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« Au travail, j’entends parfois : “Tu n’es pas comme eux”, sous-entendu comme les jeunes de banlieue....

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  • « Au travail, j’entends parfois : “Tu n’es pas comme eux”, sous-entendu comme les jeunes de banlieue....

    qui font des conneries »

    « Premières fois » : récits de moments charnières autour du passage à l’âge adulte. Cette semaine, Jean Adilson Malungu, 31 ans, originaire de République démocratique du Congo, raconte les préjugés qu’il a dû affronter pour faire carrière dans le secteur bancaire.

    Par Charlotte Bozonnet


    CLARA DUPRÉ

    La première fois que je comprends qu’on ne me laissera pas facilement choisir mon orientation à cause de ma couleur de peau, je suis au collège, en 3e. Je viens d’obtenir mon brevet avec la note de 12/20. Rien d’extraordinaire mais c’est suffisant pour me permettre d’aller en seconde générale comme je le souhaite.

    En tout cas, en théorie, car je déchante vite quand je rencontre le CPE [conseiller principal d’éducation] : lui veut me pousser vers un métier manuel, du genre mécanique. J’écris alors au directeur du collège pour plaider ma cause et comme je suis bon en foot, il accepte de me faire passer en seconde générale option sport-études. A ce moment-là, je comprends qu’il va falloir me battre pour rester sur la voie que je me suis fixée.

    Je suis arrivé en France en 2003, depuis la République démocratique du Congo, avec ma mère et mes trois frères et sœurs. Nous sommes partis de Kinshasa du jour au lendemain à cause de la situation politique. J’ai alors 11 ans. En situation irrégulière, nous vivons d’abord à Paris dans un hôtel du 9e arrondissement – le Paris-Opéra, dont l’incendie en 2005 fera vingt-quatre morts, dont onze enfants –, le temps de faire les démarches.

    Puis nous sommes envoyés dans un centre d’hébergement à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) avant d’être régularisés en 2010. J’ai la chance d’être intégré en Segpa [section d’enseignement général et professionnel adapté]. Ce sont des classes spéciales pour les élèves de collège en difficulté, notamment les étrangers qui doivent apprendre le français. Le foot m’aide aussi beaucoup à me faire des amis.

    « Racisme ordinaire »


    On vit en HLM, dans une ZUP [zone à urbaniser en priorité]. Il n’y a pas beaucoup de mixité sociale, on est « entre nous », c’est-à-dire entre immigrés. Ma mère travaille comme femme de ménage. Dans le quartier, j’essaie d’éviter les mauvaises fréquentations. C’est parfois tendu avec la police : on traîne entre jeunes et on se fait souvent contrôler, sans raison. On est ados, ça nous donne un sentiment de révolte. Au lycée, je redouble ma seconde, je pense même arrêter l’école mais je ne veux pas décevoir ma mère, alors je m’accroche.

    A l’époque je suis un élève moyen, ni excellent ni mauvais. En revanche, je veux vraiment m’en sortir, c’est peut-être ça qui fait la différence. Je travaille beaucoup. En terminale, je trouve un job étudiant dans une grande chaîne de fast-food. C’est un déclic, je me dis : « Si tu n’as pas au moins un bac + 2, tu vas terminer là. » J’obtiens mon bac avec une mention assez bien, ensuite je m’inscris en DUT [diplôme universitaire de technologie] techniques de commercialisation à Orléans.

    Il faut que je trouve un stage de deux semaines mais je n’ai pas de réseau. Je finis par déposer une demande dans une banque à Châteauroux. Je ne connais personne dans cette agence mais c’est juste à côté du centre d’entraînement de foot, je passe devant très souvent alors je tente. Et ça marche ! Trois jours après avoir déposé mon CV, je reçois une réponse positive. Pourquoi m’ont-ils pris ? C’est une question que je me suis toujours posée…

    En 2014, je suis accepté à l’université d’Evry en licence banque, assurance et finance pour devenir conseiller clientèle. Je crois avoir envoyé deux cents CV pour trouver mon alternance, en vain. Finalement, je suis pris dans une banque en Ile-de-France car le père du directeur vit… à Châteauroux.

    J’ai eu la chance que des personnes me tendent la main mais quand on est noir et qu’on vient de ces quartiers, on est confronté à un racisme ordinaire. Un exemple : lors de mon premier stage, j’étais à l’accueil de l’agence bancaire quand une dame âgée est entrée, elle a demandé à parler à un « vrai conseiller » et a refusé de toucher le stylo après moi. Lorsque j’ai décroché mon premier poste de conseiller clientèle en CDI, en 2015, je me suis dit que ça allait changer, que dans le monde du travail, c’est l’efficacité qui ferait la différence. C’est faux.

    « J’ai toujours dû faire plus que les autres pour y arriver »


    D’ailleurs, à Châteauroux en 2014 puis à Paris ensuite, « on », les jeunes issus de l’immigration, n’étaient pas nombreux dans les banques. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de diversité mais le problème n’est pas réglé. On voit d’autres personnes nous passer devant pour les promotions. On n’est pas représenté aux postes-clés. J’ai vite compris que si je voulais continuer à monter les échelons, il fallait que j’obtienne des diplômes. Je voyais le plafond de verre arriver et, en 2018, j’ai décidé de reprendre mes études. Mon entreprise m’a fait confiance et payé un master de finance dans une école de commerce que j’ai obtenu en 2020.

    En neuf ans, je suis donc passé d’un poste à l’accueil à directeur adjoint de plusieurs agences bancaires dans les beaux quartiers de Paris. J’ai bénéficié de l’école publique, la République m’a donné ça. Je suis fier d’être français et congolais mais j’ai toujours dû faire plus que les autres pour y arriver. Ma couleur de peau me suit partout. C’est vrai dans le travail et dans la vie quotidienne. J’ai une grosse voiture, je me suis déjà fait contrôler par des policiers qui voulaient savoir si c’était bien la mienne et comment je l’avais achetée.

    Au travail, j’entends parfois ce genre de remarque : « Tu n’es pas comme eux » – sous-entendu comme les jeunes de banlieue qui font des conneries. Si, je suis comme eux ! J’ai grandi au même endroit, affronté les mêmes difficultés et, comme eux, je suis victime de préjugés. On n’a pas les mêmes chances au départ. A mon tour, maintenant que j’ai réussi, j’espère pouvoir aider des jeunes, leur tendre la main, comme d’autres l’ont fait pour moi.

    « Premières fois » : récits de vie au moment du passage à l’âge adulte. Si vous souhaitez témoigner sur un moment charnière de votre vie, écrivez-nous à [email protected].
    Charlotte Bozonnet
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    Il leur répond: "La grande majorité des jeunes de banlieue sont comme moi, elle passe inaperçue, et sait entendre entre les mots de la haine masquée".

    Commentaire

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