaires
Booba et ses camarades doivent s’organiser pour rendre le quotidien vivable. Mais des solutions pourtant simples peuvent amener leur lot de problèmes. « On a acheté un ventilateur il y a quelques années. Le gestionnaire est venu nous dire que c’était interdit, il faut l’enlever. Si tu refuses, ils menacent de t’envoyer un courrier d’expulsion », affirme-t-il.
Les résidents n’ont manifestement pas d’autre choix que de se plier à leur bon vouloir. Abdoulaye, Booba et Michael font partie des Gilets noirs, un mouvement autonome qui lutte « pour des papiers pour tous et toutes, pour la dignité et l’autodéfense immigrée face au racisme et à l’exploitation ». Une des vocations du mouvement est d’imposer un rapport de force pour combattre les oppressions dans les foyers et au travail.
« C’est très dur d’être un immigré en France. On est à la merci des patrons et des gestionnaires », confirme Booba. Il caresse tout de même l’espoir d’obtenir enfin un titre de séjour après des années de labeur dans le pays. Il espère même pouvoir ensuite créer sa propre boîte dans les échafaudages. En attendant, durant les nuits de canicule, Booba continue à passer de longues heures dehors en attendant de pouvoir fermer les yeux quelques heures.
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