REPORTAGE
Fini les McMansions et autres villas surdimensionnées. Face à la flambée des prix de l’immobilier, les promoteurs américains se remettent à bâtir des maisons de taille modeste, abordables pour les primo-accédants. Le “New York Times” s’est rendu dans l’Oregon pour mesurer l’ampleur du phénomène.
La maison de Robert Lanter fait 55 mètres carrés : il peut la traverser en cinq secondes et y passer intégralement l’aspirateur sans avoir à changer de prise électrique. Quand il reçoit, il ne peut faire visiter sa maison qu’à une seule personne à la fois.
Ce sont de petits détails significatifs dans le quotidien de Robert Lanter et qui en disent long sur le marché immobilier aux États-Unis : trouver une maison à moins de 300 000 dollars [environ 275 000 euros] tient de plus en plus de la gageure.
C’est précisément la somme qu’a déboursée cet infirmier à la retraite, âgé de 63 ans, pour acheter une maison individuelle neuve située dans un lotissement de Redmond, à une trentaine de minutes de Bend, sa ville d’origine et l’une des plus chères de l’Oregon en ce qui concerne l’immobilier.
Une chance de rester propriétaire
Le pavillon de Robert Lanter semble tout petit à côté des villas à un étage typiques des banlieues résidentielles américaines. Mais il y en a de plus petits encore dans son lotissement de Cinder Butte, bâti par Hayden Homes, un promoteur local. Certains ne font pas plus de 37 mètres carrés, une surface répartie à parts égales entre l’espace d’habitation et le garage.

COURRIER INTERNATIONAL
Nous ne sommes pas dans une communauté de tiny houses [mini-maisons] comme les affectionnent les adeptes de la sobriété. Pour Robert Lanter et ses voisins, ces superficies sont avant tout une chance de rester propriétaires.
Robert Lanter, divorcé il y a peu, a quitté son appartement à Portland pour revenir vivre dans le centre de l’Oregon ; là, il n’a pu que constater que les prix de l’immobilier avaient flambé et lui étaient devenus inaccessibles. Au fil des années, il a vécu dans plusieurs grandes maisons, dont il était propriétaire.
“Je ne voulais pas me retrouver à louer”, résume-t-il. Pour Robert, qui a été propriétaire pendant quarante ans, cela ressemblait à une régression. Et après avoir vécu au 16e étage d’un immeuble de Portland, il ne voulait plus habiter une grande tour non plus.
Le rêve américain, en plus petit
Ce qu’il voulait, c’était le rêve américain, soit quatre murs non mitoyens – et tant pis si l’espace entre ces murs, et entre eux et ceux du voisin, est réduit à la portion congrue. Or plusieurs tendances – économique, démographique, et réglementaire – se conjuguent aujourd’hui, et font des petites surfaces l’avenir de la maison à l’américaine, ou en tout cas une facette de cet avenir.
Ces dix dernières années, avec l’explosion du coût de l’immobilier, les promoteurs ont méthodiquement rogné sur leurs constructions pour continuer de proposer des prix accessibles aux acheteurs. Et ce rapetissement général s’est accéléré l’année dernière, quand le taux fixe des prêts hypothécaires sur trente ans a atteint son plus haut niveau depuis vingt ans, juste en dessous des 8 %.
Les taux d’emprunt sont retombés depuis, et les ventes, en particulier dans le neuf, commencent doucement à repartir après une année 2023 anémique. Pour autant, la tendance aux maisons plus petites et moins chères semble devoir perdurer, bouleversant le marché immobilier aux États-Unis, mais aussi toutes les représentations de la classe moyenne américaine.

Des maisonnettes individuelles dans le lotissement de Elm Trails en banlieue de San Antonio au Texas, le 13 février 2024. PHOTO JOSH HUSKIN/THE NEW YORK TIMES
Les très petites maisons sont depuis longtemps un objet de curiosité sur Internet, leurs modestes proportions semblant dire de grandes choses sur leurs habitants. Sur les réseaux, des influenceurs dénoncent le consumérisme américain et chantent les vertus de la sortie du modèle grande maison de banlieue avec deux voitures, au profit d’une vie décarbonée et désencombrée. Et voilà que les mini-maisons surgissent dans des quartiers et des régions où les acheteurs allaient jusqu’à présent en quête d’espace.
Une preuve du déclin de la classe moyenne ?
Une évolution assez logique, étant donné le contexte dans nombre de grandes villes un peu partout aux États-Unis. Des quartiers jusque-là bon marché se gentrifient, et les nouveaux immeubles et résidences en copropriété visent essentiellement une clientèle aisée, au détriment d’une offre accessible aux primo-accédants. Que les promoteurs proposent de très petites maisons comme solution à ce problème pourrait apparaître comme une nouvelle preuve du déclin des classes moyennes. Mais certains acheteurs y voient une chance de mettre un premier pied dans le marché immobilier.
“Cela devrait aider d’autres jeunes comme nous à acheter leur logement”, espère ainsi Caleb Rodriguez, 22 ans, qui s’est installé récemment à Elm Trails, un tout nouveau quartier de la banlieue de San Antonio. De chaque côté de son pavillon s’alignent d’autres petites maisons, dont la plus petite fait 32,50 mètres carrés.
Le soir après le travail, devant une rangée de maisons à étage beige, grises et vert olive construites sur le même modèle, les voisins se retrouvent pour promener leurs chiens et bavarder. Le lotissement comprend une mare, où l’on vient pique-niquer et pêcher la perche et le poisson-chat. Ici, les maisons n’ont pas de garage et leur allée ne peut accueillir qu’une seule voiture ou deux motos – grâce à quoi le prix de vente peut rester bien en dessous des 200 000 dollars [184 500 euros].
“Je voulais devenir propriétaire, je n’ai pas trouvé moins cher”, explique Caleb Rodriguez, qui travaille dans une usine de transformation de volaille à Seguin, non loin de là. Il a déboursé 145 000 dollars [environs 133 000 euros], et espère avoir ainsi franchi une étape qui lui permettra de se constituer un patrimoine. Peut-être dans quelques années pourra-t-il s’installer ailleurs et louer cette maison ?
La maison de moins de 500 pieds carrés [46,40 mètres carrés] n’est pas près pour autant de dominer le paysage américain : ces surfaces représentent moins de 1 % des nouvelles constructions aux États-Unis. Et Robert Lanter lui-même, qui n’en finit pourtant pas de se féliciter de la modération de sa facture de chauffage et du désencombrement de son intérieur, reconnaît qu’il aurait préféré une habitation un peu plus grande, s’il en avait eu les moyens.
La “grande compression”
Si de telles surfaces sont parfois une option de dernier recours pour un certain type d’acheteurs (“Divorcé… divorcée… séparé”, énumère Robert Lanter en désignant les maisonnettes autour de lui), il y a une tendance de fond.
“Leur seule existence en dit long, analyse Ali Wolf, économiste en chef chez Zonda, un cabinet de conseil en immobilier. Toute l’incertitude de ces dernières années n’a fait que renforcer le besoin d’être propriétaire, sauf que le foncier et les matériaux ont trop augmenté. Il faut bien que ça lâche quelque part, et les promoteurs sont en train de tester cette nouvelle offre.”
Les constructeurs ne mettent plus de jardin tout autour des maisons, mais uniquement derrière les habitations, et suppriment l’îlot de cuisine. Les banlieues résidentielles voient fleurir les maisons mitoyennes, ainsi que de petites maisons individuelles partageant souvent un jardin, et espacées de seulement quelques mètres – comme un hybride entre quartiers résidentiels et maisons de ville.
Cette “grande compression” est de fait encouragée par les pouvoirs publics. Pour réduire le coût du logement, ou à tout le moins limiter sa flambée, les autorités locales un peu partout aux États-Unis adoptent de nouvelles réglementations permettant aux promoteurs de faire sortir de terre des constructions plus petites dans des quartiers avec une plus forte densité.
Ces réglementations ont déjà plusieurs années, mais c’est du côté des promoteurs que les choses ont changé récemment : faute de pouvoir attirer par d’autres moyens des catégories plus diverses d’acheteurs, ils se résignent à construire plus petit.
Les maisons des Américains sont en moyenne plus vastes que celles d’autres pays développés, et ce depuis longtemps. Et au cours du XXe siècle, ils n’ont cessé de pousser les murs de leurs intérieurs. Modèle de la ville nouvelle de l’après-guerre, Levittown, dans l’État de New York, alignait des pavillons de style Cape Cod d’environ 70 mètres carrés en moyenne, soit une surface confortable pour un logement comprenant une seule chambre, mais modeste pour une maison individuelle de deux chambres.
Aujourd’hui, la surface médiane des logements américains avoisine les 205 mètres carrés, contre 140 mètres carrés dans les années 1960. La taille des parcelles, elle, n’a guère changé : la maison type est donc conçue de façon à maximiser la surface bâtie, au détriment de la superficie du jardin et de la distance la séparant des constructions voisines. Une expansion qui s’est faite à contre-courant des grands bouleversements dans la composition des ménages.
Fini les McMansions et autres villas surdimensionnées. Face à la flambée des prix de l’immobilier, les promoteurs américains se remettent à bâtir des maisons de taille modeste, abordables pour les primo-accédants. Le “New York Times” s’est rendu dans l’Oregon pour mesurer l’ampleur du phénomène.
La maison de Robert Lanter fait 55 mètres carrés : il peut la traverser en cinq secondes et y passer intégralement l’aspirateur sans avoir à changer de prise électrique. Quand il reçoit, il ne peut faire visiter sa maison qu’à une seule personne à la fois.
Ce sont de petits détails significatifs dans le quotidien de Robert Lanter et qui en disent long sur le marché immobilier aux États-Unis : trouver une maison à moins de 300 000 dollars [environ 275 000 euros] tient de plus en plus de la gageure.
C’est précisément la somme qu’a déboursée cet infirmier à la retraite, âgé de 63 ans, pour acheter une maison individuelle neuve située dans un lotissement de Redmond, à une trentaine de minutes de Bend, sa ville d’origine et l’une des plus chères de l’Oregon en ce qui concerne l’immobilier.
Une chance de rester propriétaire
Le pavillon de Robert Lanter semble tout petit à côté des villas à un étage typiques des banlieues résidentielles américaines. Mais il y en a de plus petits encore dans son lotissement de Cinder Butte, bâti par Hayden Homes, un promoteur local. Certains ne font pas plus de 37 mètres carrés, une surface répartie à parts égales entre l’espace d’habitation et le garage.

COURRIER INTERNATIONAL
Nous ne sommes pas dans une communauté de tiny houses [mini-maisons] comme les affectionnent les adeptes de la sobriété. Pour Robert Lanter et ses voisins, ces superficies sont avant tout une chance de rester propriétaires.
Robert Lanter, divorcé il y a peu, a quitté son appartement à Portland pour revenir vivre dans le centre de l’Oregon ; là, il n’a pu que constater que les prix de l’immobilier avaient flambé et lui étaient devenus inaccessibles. Au fil des années, il a vécu dans plusieurs grandes maisons, dont il était propriétaire.
“Je ne voulais pas me retrouver à louer”, résume-t-il. Pour Robert, qui a été propriétaire pendant quarante ans, cela ressemblait à une régression. Et après avoir vécu au 16e étage d’un immeuble de Portland, il ne voulait plus habiter une grande tour non plus.
Le rêve américain, en plus petit
Ce qu’il voulait, c’était le rêve américain, soit quatre murs non mitoyens – et tant pis si l’espace entre ces murs, et entre eux et ceux du voisin, est réduit à la portion congrue. Or plusieurs tendances – économique, démographique, et réglementaire – se conjuguent aujourd’hui, et font des petites surfaces l’avenir de la maison à l’américaine, ou en tout cas une facette de cet avenir.
Ces dix dernières années, avec l’explosion du coût de l’immobilier, les promoteurs ont méthodiquement rogné sur leurs constructions pour continuer de proposer des prix accessibles aux acheteurs. Et ce rapetissement général s’est accéléré l’année dernière, quand le taux fixe des prêts hypothécaires sur trente ans a atteint son plus haut niveau depuis vingt ans, juste en dessous des 8 %.
Les taux d’emprunt sont retombés depuis, et les ventes, en particulier dans le neuf, commencent doucement à repartir après une année 2023 anémique. Pour autant, la tendance aux maisons plus petites et moins chères semble devoir perdurer, bouleversant le marché immobilier aux États-Unis, mais aussi toutes les représentations de la classe moyenne américaine.
Des maisonnettes individuelles dans le lotissement de Elm Trails en banlieue de San Antonio au Texas, le 13 février 2024. PHOTO JOSH HUSKIN/THE NEW YORK TIMES
Les très petites maisons sont depuis longtemps un objet de curiosité sur Internet, leurs modestes proportions semblant dire de grandes choses sur leurs habitants. Sur les réseaux, des influenceurs dénoncent le consumérisme américain et chantent les vertus de la sortie du modèle grande maison de banlieue avec deux voitures, au profit d’une vie décarbonée et désencombrée. Et voilà que les mini-maisons surgissent dans des quartiers et des régions où les acheteurs allaient jusqu’à présent en quête d’espace.
Une preuve du déclin de la classe moyenne ?
Une évolution assez logique, étant donné le contexte dans nombre de grandes villes un peu partout aux États-Unis. Des quartiers jusque-là bon marché se gentrifient, et les nouveaux immeubles et résidences en copropriété visent essentiellement une clientèle aisée, au détriment d’une offre accessible aux primo-accédants. Que les promoteurs proposent de très petites maisons comme solution à ce problème pourrait apparaître comme une nouvelle preuve du déclin des classes moyennes. Mais certains acheteurs y voient une chance de mettre un premier pied dans le marché immobilier.
“Cela devrait aider d’autres jeunes comme nous à acheter leur logement”, espère ainsi Caleb Rodriguez, 22 ans, qui s’est installé récemment à Elm Trails, un tout nouveau quartier de la banlieue de San Antonio. De chaque côté de son pavillon s’alignent d’autres petites maisons, dont la plus petite fait 32,50 mètres carrés.
Le soir après le travail, devant une rangée de maisons à étage beige, grises et vert olive construites sur le même modèle, les voisins se retrouvent pour promener leurs chiens et bavarder. Le lotissement comprend une mare, où l’on vient pique-niquer et pêcher la perche et le poisson-chat. Ici, les maisons n’ont pas de garage et leur allée ne peut accueillir qu’une seule voiture ou deux motos – grâce à quoi le prix de vente peut rester bien en dessous des 200 000 dollars [184 500 euros].
“Je voulais devenir propriétaire, je n’ai pas trouvé moins cher”, explique Caleb Rodriguez, qui travaille dans une usine de transformation de volaille à Seguin, non loin de là. Il a déboursé 145 000 dollars [environs 133 000 euros], et espère avoir ainsi franchi une étape qui lui permettra de se constituer un patrimoine. Peut-être dans quelques années pourra-t-il s’installer ailleurs et louer cette maison ?
La maison de moins de 500 pieds carrés [46,40 mètres carrés] n’est pas près pour autant de dominer le paysage américain : ces surfaces représentent moins de 1 % des nouvelles constructions aux États-Unis. Et Robert Lanter lui-même, qui n’en finit pourtant pas de se féliciter de la modération de sa facture de chauffage et du désencombrement de son intérieur, reconnaît qu’il aurait préféré une habitation un peu plus grande, s’il en avait eu les moyens.
La “grande compression”
Si de telles surfaces sont parfois une option de dernier recours pour un certain type d’acheteurs (“Divorcé… divorcée… séparé”, énumère Robert Lanter en désignant les maisonnettes autour de lui), il y a une tendance de fond.
“Leur seule existence en dit long, analyse Ali Wolf, économiste en chef chez Zonda, un cabinet de conseil en immobilier. Toute l’incertitude de ces dernières années n’a fait que renforcer le besoin d’être propriétaire, sauf que le foncier et les matériaux ont trop augmenté. Il faut bien que ça lâche quelque part, et les promoteurs sont en train de tester cette nouvelle offre.”
Les constructeurs ne mettent plus de jardin tout autour des maisons, mais uniquement derrière les habitations, et suppriment l’îlot de cuisine. Les banlieues résidentielles voient fleurir les maisons mitoyennes, ainsi que de petites maisons individuelles partageant souvent un jardin, et espacées de seulement quelques mètres – comme un hybride entre quartiers résidentiels et maisons de ville.
Cette “grande compression” est de fait encouragée par les pouvoirs publics. Pour réduire le coût du logement, ou à tout le moins limiter sa flambée, les autorités locales un peu partout aux États-Unis adoptent de nouvelles réglementations permettant aux promoteurs de faire sortir de terre des constructions plus petites dans des quartiers avec une plus forte densité.
Ces réglementations ont déjà plusieurs années, mais c’est du côté des promoteurs que les choses ont changé récemment : faute de pouvoir attirer par d’autres moyens des catégories plus diverses d’acheteurs, ils se résignent à construire plus petit.
Les maisons des Américains sont en moyenne plus vastes que celles d’autres pays développés, et ce depuis longtemps. Et au cours du XXe siècle, ils n’ont cessé de pousser les murs de leurs intérieurs. Modèle de la ville nouvelle de l’après-guerre, Levittown, dans l’État de New York, alignait des pavillons de style Cape Cod d’environ 70 mètres carrés en moyenne, soit une surface confortable pour un logement comprenant une seule chambre, mais modeste pour une maison individuelle de deux chambres.
Aujourd’hui, la surface médiane des logements américains avoisine les 205 mètres carrés, contre 140 mètres carrés dans les années 1960. La taille des parcelles, elle, n’a guère changé : la maison type est donc conçue de façon à maximiser la surface bâtie, au détriment de la superficie du jardin et de la distance la séparant des constructions voisines. Une expansion qui s’est faite à contre-courant des grands bouleversements dans la composition des ménages.
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