Mediapart relève de très nombreuses erreurs et même plusieurs étranges omissions dans le document qui a servi à résilier le contrat entre l’établissement lillois et l’État.
David Perrotin
Le rapport, repris partout dans la presse, est accablant : le lycée privé musulman Averroès, sous contrat avec l’État depuis 2008, aurait tout d’un établissement « séparatiste », aux financements douteux et aux enseignements problématiques. Sur la base de ce document de douze pages, Georges-François Leclerc, préfet du Nord et des Hauts-de-France, a décidé de résilier le contrat d’association qui liait l’établissement confessionnel musulman à l’État.
Si la justice valide cette décision, ce lycée situé à Lille (Nord), qui compte 52 % d’élèves boursiers, va perdre près de 500 000 euros de subventions annuelles dès la rentrée. L’arrêté met aussi un terme à la rémunération des enseignant·es par le ministère. La plupart devront être muté·es ailleurs ou démissionner de l’Éducation nationale dès janvier prochain.
L’un des seuls lycées musulmans sous contrat de France craint désormais pour sa survie. « Nous allons introduire tous les recours utiles, y compris en urgence », ont prévenu les avocats Mes William Bourdon et Vincent Brengarth, qui dénoncent une « cabale politique ».

La réputation de ce lycée est aussi entachée. Sur la base des conclusions d’un rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) de 2023 et de quelques articles de blog, le rapport préfectoral étrille l’établissement en pointant « des manquements graves » dans le contenu pédagogique et de nombreuses « irrégularités » dans sa gestion financière. Le lycée proposerait un contenu contraire « aux valeurs de la République » et ses dirigeants seraient affiliés au mouvement des Frères musulmans.
En épluchant attentivement ce document préfectoral, Mediapart relève pourtant de très nombreuses erreurs et même plusieurs étranges omissions de la part du préfet des Hauts-de-France, qui n’a pas souhaité donner suite à nos sollicitations.
Un rapport élogieux de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), rendu en juin 2020, a été passé sous silence. Plusieurs autres rapports du rectorat ont été tronqués et une partie des accusations visant le lycée sous contrat concernent en réalité le collège Averroès, établissement qui, lui, est hors contrat.
Les arguments discutables du préfet
Sur le volet pédagogique d’abord, le rapport préfectoral débute par une remise en cause du cours d’éthique musulmane dispensé au collège, alors que le document est supposé ne viser que le lycée. Pour critiquer ces enseignements dont les contenus seraient « salafistes », le préfet s’appuie sur un « auteur », Mohamed Louizi, en citant l’un de ses « articles de blog ». Mais le préfet omet de préciser que cet homme n’a aucun lien avec Averroès, qu’il n’a jamais été intervenant dans l’établissement, ni membre de l’équipe éducative ou élève, et n’a jamais assisté au cours en question.
Mohamed Louizi est un essayiste qui milite depuis des années contre ce lycée musulman et écrit des textes parfois publiés dans des médias d’extrême droite, à l’instar de Causeur. Sur son blog, cité justement par le préfet, on peut ainsi lire un appel à voter Marine Le Pen ou des articles aux accents complotistes. « Macron II fera de la France ce que le FIS (le Front islamique du salut) a fait de l’Algérie », écrit-il par exemple lors de la dernière campagne présidentielle.
Le préfet utilise également un rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) publié en 2023 pour dénoncer les cours d’éthique musulmane dispensés au lycée. Ces derniers s’appuieraient sur un ouvrage faisant la promotion d’idées en totale contradiction avec les valeurs républicaines : l’interdiction pour les femmes d’être auscultées par un homme ou la peine de mort pour les musulmans qui ne feraient pas leur prière y seraient vantées.
Or si le rapport de la CRC évoque bien la trace de cet ouvrage problématique, il ne confirme pas que ces passages sont enseignés aux élèves et n’évoque pas le contenu du cours. L’établissement lui dément catégoriquement l’accusation. « Ce livre était mentionné dans une bibliographie ancienne mais n’était ni enseigné ni disponible dans l’établissement », affirme le proviseur Éric Dufour à Mediapart.
« Le président de l’association, dans sa réponse aux observations provisoires de la chambre, s’est déclaré en franche opposition avec une telle analyse. Il indique que les commentaires des hadiths cités dans le rapport ne font pas partie de ceux étudiés lors des cours d’éthique musulmane », peut-on aussi lire dans ce même rapport de la CRC.
Dans son rapport, le préfet des Hauts-de-France pointe également l’enseignant chargé du cours d’éthique et cite, non pas des discours tenus devant des élèves, mais des écrits de son blog publiés en 2015 dans la foulée des attentats terroristes contre Charlie Hebdo laissant penser qu’il les cautionnait. « Si l’humour de Charlie Hebdo ne me fait pas rire, il ne faut pas m’en tenir rigueur, car je ne souris qu’à la beauté », rapporte notamment le préfet en citant son blog.
Il oublie toutefois de préciser que dans ce même billet, l’enseignant en question avait clairement condamné l’attentat. « Bien entendu, je me suis profondément indigné devant le crime porté contre Charlie Hebdo. Non pas en tant que musulman ou citoyen français, mais, tout simplement, en tant que membre du corps de l’humanité », écrivait-il. Cet enseignant ne donne par ailleurs plus cours dans cet établissement depuis dix-huit mois.
Un deuxième agent mis en cause par le préfet pour des propos tenus dans « un cadre privé » a, lui, été suspendu il y a six mois et ne fait plus partie des effectifs du lycée.
Des documents passés sous silence
Deux autres documents officiels contredisent la version préfectorale. Un rapport d’inspection du collège réalisé en 2023 évoque ainsi ces cours d’éthique musulmane sans émettre la moindre alerte. Y étaient abordés, selon les inspecteurs, des thèmes variés comme « le divorce », « les familles recomposées » ou « monoparentales », et la préparation des exposés entre élèves pouvait être mixte.

Agrandir l’image : Illustration 2© Document Mediapart
Un rapport d’inspection académique de juin 2020 était encore plus clair : « Rien dans les constats faits par la mission, en particulier autour des documents de préparation des cours remis par des enseignants, ne permet de penser que les pratiques enseignantes divergent des objectifs et principes fixés et ne respectent pas les valeurs de la République », peut-on lire dans les conclusions.
En saluant le contenu de cours d’éthique musulmane, la mission d’inspecteurs déployés en 2020 précisait qu’« elle en veut pour preuve les treize inspections d’enseignants qui ont été menées dans l’établissement depuis 2015, ce qui doit en faire l’établissement le plus contrôlé de l’académie, sans que jamais aucune remarque défavorable n’ait été formulée à l’encontre des pratiques enseignantes observées ».
De fait, Averroès est l’un des établissements les plus contrôlés de France depuis son passage sous-contrat en 2008. Entre 2020 et 2023, il a ainsi subi près d’une dizaine de contrôles de diverses structures, allant de la direction régionale des finances publiques à l’inspection académique, en passant par la chambre régionale des comptes.
À Paris, le lycée privé musulman MHS gagne son procès
Cet établissement parisien hors contrat présenté comme « coranique », « clandestin » et « séparatiste » a été fermé par les autorités en décembre 2020. Malgré les graves accusations tenues par la préfecture de police de Paris, les autorités n’ont jamais pu prouver le moindre élément séparatiste trois ans après cette fermeture, comme le révélait Mediapart.
En octobre 2023, la directrice de l’école jugée pour avoir laissé ouvert son établissement malgré l’opposition de la préfecture gagnait même son procès. Dans ce dossier qui n’évoque que des éléments relatifs aux normes incendie, on trouvait un procès-verbal constatant l’ouverture de l’établissement malgré l’opposition administrative.
Mais un autre document a retenu l’attention du tribunal. Un procès-verbal à destination du parquet de Paris, non signé, établissant un comptage policier du nombre d’élèves portant un voile, hors de tout cadre légal. Le tribunal correctionnel a estimé le 17 octobre 2023 qu’il y avait « un doute sérieux sur la réalité, la sincérité et la force probante du PV » et a décidé « la relaxe totale » de la directrice de l’établissement. Le parquet a depuis fait appel.
« Ce dossier est un scandale », réagit Me Courvoisier, l’une des avocates de l’école. « On attaque en justice cet établissement sur des normes incendie pendant qu’on l’accuse de séparatisme sans trouver le moindre élément pour l’étayer. La réalité est simple : on a ciblé cette école uniquement parce que c’était une école musulmane », poursuit l’avocate qui considère cet appel du parquet « comme un acharnement ». Depuis, l’école musulmane, qui logeait dans des locaux supposés pas aux normes, a été remplacée… par une autre école.
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