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Ces abayas qui dévoilent le racisme

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  • Ces abayas qui dévoilent le racisme

    Les manœuvres racistes et islamophobes passent trop souvent pour une simple diversion de la part des gouvernants. Mais il s'agit d'un procédé beaucoup plus complexe et profond. Nous allons tenter ici une analyse pour essayer de saisir le caractère réel de ces postures et surtout tenter de voir quelle riposte on pourrait apporter qui soit lucide et conséquente.

    Comme à l'accoutumée en cette période de rentrée scolaire, le Ministère de l'Education Nationale fait parler de lui. Et comme d'habitude, il s'agit de susciter une polémique sur le dos d'une minorité. Le nouveau ministre joue une partition bien connue : jeter la suspicion sur la minorité musulmane.

    Le voilà donc qui dégaine la carte abaya là où on aurait aimé discuter conditions de travail et d'étude et revalorisation salariale. Evidemment, les syndicats et partis d'opposition montent au créneau : cessez avec cette diversion qui empêche d'aborder les vrais problèmes! Pire, souvent pressés par des journalistes de se positionner par rapport à la déclaration de Gabriel Attal, ils s'y rallient avec plus ou moins d'enthousiasme.

    Les manœuvres racistes et islamophobes passent trop souvent, comme ici, pour une simple diversion de la part des gouvernants. Mais il s'agit d'un procédé beaucoup plus complexe et profond. Nous allons tenter ici une analyse pour essayer de saisir le caractère réel de ces postures et surtout tenter de voir quelle riposte on pourrait apporter qui soit lucide et conséquente.

    Imaginons pour commencer une situation où un autre groupe est mis sur le banc des suspects. Les fonctionnaires ou les bénéficiaires des prestations sociales jouent parfois ce rôle de boucs émissaires. Une réforme de retraites à faire avaler : on ressort les privilèges des premiers. Un scandale d'évasion fiscale éclate : on balance la fraude aux prestations sociales. Dans ce deuxième cas, un fond de racisme y est mêlé de façon systématique, surtout lorsqu'il s'agit de remettre en question les règles d'attribution elles-mêmes : c'est là qu'on voit ressurgir les poncifs autour de la culture de la famille nombreuse et de la fainéantise congénitale ethniquement transmissible.

    Ces deux catégories de la population ne sont pas évidemment choisies au hasard. Une société capitaliste idéale considèrerait ces catégories comme des anomalies. Les éliminer ou de moins réduire au maximum fait partie de ses objectifs réels. Ainsi, quand le moment venu on les pointe du doigt, le but n'est pas uniquement de faire détourner les regards. Le but c'est aussi de faire converger les regards vers ce quelque chose qu'on considère réellement comme un problème, une anomalie, une nuisance à supprimer.

    Ils ne s'agit donc pas d'une simple diversion dans le sens où un enfant qui souhaite voler le bonbon d'un autre lui dit : "Oh ! regarde l'oiseau !" puis chipe la friandise. Non, car dans ce cas de simple diversion, l'enfant n'en a rien à faire de l'oiseau (qui n'existe la plupart du temps même pas). Ce potentiel mais improbable oiseau cesse de jouer son rôle au moment même où le regard de la victime a été détourné alors que dans nos exemples les boucs émissaires désignés sont de vraies cibles. On veut réellement s'en débarrasser. On jette un discrédit et une suspicion sur des catégories de personnes bien réelles. Et la boue du discrédit est arrivée sur eux tout sauf par hasard. Ce sont les rapports de forces entre les classes sociales qui créent les conditions des avancées ou des reculs sociaux et ces procédés font bien évidemment partie de ce combat sourd et néanmoins permanent. Chacune de ces attaques relayées la plupart du temps avec une complaisance assumée par les médias dominants n'est donc pas uniquement un moyen de défense censée simplement détourner les regards d'un sujet gênant mais aussi et surtout une attaque préparant les esprits et la conscience collective à de futurs reculs qui viendront "réparer des injustices" (comme les régimes spéciaux de retraite) ou bien "responsabiliser les plus démunis" (en faisant travailler gratuitement les bénéficiaires du RSA par exemple).

    Il en est de même ici avec les musulmans. La suspicion dont ils sont victimes est bien réelle et permanente. Et ce choix non plus n'est pas dû au hasard. Le capitalisme contemporain est structurellement inégalitaire et basé sur l'exploitation des classes laborieuses par les classes possédant le capital. Construit en France historiquement sur le colonialisme, au sein duquel les inégalités entre les hommes ont été naturalisées il a donc intégré ces inégalités particulières dans sa structure même. Nos discours sur de nombreux sujets aujourd'hui sont imprégnés de ce racisme ou de cette supériorité de nos sociétés occidentales et blanches.

    Je dis "nos" car au-delà de nos gouvernants qui tiennent des discours et mènent des politiques ouvertement discriminatoires (il n'y a qu'à voir l'actualité de Mayotte de ces derniers mois pour s'en convaincre) nous pouvons tous être victimes de biais et d'impensés de ce genre. Le tout est de savoir le reconnaître et tenter de les démasquer lorsqu'ils se présentent. Il en est de même des biais sexistes, hétéronormés ou encore de ceux liés à nos classes sociales respectives. Ayant grandi dans un milieu social donné, notre être intellectuel en a subi l'influence. Tenter de nier cela serait la pire des choses à faire pour notre évolution ultérieure, si toutefois nous souhaitons aller dans un certain sens de progrès social.

    Mais revenons à nos tissus.

    Cette affaire d'abayas est dangereuse à plus d'un titre puisqu'elle nous fait entrer dans un régime où ce sont des intentions qui seraient criminalisées et non plus uniquement des actes. En effet, comme l'explique fort bien Jean-Fabien Spitz (dans cet entretien au site Café Pédagogique) :

    "Cela voudrait dire qu’un vêtement changerait de sens en fonction de l’intention de celui qui le porte, ce qui justifierait son interdiction lorsqu’il est avéré que celui ou celle qui le porte a l’intention de lui conférer une signification religieuse. [...] L’idée d’un vêtement religieux par destination conduirait à juger différemment un seul et même acte – le port d’une robe longue – en fonction de l’intention de celle qui l’accomplit. C’est la définition même de l’arbitraire, car un État de droit applique une règle uniforme à des actes extérieurement identiques. C’est aussi la porte ouverte à une dérive sans fin car tout signe, tout vêtement peut devenir « religieux par destination ». Il suffit pour cela que les autorités – le proviseur du lycée, le principal, le législateur – décident qu’ils revêtent une intention dont les autorités elles-mêmes sont les juges en dernière instance. Quel est le recours des citoyens face à un tel abus ?"

    Donc, quand Gabriel Attal désigne les abayas comme un sujet de rentrée, ce n'est pas uniquement pour éviter de parler de choses gênantes. Tout d'abord, nous devons malheureusement admettre qu'en ce qui concerne l'éducation il n'y a pas vraiment de sujet gênant pour le gouvernement. En effet, depuis plusieurs années nous nous sommes habitués à voir les différents ministres en difficulté dire simplement la formule magique "J'assume !" et poursuivre leur chemin. Ainsi, Gabriel Attal assume avoir effectué sa scolarité dans le privé tout comme Pap Ndiaye assumait y avoir fait scolariser ses enfants. Après tout, quand on songe que le président de la république assumait vouloir "emmerder" une partie de la population on se dit que la marge est grande.

    Faut-il aussi rappeler tout ce qu'on avait cru être une raison suffisante pour la démission de Jean-Michel Blanquer? Blanquer qui a, rappelons le, battu le record de longévité au sein du ministère de la rue de Grenelle malgré ses mensonges, erreurs, manipulations... Décidément, il lui suffisait d'assumer... et surtout de suivre à la lettre le plan de démantèlement de l'Education Nationale. Rappelez-vous!

    Vous imaginez donc vraiment qu'ils ont besoin d'une diversion pour ne pas avoir à assumer la non tenue d'une promesse sur la revalorisation salariale des enseignants? Voyons, ce n'est pas sérieux.

    Par contre cette mise en avant des abayas et donc cette suspicion généralisée balancée encore une fois sur tous nos élèves de confession musulmane doit être considérée positivement, c'est à dire comme étant porteuse d'un objectif propre. Et là on retrouve le caractère structurel de ce racisme qui imprègne toujours les structures colonialistes de notre société. Oui, on entend maintenir certaines catégories de la population dans une situation d'infériorité.

    Ces gens qui devront passer leur existence en essayant de prouver une loyauté. Ces gens qui devront surjouer leur patriotisme, s'excuser en permanence pour certains actes commis par quelqu'un de leur "communauté" et qui malgré tout cela resteront toujours des suspects, des coupables d'astreinte. Alors que si vous êtes blanc vous pouvez ne pas chanter l'hymne national sans émouvoir les racistes des plateaux. Vous pouvez ne pas vous désolidariser des assassins d'extrême droite qui pourtant prennent de plus en plus d'assurance dans de nombreux pays y compris chez nous. Vous pouvez même écrire votre nom sur votre CV sans que cela vous soit préjudiciable. Et attention, je ne suis pas en train de dire qu'en étant de la bonne couleur de peau la vie est facile ! Oh que non ! La lutte des classes est la pour nous le rappeler. Mais ce que je suis en train d'essayer de montrer c'est que nous ne pourrons améliorer fondamentalement nos existences sans soutenir la lutte de tous les opprimés et polyopprimés. Et encore moins en participant que ce soit activement ou passivement à leur oppression.

    Car toutes ces dominations, qu'elles soient de race, de genre, sociales ou bien autres, font partie de la constitution du capitalisme contemporain. Celui-ci s'est construit sur de telles dominations et oppressions et elles participent encore aujourd'hui à ses profits matériels. Il en va donc pour le capitalisme d'un double intérêt à leur perpétuation.

    Un intérêt tout d'abord matériel. Imaginez simplement combien coûterait une égalisation des salaires entre les hommes et les femmes aux postes de travail équivalents. Ensuite essayez simplement d'imaginer ce que coûterait la juste rémunération des pays du tiers-monde pour leurs ressources naturelles. Il s'agit d'une opération impossible puisqu'incompatible avec la survie du capitalisme.

    Il y a ensuite un intérêt idéologique qui permet la poursuite de l'accaparement des intérêts matériels ainsi que leur expansion. Ce champ idéologique est essentiel pour la naturalisation des inégalités. Etant construit autour des inégalités matérielles, entre ceux qui possèdent du capital autre que leur seule force de travail et les autres, qui ne possèdent que cela, le capitalisme se doit d'envelopper cette réalité crue dans des draps de toutes sortes.

    Enfin, il ne faut tout de même pas mésestimer le rôle du morcellement des classes dominées issu de ces diverses discriminations. Quelle meilleure manière de justifier des situations peu enviables que de pointer du doigt vers un bouc émissaire qui est également tout aussi, sinon plus, victime du même système d'exploitation.

    Les manœuvres de diversion existent bel et bien. Mais voir dans cette interdiction des abayas une simple diversion aurait des conséquences néfastes quant à nos luttes. Car celles-ci, pour n'avoir ne serait-ce qu'une chance d'être victorieuses n'ont pas le droit d'être aveugles quant aux structures du capitalisme. Car c'est bien lui qui nous exploite et prolétarise. La riposte sera donc évidemment sociale. Mais elle ne pourra pas ne pas être antiraciste, anti-impérialiste, antisexiste et solidaire de tout combat contre toute forme de domination. Sinon, une potentielle victoire ne serait qu'éphémère et partielle. Ou plus vraisemblablement ne serait pas.

    Jadran Svrdlin
    Dernière modification par HADJRESS, 31 août 2023, 13h47.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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