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Par Abdellali Merdaci
Relevé dans l’entretien du chroniqueur néo-français Kamel Daoud avec Macron ce propos sibyllin du président français : « Nous portons un poids sur les épaules qui rend les approches très compliquées – ce n’est pas à vous, le passionné d’Albert Camus, que je vais rappeler le mythe de Sisyphe, cet homme qui doit pousser sans cesse et sans raison un rocher, et quelles que soient les hypothèses camusiennes qui veulent nous décrire un Sisyphe heureux malgré son sort » .
Daoud, en spécialiste de Camus, en « passionné d’Albert Camus » ? Supposons que le natif de Mesra (Mostaganem, Algérie), alter ego d’Emmanuel Macron, président en exercice de la République française, se soit prêté à un rattrapage laborieux de l’œuvre littéraire et philosophique de l’écrivain pied-noir ; mais, en a-t-il les potentialités intellectuelles, lui le buzzeur de Twitter et TikTok ? Un « passionné de Camus », qui n’a jamais écrit de thèse au long cours de plusieurs milliers de pages ni de publications fouillées dans des revues de recherche prestigieuses, qui au moment où il alignait, en 2013-2014, « Meursault, contre-enquête », son récit imité de « L’Étranger » (1942), ne savait pas qui était Camus – sinon de la manière caricaturale propre aux demi-lettrés. Comment une imitation médiocre d’un récit de Camus, désormais entrée dans l’oubli, signe-t-elle un brevet de « camusien » ? C’est typique de l’univers de prêt-à-penser dans lequel s’abîme l’intelligentsia française, auquel n’échappe pas Emmanuel Macron. Dans cet univers du kitch, il est possible de parler de « L’Homme révolté » (1951), sans l’avoir lu, avec des formules prêtes à l’emploi tirées des souilles d’Internet. Comment Daoud Kamel ne défendrait-il pas véhémentement Camus, un écrivain qui a été sa porte d’entrée en France et qui reste sa vache à lait ? Alors, parlons-en, de ce « camusien » « passionné » forgé par la France, sur des équivoques.
Kamel Daoud, une création des agents français du sionisme mondial
Jusqu’au printemps 2014, Kamel Daoud n’existait pas pour la France et pour ses faiseurs d’opinion. Au plus fort de l’opération « Bordure protectrice » conduite par Israël contre les Palestiniens de Ghaza, tuant des femmes et des enfants en nombre, il allait réaliser une percée dans ce pays, plus précisément dans ses élites, qui tient du surnaturel. Alors qu’il venait de placer à Arles, chez Mme Françoise Nyssen (Actes Sud), un temps ministre de la Culture de Macron, « Mersault, contre-enquête », un récit publié en 2013 à Alger, qui n’avait pas cartonné dans le pays, il s’était bruyamment exprimé dans une chronique du « Quotidien d’Oran » sur les Palestiniens qui mouraient sous le déluge de feu sioniste, les accablant de son indifférence. Une chronique au titre explicite – « Ce pourquoi je ne suis pas ‘‘solidaire’’ de la Palestine » – rédigée dans un français de garçon de halle, au raisonnement torve, publiée dans « Le Quotidien d’Oran » du 12 juillet. Daoud y fait valoir l’ambivalence du terme « solidarité » (« Aucune douleur n’est digne, plus qu’une autre »), réfutant celle qui s’accorde au seuls Palestiniens plus qu’aux Israéliens : « Si je suis solidaire, c’est par une autre solidarité. Celle qui ne distingue pas le malheur et la douleur de la race par l’étiquette de la race » ; ou encore écartant « cette solidarité au nom de l’islam et de la haine du juif ou de l’autre ». Et, du reste, les Arabes ont fait de la solidarité envers la Palestine une affaire tellement arabe qu’elle a finit par décourager le monde entier.
On peut y lire : « le drame palestinien a été ‘‘arabisé’’ et islamisé à outrance au point où maintenant le reste de l’humanité peut se sentir débarrassée du poids de cette peine ». Daoud postule une autre « solidarité » nettement politique : « Comment peut-on se permettre la vanité de la ‘‘solidarité’’ alors qu’on n’est pas capable de jouer le jeu des démocraties : avoir des élus juifs ‘‘chez nous’’, comme il y a des élus arabes ‘‘chez eux’’, présenter des condoléances pour leurs morts alors que des Israéliens présentent des condoléances pour le jeune Palestinien brûlé vif, se dire sensible aux enfants morts alors qu’on n’est même pas sensible à l’humanité » (2) Ce passage reste le plus important pour Israël et le lobby sioniste parisien : Daoud note l’inanité des Arabes à construite une pensée politique, à intégrer la démocratie, alors que les juifs le peuvent.
Différence fondamentale : le retard politique arabe se double d’une insensibilité manifeste devant la souffrance. Ce propos, qui condamne la Palestine, les Palestiniens et les Arabes, met en évidence l’humanité d’Israël au moment où son armée tue des centaines de Palestiniens, plus de femmes et d’enfants que de combattants.Comme à son habitude, lorsqu’il veut susciter le buzz, Daoud a calculé son coup. Cette fois-ci, un coup gagnant.
Convient-il de rappeler qu’en ce mois de juillet 2014, alors que se prolongeait la sanglante campagne militaire israélienne « Bordure protectrice », il complétait sa charge contre la Palestine et les Palestiniens par deux autres chroniques tout autant vénimeuses : le 13 juillet : « Palestiner, en rond » ; le 14, « L’intégrisme hideux au nom de la Palestine ».Malgré son incohérence, le texte du 12 juillet 2014 marque les consciences françaises, principalement celles qui soutiennent le sionisme mondial par une indifférence envers les Palestiniens proclamée et une « solidarité » subtilement accordée à Israël.
Indifférence, lourdement assertée, envers les Palestiniens : voilà ce qui fait tache, confortant la mise en scène savamment étudiée de l’auteur, évoquant précisément l’incipit de « L’Étranger », cette insouciance de Meursault qui allait enterrer sa mère. Cette insouciance, aussi, de Daoud, ignorant ces Palestiniens qui mouraient, ce message de dédain, cette posture désinvolte habilement projetée, traversent la mer Méditerranée et tombent comme une foudre sur Paris. Un Algérien, un Arabe, qui crache sur le deuil des Palestiniens, chez lui en Algérie, qui piétine par ses mots leurs tombes ouvertes ?On est le 12 juillet 2014. Le premier à réagir à cette chronique oranaise a été l’écrivain Pierre Assouline, membre du jury du Goncourt et chef de file du lobby sioniste du champ littéraire germanopratin, qui s’est aussitôt mis en campagne auprès de ses confrères et consœurs du prestigieux prix littéraire pour leur recommander aussitôt dans les colonnes de « L’Obs » comme un devoir estival impérieux la lecture du récit pseudo-camusien de cet écrivain algérien qui n’avait pas encore attiré ni la presse littéraire ni les lecteurs français depuis sa diffusion lors de la petite rentrée littéraire parisienne de 2014.
Assouline connaissait le texte de Daoud et il en avait retenu le côté bravache : « Faut-il être gonflé pour s’emparer de ‘‘L’Étranger’’ et le détourner. Kamel Daoud a osé et il a bien fait » (3). Il mènera, à bout de souffle, une rude bataille pour lui faire décerner le Goncourt. Vainement. Derrière lui, Bernard-Henri Lévy, de sinistre mémoire, faut-il le répéter ?, Alain Finkielkrault, futur académicien, et puis la piétaille des éditorialistes. Mmes Natacha Polony et Martine Gozlan du magazine « Marianne » n’y étaient pas les moins-disantes. Et, même ce malheureux Michel Onfray, hasardeux biographe de Camus en 2012, bientôt discrédité et délégitimé dans le champ culturel parisien, qui ajoutera sa disgracieuse partition.Naissance d’un écrivain ? En vérité, un phénomène parisien nourri de l’entre-soi des élites qui dînent dans les gargotes dorées de la capitale française ; et, surtout, en arrière-fond, le pari du puissant lobby sioniste germanopratin de mettre sur le marché médiatique et littéraire un défenseur d’Israël plus sortable que Boualem Sansal, frappé par un délire sioniste, plus Israélien que les Israéliens. Ce qui va emporter l’engagement de Bernard-Henri Lévy, Pierre Assouline et Alain Finkielkraut, ce n’est pas la qualité du récit « Meursault, contre-enquête », dont ils savent la médiocrité.
Les deux premiers, directeurs de collections chez Grasset et Gallimard, ne l’auraient jamais retenu et édité. Ils vont pourtant l’imposer à la France et au monde, parce qu’il leur était indispensable de créer un Kamel Daoud, sorti de nulle part, doté d’une large audience plus médiatique que littéraire, investi en soutien du sionisme mondial. Qu’importent les lacunes de l’insulteur des Palestiniens, des Arabes et de l’Islam, lorsqu’il est avéré qu’il sait mordre et répondre à l’attente de ses garants. Kamel Daoud était en 2014, comme aujourd’hui en 2023, un écrivain sans œuvre littéraire crédible. Contempteur des Arabes et de l’Islam, il va vite trouver sa place dans les jeux et enjeux du champ médiatique parisien plus que dans celui de la littérature où il n’a aucune carte à jouer en raison de son inculture affligeante dans le domaine.
Camus dans l’Algérie indépendante
Mais, Camus abusivement accolé au chroniqueur oranais ? Qu’en était-il resté dans l’Algérie indépendante ? L’écrivain constantinois Malek Haddad (1927-1978) l’avait exécuté d’une seule phrase : « Le seul respect que je dois à Camus est celui que l’on doit aux morts ». On pouvait aussi croire qu’Ahmed Taleb Ibrahimi, homme de système, longtemps ministre de Boumediene, avait tout dit sur l’écrivain pied-noir pour le reléguer définitivement dans les poubelles de l’histoire (4). Que nenni ! L’université algérienne, spécialement le département de langue et littérature françaises d’Alger-Bouzaréa, en a patiemment tissé la curieuse légende, tramée dans des divagations nocturnes dans les ruines de Tipasa, autrefois célébrées dans « Noces à Tipasa» (1939), un texte minimaliste de l’écrivain pied-noir débutant, qui aurait pu figurer dans une brochure du syndicat du tourisme d’Alger. Dans cette ambiance, quasi-orgiaque où le gris de Mascara aura accompagné goulument la lecture de « L’Été » (1954), une baronne des lettres, mi-Française, mi-Algérienne, plus Française qu’Algérienne, avait sanctifié « Camus l’Algérien ».
La formule, injurieuse pour l’histoire des Algériens, fera florès.Évidemment, Kamel Daoud était éloigné de ces coteries algéroises qui soupaient à la table de M. l’ambassadeur de France, dans sa résidence des beaux quartiers d’Alger. Il terminait, à cette époque, une licence de Français à l’Université d’Oran, une orientation malheureuse pour le bachelier en mathématiques élémentaires, mal noté à l’examen final des études secondaires, qui y fera bon gré mal gré son trou. Un choix par défaut. « Étudiant minable », juge, longtemps après, un de ses professeurs. L’étudiant emprunté, aux basques trouées, a-t-il rencontré Camus dans ses études ? Probablement, puisqu’il était inscrit dans les programmes de tous les départements de Français des universités d’Algérie, mais dans ses souvenirs de cette période, Daoud semblait plus attaché à la littérature anglaise (en traduction, certes), celle de Shakespeare, davantage que de la littérature française qu’il semblait ignorer. Allez lui parler de Guilloux, Jouhandeau, Léautaud et Larbaud. Ou de Michaux. Il n’en savait rien.
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