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«Si je ne fais pas l’affaire, on me dit “petit esclave dégage!”»: sur les parkings des grandes enseignes,

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  • «Si je ne fais pas l’affaire, on me dit “petit esclave dégage!”»: sur les parkings des grandes enseignes,


    de véritables marchés aux clandestins



    RÉCIT - Des sans-papiers savent que, chaque jour, des dizaines de particuliers et d’artisans arpentant les rayons pour faire leurs achats feront appel à eux.

    Ce sont les forçats du travail illégal. Comme chaque matin, dès 6h30, des grappes d’hommes, tous sans-papiers, emmitouflés dans des parkas, bonnets enfoncés jusqu’aux yeux, se forment dans la nuit noire. En silence, ils se postent un à un le long de la route départementale qui borde la zone industrielle de Pierrelaye, dans le Val-d’Oise.

    Dieu seul le sait


    Selon un rituel rodé par la répétition des jours, les uns posent leur sac à dos par terre, d’autres l’accrochent à la branche d’un buisson: ils prennent leurs marques, s’installant a priori au hasard. En réalité, dans la nudité de cette campagne matinale, zébrée de routes et hérissée de hangars, toute une organisation se dessine peu à peu, avec ses codes, invariable. Chaque communauté a sa place précise, selon que l’on vient du Maghreb, d’Albanie ou d’Afrique subsaharienne.

    En échange de plusieurs heures de peinture, de maçonnerie ou de travaux de déblaiement, on leur glissera quelques billets dans la poche.
    Amenés par le bus ou le RER depuis diverses villes comme Paris, Saint-Denis ou Argenteuil, tous convergent, sept jours sur sept, vers ce lieu improbable, pour vendre leur bras. Un spot bien connu des clandestins, car identifié comme l’un des plus juteux de la région parisienne, leur garantissant une «belle» clientèle. Celle qui fréquente Castorama, magasin se trouvant en contrebas de la route. Par-delà un vaste parking, la façade de ce mastodonte du bricolage domine les lieux.

    Ces sans-papiers savent que, chaque jour, des dizaines de particuliers et d’artisans arpentant les rayons pour faire leurs achats feront appel à eux.
    En échange de plusieurs heures de peinture, de maçonnerie ou de travaux de déblaiement, on leur glissera quelques billets dans la poche.

    Un sans-papier montre un chantier sur lequel il était la veille. Sofiane Boukhari pour Le Figaro
    Cette scène dans la zone industrielle de Pierrelaye est loin d’être isolée. Les migrants se postent là où il y a du travail à prendre: devant les enseignes de bricolage mais aussi «sur les parkings des magasins Ikea où ils proposent leurs services pour charger le véhicule et monter les meubles», explique un policier.



    Depuis cinq ans déjà, Abdou (*), un Sénégalais de 32 ans, se rend chaque jour à Pierrelaye où se tient, au vu et au su de tous, ce véritable marché aux clandestins. Le premier bus en provenance de Sannois, dans le Val-d’Oise, où il habite, l’a déposé ce mercredi matin à 5 h 30. «Et j’ai acheté mon ticket, à 2,50 euros», tient-il à souligner. Le mois précédent, où il a moins travaillé, ne lui a pas permis de payer son passe Navigo de novembre. Un sésame qui lui est pourtant essentiel pour sillonner l’Île-de-France et rejoindre les chantiers. Autre dépense prioritaire du jeune homme: le logement. Une chambre qu’il partage avec un compatriote sénégalais, pour 300 euros chacun.

    Entraide et rivalité


    Pour décrocher le maximum de petits boulots, Abdou fait partie des premiers arrivants. L’horaire d’ouverture du magasin, à 8 heures, marque son embauche. Le ballet des voitures commence, les premiers clients arrivent. Quelques instants plus tard, ils sortent du magasin les bras chargés de pots de peinture, de planches, d’outils… L’un d’eux adresse un signe à Abdou qui, à l’instar des autres migrants, n’a pas de formation particulière. Tous se sont formés sur le tas, comme Aboubacar (*), un Guinéen de 47 ans qui a «appris la peinture, la pose d’enduit et l’isolation avec un Marocain», précise-t-il.

    Sur ce trottoir où se jouent entraide mais aussi rivalité entre clandestins, Abdou dévale le talus pour éviter qu’on lui vole son client et fonce vers le parking. Après un bref échange avec celui qui l’a hélé, il revient. Marché conclu. «J’ai rendez-vous demain à 8 h 30 gare de Franconville pour des travaux d’enduit et de peinture», se réjouit-il. Il n’aura donc pas à aller loin: c’est à 5 kilomètres de chez lui. Pour cette journée de travail, il espère obtenir 70 euros. Entre travailleurs illégaux, la concurrence est telle qu’Abdou ne discute même pas les prix, ni la date de paiement. Il compte sur l’honnêteté de ceux qui le font «bosser» pour avoir une somme correcte. D’ailleurs, ce mercredi, il attend un client chez lequel il a peint la veille et qui ne l’a pas payé. «Il m’a dit qu’il passera aujourd’hui», rapporte-t-il en évoquant les risques inhérents à la vie de clandestin: «Parfois, on tombe dans le trou: on n’est pas payé.»



    Au fur et à mesure que les heures s’écoulent, le cortège des sans-papiers s’étoffe et s’étire tout le long du trottoir. Certains se postent à l’entrée de la zone industrielle et hèlent chaque voiture qui passe. C’est là qu’Abdou forme un groupe avec des Guinéens, des Maliens et des Ivoiriens, comme Abou qui, avant cela, était plongeur dans un restaurant parisien. À la sortie du parking de Castorama, esseulé, Ali, un Algérien, attend lui aussi le client. Entre ces deux «postes», sur un bout de trottoir plutôt bien placé, les Albanais occupent le terrain. La parka tachée de peinture blanche, Klevis, amené ici par son cousin Ilia depuis septembre, montre fièrement sur son portable les images du chantier sur lequel il était la veille, perché en haut d’un pavillon pour refaire la toiture. Fanfaronnant avec d’autres hommes originaires de son pays, il ironise sur sa situation en déclenchant des rires autour de lui: «Si je ne fais pas l’affaire, on me dit “petit esclave dégage!”». Ilia, 27 ans, qui fréquente l’endroit depuis sept ans, raconte comment il a pris ses habitudes. «Quand il n’y a plus trop de travail, je vais chez moi à Tirana, chez mes parents. Je coupe du bois et je reviens.»


    Main-d’œuvre au rabais


    Dans la discussion, le projet de loi immigration, avec la possible régularisation des sans-papiers dans les secteurs en tension, est abordé. «On est bien sûr au courant!, lance Klevis qui souhaite être régularisé. Mais j’ai vu sur BFM que c’est pas voté.» La petite phrase du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, au sujet des sans-papiers «qui bossent» ou qui «commettent des infractions» n’est pas passée inaperçue: «On veut être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants», avait-il déclaré. «Nous on fait pas de bêtises! On est des gentils!», jure Ilia en jouant d’ironie. La discussion s’interrompt à plusieurs reprises: des portables sonnent. À force de donner leur numéro de téléphone à tous ceux qui les font travailler, ces clandestins ont étoffé leur clientèle, bien au-delà du parking.

    Employé de Castorama, Ackim assiste à ce ballet quotidien des clandestins. «Il faut vraiment avoir envie d’attendre dehors! On les voit parfois poireauter durant des heures. Quand il pleut, ils viennent sous l’auvent du magasin», décrit-il. Mais quand leur présence se fait trop envahissante, il est arrivé «à la directrice du Castorama d’appeler la police», précise-t-il. Laquelle «se déplace, leur dit de déguerpir et ils reviennent», résume Ackim en évoquant aussi les récriminations de certains clients. «Sur Google, où ils postent des avis, certains ne mâchent pas leurs mots et disent que tout cela n’est pas normal, car ces migrants volent le travail des autres», rapporte-t-il.

    Ces ouvriers ne coûtent pas cher et ils sont vaillants car, eux, ils en veulent !
    Rachid, chef d’entreprise à propos des travailleurs clandestins
    Quant aux artisans, ils sont eux aussi nombreux à profiter de cette main-d’œuvre docile et payée au rabais. Arrivé très tôt à bord de sa camionnette pour charger du matériel, Rachid, qui n’a pas d’employés et qui sous-traite, reconnaît faire appel à elle. «Ces ouvriers ne coûtent pas cher et ils sont vaillants car, eux, ils en veulent!», assure-t-il en les opposant à ceux qui «restent au chômage et au RSA». Pour ce chef d’entreprise, même si ces clandestins «n’ont pas de qualif», ils font largement l’affaire. «Ils cassent les murs, ils déblaient et, en deux heures, ils vous font une tranchée sans broncher!», détaille-t-il. Mais de là à les embaucher… «Impossible, car ils n’ont pas de papiers et cela me coûterait trop cher. Mais c’est sûr, ce n’est pas une vie pour eux et s’il y a un accident avec l’un d’eux, ce sera la tuile. C’est le risque.»

    Un migrant attend qu’un artisan du bâtiment s’arrête et l’«embauche» à la journée sur un chantier. Sofiane Boukhari pour Le Figaro
    Sur le trottoir, les discussions reviennent à plusieurs reprises sur «les papiers», sésames qu’ils n’ont pas ou bien «faux» qu’ils se sont procurés, comme Abdou. Sur une pièce d’identité qu’il sort de son sac, il est de nationalité belge. Futé, il est parvenu, dit-il, à collectionner bon nombre de fiches de paie. Des documents qu’il conserve soigneusement et qui, espère-t-il, lui serviront peut-être un jour à sortir de la clandestinité et à quitter le parking de Pierrelaye.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    C'est chaud quand même, après je comprends pas trop ces personnes qui quittent tout, parfois pour rien se retrouvent encore plus dans la merde, car les gens leur font croire que être humaniste maintenant, c'est accepter une certaine forme d'esclavagisme.

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