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Les mesures d’éloignement pour menace à l’ordre public touchent aussi des étrangers « lambda »

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  • Les mesures d’éloignement pour menace à l’ordre public touchent aussi des étrangers « lambda »

    Les obligations de quitter le territoire – OQTF – fondées sur une menace à l’ordre public sont devenues monnaie courante. Contrairement à ce que laisse entendre Gérald Darmanin, elles touchent de plus en plus de personnes qui ne représentent aucun danger.

    Nejma Brahim

    SarahSarah* n’en revient toujours pas. En ce vendredi 29 décembre, la jeune femme s’est libérée de ses activités diverses pour témoigner de ses déboires avec les autorités françaises au cours des derniers mois. Depuis deux ans et demi, elle travaille dans une société de nettoyage, qui la mobilise pour l’entretien d’un hôpital public situé en région parisienne.

    Elle est pourtant sans papiers. « Quand je suis arrivée en France, le seul moyen que j’ai trouvé pour travailler était d’utiliser une fausse carte d’identité. » Uniquement pour travailler, précise la trentenaire. Celles-ci se vendent sur le marché noir, pour 200 à 300 euros. Dès ses premiers jours en France, Sarah enchaîne les emplois dans l’entretien. Elle fait partie des travailleurs « en première ligne » durant la crise sanitaire liée au Covid-19.

    Elle cumule ainsi les fiches de paie, et adresse une demande de régularisation (« admission exceptionnelle au séjour », dans le jargon) le 14 décembre 2022 à la préfecture de Paris. « Elle respectait tous les critères de la circulaire Valls », justifie son avocat, Stéphane Maugendre. Seulement voilà : quelques mois plus tard, Sarah reçoit un rejet, doublé d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
    Agrandir l’image : Illustration 1Fatteh, 39 ans, est visé par une OQTF alors qu’il ne cherche qu’à « travailler ». © Photo Nejma Brahim / Mediapart

    Celle-ci se fonde sur un motif bien particulier, que le ministre de l’intérieur a beaucoup mis en avant depuis plus d’un an : la menace à l’ordre public. Au cours des derniers mois, Gérald Darmanin a même entrepris de publier la liste, sur le réseau social X, de tous les étrangers représentant une « menace » qui ont été expulsés du territoire.

    La nouvelle loi sur l’immigration, votée le 19 décembre, est venue graver dans le marbre la dynamique voulue par Gérald Darmanin, puisqu’elle devrait permettre de faciliter l’expulsion des étrangers considérés « dangereux » et qui représenteraient une « menace grave à l’ordre public », supprimant les catégories jusque-là protégées.

    Par ailleurs, la Cour des comptes publie jeudi 4 janvier un rapport consacré à la « politique de lutte contre l’immigration irrégulière » dans lequel elle préconise justement « de mieux identifier ces personnes présentant des troubles à l’ordre public dans les systèmes d’information et de mieux suivre leur éloignement effectif ». « Depuis août 2022, le ministère de l’intérieur a opéré une priorisation pertinente des éloignements forcés en concentrant les efforts sur les personnes présentant des troubles à l’ordre public (profils « TOP ») », se félicite la Cour des comptes, tout en regrettant que « la définition des profils “TOP” » ne soit « pas formalisée ni partagée entre les services ».

    Les préfectures désavouées par la justice


    Pour justifier sa décision dans le cas de Sarah, la préfecture de Paris mentionne une « contrefaçon de documents d’identité » et une « manœuvre frauduleuse susceptible de faire l’objet de poursuites pénales ». « Considérant que la sauvegarde de l’ordre public inclut la lutte contre la fraude… », lit Me Maugendre sous le regard attentif de sa cliente, qui réajuste le foulard blanc qui recouvre sa chevelure. À l’écoute de ce passage, Sarah manque de s’étouffer. « Ils parlent de moi, là ? », interroge-t-elle, les yeux écarquillés.

    « Je n’ai pas l’impression de perturber l’ordre public ou d’être dangereuse. Je travaille, je fais ce que je peux pour m’en sortir. » Elle s’implique également aux côtés d’une association d’aide aux sans-abri et participe chaque semaine à des distributions alimentaires. Pour démontrer son « insertion », elle a suivi des cours de français, à ses frais, auprès d’une église de son quartier.

    Un mémoire en défense fourni par la préfecture précise pourtant qu’elle « ne justifie pas de l’intégration sociale et professionnelle en France ». « Comment est-ce que je pourrais être plus intégrée que ça ? » Sarah n’aurait jamais quitté son pays d’origine, en août 2018, si elle n’avait pas dû fuir des violences intrafamiliales liées à un mariage forcé. « Mes oncles me battaient parce que je ne voulais pas de mon mari. Lui vivait en France, il venait parfois pour les vacances », explique-t-elle.

    Sarah prend prétexte du visa qu’elle obtient pour la procédure de regroupement familial et se réfugie à Annecy (Haute-Savoie), où une proche l’héberge quelque temps et où elle dépose une main courante pour « [s]e protéger » d’éventuelles représailles. Elle s’installe ensuite à Paris, et vit depuis quelque temps chez sa tante, après avoir traversé des moments difficiles et dormi parfois dans la rue. Son regard est empli de honte lorsqu’elle évoque ces difficultés. La Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), de même que des médecins, atteste de son état de fragilité et de dépression.

    Stéphane Maugendre n’était pas chargé de son dossier au départ. Il a depuis contesté l’OQTF au tribunal administratif, qui a balayé les accusations assénées par la préfecture de Paris : « La circonstance que l’intéressée a utilisé une fausse carte d’identité italienne dans le cadre de son emploi ne permet pas de considérer, à elle seule, que la présence en France de Madame constituerait une menace pour l’ordre public », peut-on lire dans la décision du 30 octobre 2023, où le tribunal souligne aussi que l’intéressée remplit les critères pour être régularisée.

    « J’ai depuis communiqué à la préfecture les éléments du dossier s’agissant des violences intrafamiliales », précise l’avocat, qui a déposé une demande de titre de séjour « vie privée et familiale » après que le tribunal administratif a enjoint à la préfecture de réexaminer la situation de Sarah. « Je ne peux pas retourner dans mon pays. Ça me mettrait en danger », dit-elle, l’air inquiet. Son entreprise, qui a appris sa situation administrative au moment de sa demande de régularisation, la soutient et lui a fourni tous les documents nécessaires à ses démarches.


    Agrandir l’image : Illustration 2La préfecture de police de Paris justifie la délivrance d'une OQTF pour « menace à l'ordre public ». © Capture d'écran Mediapart

    Des cas comme celui de Sarah, les avocat·es spécialisé·es en droit des étrangers ne les comptent plus. À chaque fois, le même scénario se répète : un étranger sans papiers dépose une demande de régularisation qu’il voit rejetée, et reçoit une OQTF motivée par la menace à l’ordre public.

    Ainsi, un Bangladais âgé de 30 ans s’est vu infliger ce sort par la préfecture de Paris pour avoir vendu des produits à la sauvette dans les rues de la capitale. Certains des produits étaient contrefaits, signifiait la préfecture. « Mais ce n’est pas lui qui avait produit ces contrefaçons », rétorque son avocat, Me Laurent Charles.

    Là encore, le tribunal administratif de Paris juge que l’intéressé ne représente pas de danger : « Ces seuls éléments ne sont pas de nature à établir une menace à l’ordre public d’une gravité telle qu’elle puisse légalement fonder la mesure attaquée. Par conséquent, en refusant l’admission exceptionnelle au séjour de Monsieur au seul motif que sa présence en France constitue une menace pour l’ordre public, le préfet a entaché sa décision d’erreur d’appréciation », conclut la formation collégiale avant d’annuler l’OQTF.

    Systématiser la menace dans l’objectif de « faire peur »


    « Je ne suis pas dangereux, je n’ai fait que travailler. Je n’avais pas d’autre choix pour vivre », se défend l’intéressé, qui travaille aujourd’hui dans un magasin de téléphonie mobile en CDI. Il a longuement hésité à s’exposer dans la presse.

    Et pour cause, il a frôlé l’expulsion après un passage en rétention qui a suivi son interpellation. Il a aussi vécu un événement traumatique à la préfecture, alors qu’il s’apprêtait à déposer une nouvelle demande aux côtés de son avocat, après que le tribunal lui a donné raison le 24 octobre et a enjoint à la préfecture de réexaminer son dossier.

    « Nous avons attendu de longues heures qu’un agent nous reçoive. » Mais tout à coup, « la police l’a embarqué et emmené au commissariat du XVIIe », se souvient Me Charles, qui les a suivis en prenant des notes pour répertorier le déroulé des événements. À force d’insister, l’avocat apprend de l’officier de police judiciaire qu’il s’agissait de lui notifier l’amende, d’un montant de 150 euros, restant à payer suite à l’ordonnance pénale dont il avait fait l’objet pour la vente de produits à la sauvette.

    « Tout ça pour ça ?, interroge l’avocat. Ils auraient pu attendre que ses démarches soient faites et le convoquer par la suite, parce que là, c’était un peu la terreur quand même ! » L’avocat et son client finissent par retourner en préfecture pour enfin obtenir une autorisation provisoire de séjour dans l’attente d’une réponse pour la demande de titre.

    Au tribunal, l’avocat dit avoir plaidé l’« ironie », expliquant que la préfecture lui avait permis d’« ouvrir les yeux » sur le nombre de menaces à l’ordre public dans la société. « C’est vrai que quelqu’un qui pose un bout de tissu par terre dehors pour vendre des produits, c’est un vrai danger. D’ailleurs, mon client est terrifiant ! », raille-t-il. L’objectif ? Montrer combien il était « aberrant » que son client se retrouve face à eux ce jour-là, avec de telles accusations.

    Tout ça parce que j’ai travaillé ? On dirait que j’ai volé ou que j’ai agressé quelqu’un. C’est injuste.
    Fatteh, visé par une OQTF
    « Je ne comprends pas pourquoi ils nous font ça », soupire Fatteh, 39 ans, lorsque nous le rencontrons place de la République à Paris. Ce technicien supérieur en électromécanique algérien fait lui aussi l’objet d’une OQTF au prétexte qu’il représente une menace à l’ordre public. Entré sur le territoire de manière irrégulière, il trouve vite un poste au sein d’une entreprise, qui le nomme chef d’équipe sur différents chantiers. Mais il perd son emploi après avoir déposé une demande de régularisation en préfecture, qui est alors rejetée et assortie d’une OQTF.

    « Quand mon récépissé n’a pas été renouvelé, mon patron m’a arrêté. » Jusqu’à présent, jure-t-il, ce dernier l’appelle pour s’enquérir des dernières nouvelles. « Il est prêt à me reprendre si on me donne les papiers. » En attendant, Fatteh est contraint à la débrouille. Un ami lui propose de travailler à ses côtés en tant que chauffeur VTC : il dispose des papiers et du véhicule. Fatteh accepte, « faute de choix ». Seulement voilà, neuf jours après avoir commencé, il est contrôlé par des « motards » sur la route. « Ils ont confisqué la voiture et m’ont embarqué. »

    Il est placé en garde à vue durant quarante-huit heures, puis ressort avec une OQTF. Son tort : avoir utilisé les papiers d’un tiers et avoir conduit avec son permis algérien. « Tout ça parce que j’ai travaillé ? On dirait que j’ai volé ou que j’ai agressé quelqu’un. C’est injuste », déplore-t-il. L’homme, qui n’avait aucun antécédent judiciaire, a été condamné en janvier 2023 à une simple amende qu’il a depuis réglée, le tribunal estimant qu’il n’apparaissait « pas nécessaire, compte tenu de la faible gravité des faits, de prononcer une peine d’emprisonnement ».
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2

    Des abus qui pourraient s’aggraver avec la nouvelle loi


    Mais l’OQTF court toujours. Il vit pourtant en France depuis onze ans et a trois enfants scolarisés, dont deux sont nés en France. Pour Me Charles, il apparaît évident que la menace à l’ordre public devient « arbitraire et systématique » pour cibler les personnes étrangères. Dès qu’il y a une mention au fichier TAJ (traitement d’antécédents judiciaires)ou au casier judiciaire, « les autorités considèrent qu’il y a menace à l’ordre public », relève-t-il.

    Et cela risque de s’aggraver avec la nouvelle loi sur l’immigration. « Avant, cela passait par des instructions ou des circulaires du ministère de l’intérieur. Désormais, c’est inscrit dans la loi. »

    Dans une circulaire datée du 17 novembre 2022, déjà, Gérald Darmanin demandait ainsi aux préfets de « prioriser l’éloignement et les refus et retraits de titres de séjour pour les étrangers dont le comportement représent[ait] une menace pour l’ordre public », précisant que 3 500 étrangers constituant selon lui une menace à l’ordre public avaient été éloignés du territoire depuis 2020.
    Derrière cette institutionnalisation de la menace [...], on vise surtout les étrangers et on veut faire peur.
    Stéphane Maugendre, avocat
    Mais combien l’ont été alors qu’ils correspondaient aux profils que Mediapart a pu rencontrer, soit des étrangers « lambda », qui ne cherchent qu’à travailler pour s’insérer dans la société ?

    Me Maugendre dit avoir constaté le tournant opéré par le ministère de l’intérieur sur cette question il y a environ deux ans. Ce spécialiste du droit des étrangers décrit un véritable « mode de fonctionnement », loin de la simple « dérive ».

    « C’est l’utilisation de l’ordre public à tous les étages, pour tout le monde. » Le cas de sa cliente est caractéristique, ajoute-t-il. « L’histoire de la personne n’existe plus. C’est juste un étranger qu’on associe à la menace à l’ordre public, et qu’il faut expulser à tout prix. »

    Qui prétend savoir ce que recouvre la notion d’ordre public ?, interroge-t-il. « Derrière cette institutionnalisation de la menace, qui s’est faite de manière rampante, on vise surtout les étrangers et on veut faire peur », insiste-t-il, rappelant que sa cliente n’a ni volé ni procédé à des escroqueries, mais a simplement travaillé.

    C’est toute la logique de criminalisation des étrangers, dont Gérald Darmanin ne cesse de dresser le tableau depuis près de deux ans, notamment pour promouvoir la nécessité de sa loi votée avec les voix du Rassemblement national. Les histoires comme celles de Sarah montrent ainsi une « certaine réalité », conclut Me Maugendre, « complètement à l’inverse de ce qu’on raconte sur le plan politique ».

    Si les démarches de régularisation de sa cliente aboutissent, celle-ci aimerait se former à un nouveau métier, comme celui d’aide-soignante, qu’elle a pu observer au jour le jour au sein de l’hôpital où elle travaille. « Avoir une vie stable », résume celle qui refuse de crier victoire trop tôt, consciente des politiques répressives qui visent les personnes étrangèr
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