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Comment on est passé du "client est roi" au "client est… traité comme une merde"

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  • Comment on est passé du "client est roi" au "client est… traité comme une merde"

    Alors que les « questionnaires de satisfaction » et autres « Nous avons besoin de votre avis » affluent sur les boîtes mail, jamais les clients n’ont été aussi ignorés, dupés, maltraités. À l’heure des plannings stratégiques et des algorithmes fouineurs, le pacte vendeur-acheteur s’est sounoisement inversé.


    « Qu’est-ce que je vous sers, chère Madame ? Une entrecôte tendre comme mon cœur ? » Certes un peu faussé et hypocrite, le rapport traditionnel entre le client et son fournisseur était jadis simple et clair : le premier était traité comme un prince, avec courbettes, sourires et petite dose d’obséquiosité. Le second affichait une expertise joviale et son souci du « tout le monde est content » : qualité garantie, remise consentie en cas de gros achats, geste commercial immédiat en cas de problème. La clientèle représentait un vrai petit capital confiance, le commerçant ayant à cœur de chouchouter ses habitués, Graal de toute maison de bonne réputation. Une relation de connivence, un échange de chaleur humaine, parfois un peu surjoué, mais souvent tout à fait authentique, étaient de mise. Ce pacte de bonne entente perdure dans les commerces de bouche, les jolies petites boutiques de mode, les magasins non franchisés, les brocanteurs, les librairies de quartier. Autant d’établissements devenus quasi atypiques. En 2022, la France a enregistré la plus forte augmentation de défaillances d’entreprises depuis cinquante ans. Elles ont encore augmenté de 35 % en glissement annuel au deuxième trimestre 2023.


    Partout ailleurs, dans nombre d’enseignes et de services, le rapport de force et d’intérêt s’est inversé. L’amabilité a cédé la place à la désinvolture, voire à une brutalité à peine voilée. Ce revirement accompagne la montée en puissance des services « marketing », « études », « planning stratégique » dans les grosses boîtes et les entreprises publiques. À force de mathématiser, de rationaliser l’acte d’achat (avec efficacité, il est vrai), une forme d’arrogance méprisante s’est emparée des vendeurs ou des prestataires de services. La rouerie commerciale bon enfant s’est muée en dédain, parfois en agressivité. Loin d’être le VIP d’autrefois, le client – l’usager, voire l’administré – n’est plus réellement un être humain, mais une masse, une audience, un troupeau d’abrutis qui doit cracher au bassinet ou valider son billet sans demander son reste, avec coups de pied au derrière si besoin. En retour, il fait montre d’un fatalisme teinté d’humour (il n’est qu’à voir tous les sketchs sur le sujet !), et se résigne, un peu comme devant les frasques ou les entourloupes de nos politiques. Mais cette pseudo-résilience amusée n’est que le faux nez de la veulerie qui mène à l’abattoir…
    ***
    ON LUI SERT DE LA DAUBE

    Aujourd’hui, quand un faux bistrot vintage, un torchon people web ou une chaîne de fast fashion se « décarcassent », c’est surtout pour augmenter leurs marges en en foutant le moins possible. Cuisine d’assemblage en direct de Metro (le grand grossiste des pros, pourvoyeur de fondants au chocolat et de crèmes brûlées industriels), infos ras des pâquerettes collectées sans vérification par des tâcherons, fringues mal ficelées par de lointains esclaves : c’est la foire aux illusions. Comment a-t-on pu en arriver à ce qu’un simple « fait maison » devienne un titre de gloire pour une gargote (ainsi qu’un « cuit sur place » pour un boulanger) ? C’est que règne une honteuse soumission. Avez-vous déjà vu quiconque se révolter face à cette grosse arnaque généralisée (à part, bien sûr, le regretté Fufu dans l’Aile ou la Cuisse) ?




    ON LE FAIT ATTENDRE

    Le client des pays prétendument développés subit toutes les affres d’une économie de pénurie. Que ce soit pour acheter un passe Navigo, un bao branché dans un boui-boui encensé par les réseaux sociaux ou un kilo d’oranges au supermarché, pour faire un petit coucou à Van Gogh, Nicolas de Staël ou Rothko, pour accéder à son wagon Ouigo, passer la sécurité aux Aéroports de Paris, accéder à la Big Thunder Mountain de Disneyland, ou renouveler sa carte d’identité (pourtant un droit, pas un loisir !), ce ne sont qu’attentes interminables auprès d’acteurs globalement monopolistiques. Chez certains bouchers chics, il faut même parfois prendre un ticket numéroté ! Sans oublier les hotlines et les si mal nommés « services clients », injoignables quand on veut faire réparer un lave-linge qui déborde ou récupérer la WiFi dont on a besoin pour bosser. Il est assez significatif que certains services premium proposent, contre une forte augmentation tarifaire, la simple garantie de pouvoir accéder à un conseiller ou à ou un « enregistrement rapide », deux prestations de base…

    ON LE MALTRAITE

    Entassements ignobles dans des rames suffocantes, nasses organisées pour piéger un maximum de moutons innocents : assurément, la « gestion des flux » n’est pas le fort des entreprises de transport et des mairies, qui se targuent de « rendre la mobilité douce ». La SNCF est à la pointe. Faire embarquer dans un TGV alors qu’un autre débarque en face est l’une de ses spécialités. Bilan ? Un méga bordel anxiogène, qui favorise les pires instincts grugeurs et piétineurs. Le colis abandonné ou l’incident voyageur entraînent des ordres d’évacuation brutaux ou des arrêts prolongés en rase campagne, lumières éteintes, sans la moindre explication d’un chef de train qu’on a connu plus loquace (« Bonjooour, je suis Régis, etc. » Là, y a plus de Régis du tout !). Les embarquements de compagnies aériennes – même pas low cost– sont une succession d’avanies, avec stations interminables, debout dans des couloirs ou des sous-sols, voire des bus, peu ventilés. Il faut voir comment le moindre agent de sécurité vous enjoint insolemment de quitter chaussures, veste, ceinture – bref, tout ce qui fait votre dignité – au passage du guichet. Dans les administrations, l’ivresse mégalo du rond-de-cuir doté d’un micro-pouvoir autorise les pires exactions : « Non, sur cette photo d’identité, on ne voit pas le dixième supérieur droit de votre oreille, revenez dans six mois avec le modèle conforme pour votre passeport. »


    ON L’ESPIONNE

    Harcelé de pubs de gouttières à blanchiment dentaire ou d’ascenseurs d’escalier, inscrit de force à une newsletter de bas étage sans possibilité de se désinscrire tant la mention est minuscule, inondé de propositions indécentes (« Enlarge your penis ! ») : c’est désormais le quotidien du client de l’e-commerce, ce réservoir à data juteux. Merci les cookies, ces perfides microfichiers enregistrés dans la mémoire de votre navigateur. Ils collectent vos préférences et de précieuses informations sur votre profil, qui, contre rémunération, seront transmises aux marques qui vous jugeront « sensible à leurs produits ». C’est autorisé si vous avez accepté : le fameux « Tout accepter et continuer », qu’il est si compliqué, parfois impossible, de refuser. Pas sûr que ce consentement-là soit vraiment éclairé ! Naïf, inconscient, indolent, en pleine montée de dopamine liée au shopping à venir, vous ne pensez pas à mal. Eh bien, vous devriez ! La vente de fichiers a pris, via le Web, des proportions quasi démentes.

    ON LE VOLE

    Alors que l’inflation fait rage et que les merveilleux géants de l’agroalimentaire veulent, trop sympa, « défendre le pouvoir d’achat des Français » on assiste à un festival de pratiques trompeuses, à la limite de l’escroquerie. La plus dénoncée consiste à diminuer en douce la quantité d’un produit en conservant son prix initial, voire, pour les plus gonflés, en le gonflant. Les chips Lay’s, la mayo Amora, le Lipton Ice Tea, les dosettes de caoua Dolce Gusto ou les patates surgelées rissolées Findus seraient dans le collimateur. Autre ruse : remplacer un ingrédient par son équivalent moins coûteux et de plus médiocre qualité. Dernière filouterie : augmenter sans complexes, dans un contexte où ça passe crème, le prix d’un produit, sans que ses coûts de production aient varié dans les mêmes proportions ! Exemple ? Le chocolat chic qui se cogne actuellement un + 30 % ne correspondant à aucune réalité économique.

    ON LE PREND DE HAUT

    Boutiques de luxe à la froideur méprisante, gardées par d’impressionnants physios à oreillette (pour détecter le plouc fauché ?) ; décorum muséal, non pas festif et généreux comme dans les grands magasins d’antan (Harrods à Londres), mais glacé, avec des matières réfléchissantes angoissantes ; installations design et stériles où l’humain fait tache ; échoppes outrageusement cérémonieuses comme celles de ces pâtissiers chics aux gâteaux conceptuels mis sous cloches (« C’est quoi ? » - Un « beige », Madame !), afin de décourager les gourmands premier degré… On n’en finit pas de lister les manœuvres sordides des magasins de l’élite pour exclure le client pas assez sélect pour Leurs Grandeurs (et pour mieux piéger le parvenu ébloui).

    ON L’HUMILIE

    Errer, désemparé, un câble dépareillé tremblotant à la main dans un magasin de téléphonie, un temple Apple ou Darty, pourtant déserts, sans pouvoir établir ne fût-ce qu’un eye contact furtif avec des vendeurs, qui ont autre chose à faire que de secourir le client : c’est le lot commun de qui franchit les portes de ces sanctuaires où l’on est prié de ne pas déranger. Quand, enfin, tout étourdi d’avoir été si ostensiblement ignoré, ledit client chope enfin l’attention d’un des officiants, c’est pour s’entendre répondre : « C’est pas moi, c’est mon collègue » ou « Vous avez rendez-vous ? » Le moindre SAV se révélant désormais aussi difficile d’accès qu’un dermatologue ou un gynéco.

    ON LE PUNIT

    Il a commis une petite bourde ou un oubli ? Il va prendre cher. Toujours plus facile de s’en prendre à un individu de bonne foi qu’à un voyou impudent ! La mésaventure récente, arrivée à une gamine clermontoise partant en vacances, est symptomatique du syndrome « fort avec les faibles, faible avec les forts ». Une amende de 330 € pour avoir voyagé avec un billet à 147 € portant le nom de sa mère (laquelle l’a acheté pour sa fille et ne voyait pas le problème). L’idée du justicier verbalisateur était bien sûr d’« éviter un cas d’usurpation d’identité ou un usage frauduleux ». Pas du tout de racketter une jeune fille sans défense ! Si vraiment c’est son noble combat, on lui trouvera aisément d’autres clients pour ce type de malversations. Mais il faudra mettre un gilet pare-balles. Moins gratifiant que de s’acharner sur une mioche (et de la menacer d’alourdir la note de 50 € si elle ne paie pas tout de suite) !​​​​​​​

    Par Valérie Hénau
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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