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Loi immigration : le Sénat torpille l’article sur la régularisation des travailleurs sans papiers

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  • Loi immigration : le Sénat torpille l’article sur la régularisation des travailleurs sans papiers

    La droite sénatoriale et les centristes ont supprimé les rares mesures dites « humanistes » du texte porté par Gérald Darmanin. Une manœuvre qui assure à celui-ci un vote de sa loi par la chambre haute, mais qui ne présage de rien quant au sort qui lui sera réservé à l’Assemblée nationale.

    Nejma Brahim et Pauline Graulle

    AccorderAccorder un titre de séjour d’un an pour quelques milliers de cuisiniers, femmes de ménage ou ouvriers du bâtiment étrangers travaillant en France. C’en était déjà trop pour le Sénat qui a supprimé mercredi 8 novembre, par 191 voix contre 138, les deux seules mesures dites « humanistes » contenues dans le projet de loi de Gérald Darmanin sur l’immigration, discuté au palais du Luxembourg depuis le début de la semaine.

    Dans la soirée, la droite sénatoriale, alliée aux centristes, a ainsi torpillé, au nom de l’argument pourtant largement infondé d’« appel d’air pour les clandestins », l’article 3 du texte ouvrant la possibilité pour les sans-papiers de voir leur situation régularisée dès lors qu’ils travaillent dans un secteur en pénurie de main-d’œuvre. Dans la foulée, les sénateurs ont aussi enterré l’article 4 permettant aux demandeurs d’asile – uniquement à ceux ayant le plus de chances d’obtenir le statut de réfugié – d’accéder au marché de l’emploi.

    Le tout a été remplacé par un article « 4 bis » n’accordant un titre de séjour qu’au cas par cas et selon des conditions plus drastiques encore. Présenté par le rapporteur du texte, le centriste Philippe Bonnecarrère, le nouvel article, voté à 226 voix (contre 119) aux alentours de minuit, avait reçu un « avis de sagesse » – ni pour ni contre – du ministre de l’intérieur. Après avoir mollement défendu les mesures du gouvernement, ce dernier a fini par juger la modification « acceptable ».

    Agrandir l’image : Illustration 1Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, écoute Gérald Darmanin lors des débats sur la loi immigration au Sénat, le 7 novembre 2023. © Photo Ludovic Marin / AFP
    Cette nouvelle disposition a en revanche déclenché un tollé sur les bancs de la gauche et des écologistes : « Cet article 3 permettait au moins de sortir de l’hypocrisie vis-à-vis de personnes qui travaillent [et] payent des impôts », a déploré le communiste Ian Brossat. « Laisser des dizaines de milliers de personnes dans l’indignité et la précarité, alors qu’ils construisent la France [par leur travail] est une faute morale ! », a abondé le sénateur écologiste Yannick Jadot.

    « Vous avez abdiqué [sur les articles 3 et 4] uniquement pour des calculs politiciens », a lancé son collègue Guy Benarroche à Gérald Darmanin, lequel a reconnu faire « avec l’état des choses telles qu’elles sont ». En l’occurrence, un Sénat où les troupes macronistes sont clairsemées et où la droite Les Républicains (LR) domine, menaçant depuis des mois de ne pas voter cette loi sur l’immigration si les deux articles en question demeuraient.

    Les coulisses d’un«deal »


    Voilà donc le ministre de l’intérieur sauvé, temporairement du moins, grâce aux efforts conjugués des sénateurs LR et de leurs collègues centristes qui avaient démarré, au début de la semaine, d’intenses négociations afin d’offrir une majorité à ce texte qui sera soumis à un vote solennel en début de semaine prochaine. Le « deal » a été conclu lundi soir entre Hervé Marseille, le président du groupe centriste, et Bruno Retailleau, le patron de LR, sous la houlette de Gérard Larcher.

    Souhaitant à tout prix voir le projet de loi sortir sans trop de remous de sa chambre, le président LR du Sénat a réussi à faire plier Bruno Retailleau, dont l’inflexibilité agaçait jusqu’au sein de ses propres troupes, tout en obtenant d’Hervé Marseille quelques concessions. Le lendemain, l’accord était validé officiellement sur un coin de table de la bibliothèque du palais du Luxembourg par Philippe Bonnecarrère et le président LR de la commission des lois, François-Noël Buffet, qui a tenu la plume avec Bruno Retailleau pour écrire, mardi matin, l’article 4 bis.

    Un article dit « de compromis » qui, à en croire les protagonistes de l’accord, ne ferait que des heureux. « On a fait un geste commercial mais dans le fond, c’est Retailleau qui a lâché puisqu’on a gardé l’idée de la régularisation dans la loi alors qu’il voulait faire passer l’article 3 en circulaire », affirmait Hervé Marseille, mercredi. « C’est nous qui avons gagné puisque les articles 3 et 4 ont disparu. Ce n’est plus le texte de Gérald Darmanin, mais le nôtre », plastronnait de son côté Bruno Retailleau.

    Une version « dégradée » de la circulaire Valls


    Sur le fond, le nouvel article adopté par la chambre haute détricote la philosophie même de l’article 3, qui devait inscrire dans la loi la possibilité de régulariser, pour un an seulement et selon des critères déjà restrictifs, mais de manière automatique et uniforme sur le territoire, une partie des travailleurs et travailleuses sans papiers exerçant dans les métiers définis comme « en tension ».

    Finie, donc, l’idée d’un « droit opposable à la régularisation ». L’article voté mercredi indique que la régularisation d’un travailleur exerçant un métier en tension sera soumise au « pouvoir discrétionnaire » des préfetsetpourra se faire uniquement « à titre exceptionnel ». Rallongeant la durée d’exercice de l’un de ces métiers à douze mois – au lieu de huit dans la version initiale du texte –, il conditionne également l’octroi du titre de séjour à la personne sans papiers à de nouveaux – et abscons – critères, comme « son respect de l’ordre public » ou « son adhésion aux modes de vie et aux valeurs » de la société française.

    Ce nouvel article durcit même la circulaire Valls qui permet, depuis 2012, à tout étranger en situation irrégulière, peu importe le secteur d’activité, de déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour (AES), notamment au titre du travail. Chaque préfet a ainsi déjà la possibilité de régulariser des personnes au cas par cas, sur la base de certains critères (présence sur le territoire français, ancienneté de l’activité professionnelle et embauche effective) et avec un document Cerfa fourni par l’employeur.

    C’est un recul sur le droit existant.
    Corinne Narassiguin, sénatrice socialiste
    « C’est une version dégradée de l’article 3 et qui marque même un recul sur le droit existant », résumait mercredi la socialiste Corinne Narassiguin, notant que si la circulaire Valls permettait jusqu’ici « environ 7 000 régularisations par an [au titre du travail], là ce sera encore moins ». Cette réécriture laisse également perplexe Anna Sibley, juriste et membre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) : « On ne comprend pas bien ce qu’ils veulent faire. Ils créent une nouvelle disposition alors que cela existe déjà dans le cadre de l’AES. Ils essaient d’intégrer dansune loi quelque chose qui était déjà dans une circulaire, qui elle-même était déjà libre d’interprétation par les préfets », explique-t-elle à Mediapart.

    « Si le gouvernement abandonne l’article 3, je ne vois plus l’intérêt de cette nouvelle loi », tranche aussi Mamoudou*, un travailleur sans papiers, membre de la Coordination des sans-papiers de Paris, qui espérait que le texte gouvernemental permettrait de « ne plus avoir besoin [de l’intervention] du patron pour être régularisé ». « Que va-t-il rester d’autre dans la loi que le retrait des titres ou les expulsions des étrangers dits délinquants ? », s’inquiète le jeune homme, en référence aux volets particulièrement répressifs du projet de loi.

    Si la porte reste ouverte à un titre de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié » d’une durée d’un an, Anna Sibley ne se fait guère d’illusion : « Parler d’un titre “travailleur temporaire” d’une durée d’un an alors que la mention temporaire fait souvent référence à des CDD de plusieurs mois montre que tout cela a été fait sous le coude, que ça n’a pas été pensé. »

    Des incertitudes sur la suite


    Une loi guidée par des considérations purement politiques et dénoncée comme « hors-sol » par les associations et l’opposition de gauche… En réalité, pour la droite sénatoriale, il s’agissait moins d’obtenir des victoires sur le fond que de ne pas perdre la face, après que Bruno Retailleau et ses troupes ont, ces dernières semaines, fait de l’article 3 un casus belli et durci leur position au point d’épouser sans complexe le discours de l’extrême droite.

    Quant à Gérald Darmanin, qui ne manquera pas de s’enorgueillir que son projet de loi, quoi que amputé de sa mesure la plus « humaniste », ait trouvé une majorité au Sénat, il est loin d’être sorti du bourbier parlementaire. Dans le camp macroniste, où plusieurs députés ont averti qu’ils refuseraient de voter le texte sans l’article 3, Sacha Houlié, le président de la commission des lois à l’Assemblée, a d’ores et déjà annoncé qu’il serait réintroduit dès le démarrage des discussions au Palais-Bourbon, début décembre.

    Un retour à la case départ fâcheux pour le ministre de l’intérieur, qui pourrait se conclure, une fois encore, par un recours à l’article 49-3 de la Constitution. Olivier Marleix, le président du groupe LR à l’Assemblée, dont l’entourage assume se « contrefoutre » du vote des sénateurs LR, a en effet lui aussi fait de cet article 3 une « ligne rouge ».

    Quand bien même le gouvernement pourrait arracher quelques abstentions, voire quelques votes favorables, à une poignée de députés LR, il ne pourra échapper à l’étape des discussions en commission mixte paritaire (CMP), cette instance où sept sénateurs et sept députés sont chargés de trouver un compromis entre les deux chambres si le texte voté par le Sénat et l’Assemblée n’est pas exactement le même.

    « La fabrique de la loi est un match en plusieurs manches, avertit déjà Bruno Retailleau. Si le gouvernement détricote le texte sénatorial à l’Assemblée, on se retrouvera en CMP. »

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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