Si la France « moche » est déclinée à toutes les sauces, peut-on vraiment dire que les paysages hideux au sortir des zones commerciales résument vraiment ce qu'est la France laide ? Non, répond Christophe Guilluy, géographe et écrivain, la France moche, c’est celle d’un macronisme qui, incapable de s’adresser aux demandes des classes populaires de la France périphérique, débat de l’esthétique de ses lieux de vie.
La France « moche », c’est le sujet consensuel, le plan de com parfait pour un gouvernement dépassé et impuissant sur à peu près tous les sujets. Mais s’il est évident que les zones commerciales aux entrées de Vesoul ou de Romorantin ne feront jamais partie des sites touristiques remarquables de notre pays, ces paysages résument-ils pour autant ce qu’est la France laide, vilaine, hideuse, mal foutue, horrible, moche ? Je veux dire VRAIMENT moche ?
La France vraiment moche, c’est celle des ronds-de-cuir du gouvernement, de l’administration, des syndicats, de tous les biberonnés au pas-de-vaguisme, ces petits criminels qui ont minoré ou refusé d’entendre pendant plus de dix jours les alertes du professeur Samuel Paty.
La France vraiment moche, c’est celle de ces jeunes profs qui refuseraient d’enseigner dans un collège qui porterait le nom de ce même professeur (Les profs ont peur, Jean-Pierre Obin, L’Observatoire, 2023).
La France vraiment moche, c’est celle qui est contrainte de mobiliser l’armée pour défendre des écoles de compatriotes juifs contre les assauts potentiels de compatriotes antisémites.
La France vraiment moche, c’est celle des gouvernants qui ont sacrifié le bien commun sur l’autel du multiculturalisme en alimentant une interminable guerre des bleds ; c’est celle du vivre-ensemble séparé.
La France vraiment moche, c’est celle d’un État qui a abandonné ses administrés aux lois du crime organisé et accepté, au fil du temps, que ses communes se transforment en narco-cités.
La France vraiment moche, c’est celle d’une classe politique qui considère comme illégitime l’opinion de la majorité ordinaire ; c’est celle du panurgisme, de l’idéologie, du conformisme des médias et de l’université ; c’est celle d’élites brillantes qui savent ce qui est bon pour les classes populaires mais qui n’ont toujours pas compris à quel point elles ignorent tout de la radicalité de leur vie.
La France vraiment moche, c’est celle de ces dirigeants qui, pour une poignée d’euros, ont bradé les fleurons de l’industrie française. Le prix de cette trahison : entre 10 et 15 millions, en moyenne ce que les patrons de General Electric, Arcelor, Pechiney, Technip, Essilor ou Lafarge ont gagné en offrant – notamment aux Américains – des centaines de leurs PME sur l’ensemble du territoire, entreprises dont dépendaient des milliers de salariés (source : audition d’Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie et du Redressement productif entre 2012 et 2014, auprès de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance de la France, en mars 2023).
La France vraiment moche, c’est celle dans laquelle désormais 60 % de la population est à 10 € près pour finir le mois et 8 millions de personnes sont en situation de mal-emploi, soit un actif sur quatre (chômeurs, salariés précaires, personnes souhaitant/pouvant travailler mais non comptabilisées comme chômeuses par l’Insee – source : Observatoire des inégalités, 2023).
La France vraiment moche, c’est celle des petites et moyennes villes dont les centres se vident de leurs commerces et de leurs services publics. C’est celle dans laquelle, chaque jour, se suicide un paysan (source : Mutualité sociale agricole).
La France vraiment moche, enfin, c’est celle d’un macronisme qui, incapable de s’adresser aux demandes des classes populaires de la France périphérique, débat de l’esthétique de ses lieux de vie.
Mais la vraie laideur est moins à chercher du côté des entrées de ville que du côté des territoires qui ne font plus société et au sein desquels l’homogénéisation sociale et culturelle est totale : cette France moche-là, c’est celle des quartiers gentrifiés des grandes villes, celle des « plus beaux » villages aseptisés et des littoraux où règne l’entre-soi.
Vous avez dit France moche ?
Par Christophe Guilluy