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À Mayotte, la machine infernale des expulsions n’épargne personne

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  • À Mayotte, la machine infernale des expulsions n’épargne personne

    Nadia, née à Mayotte, mère de six enfants français, s’est fait expulser vers les Comores. Dans l’archipel, la France continue d’expulser massivement et sans distinction au moyen de procédures expéditives et souvent irrégulières. Ignorant les alertes répétées jusqu’au Conseil de l’Europe.


    Mamoudzou (Mayotte).– « Dès que j’ouvre les yeux, c’est horrible. Je me rappelle que je ne suis pas chez moi, que je ne suis pas avec mes enfants alors qu’ils ont besoin de moi. » Au téléphone depuis Anjouan (Comores), Nadia* présente ses excuses de ne pas retenir ses larmes. « Mais je suis tellement fatiguée, tellement triste, ils sont sans leur maman, ils n’ont même pas pu faire leur rentrée », poursuit-elle à propos de ses six enfants, âgés de 2 à 10 ans.

    Cela fait maintenant près de trois semaines que cette famille est déchirée par les 70 kilomètres d’océan Indien qui séparent Mayotte de l’île comorienne. Un trajet que Nadia a effectué pour la première fois de sa vie, contre sa volonté et à rebours de sa perception d’une France « où, normalement, il y a des règles qui empêchent ça ».

    Le 20 août, cette mère de six enfants français a été expulsée par les services de la préfecture de Mayotte, qui n’a pas répondu à nos questions sur cette affaire. La veille, Nadia se rendait au tribunal judiciaire demander un certificat de nationalité française. « C’était un soulagement, j’allais enfin pouvoir finir mes démarches pour les papiers », se rappelle-t-elle depuis les Comores.

    Agrandir l’image : Illustration 1Lors d'une réunion de personnes menacées d'expulsion avec des associations à Majicavo (Mayotte) le 24 avril 2023. © Photo Morgan Fache / AFP

    À 27 ans, et bien que née à Mayotte, Nadia se trouvait systématiquement empêchée depuis de longues années dans sa demande de documents d’identité française : les services de l’état civil de la mairie de Mamoudzou ont perdu son acte de naissance après une dernière délivrance du document en 2015.

    Ce n’est que grâce à l’intervention d’un représentant associatif déterminé à l’aider à faire valoir ses droits, jusqu’à alerter le procureur de la République, que la situation se dénoue : Nadia récupère son sésame en juillet 2024. « J’étais vraiment heureuse, j’allais pouvoir chercher un vrai travail pour que ma famille vive mieux », décrit-elle.

    « Tu vas prendre le bateau, tu vas rentrer chez toi »

    Le 19 août, l’espoir retrouvé, Nadia se rend donc au tribunal. Le cœur est plus léger, mais elle n’oublie pas toutes les précautions d’usage : elle est munie de son dossier administratif ainsi que des cartes d’identité de ses enfants. Car « ici, on peut se faire arrêter partout et tout le temps ». « Ça m’était déjà arrivé quatre fois, mais à chaque fois, on me faisait sortir du CRA [centre de rétention administrative – ndlr] après avoir vu mon dossier », indique la jeune femme. « Ces derniers temps, je ne sortais plus que pour les urgences à cause de ça, c’est compliqué pour les enfants quand on se fait arrêter », ajoute-t-elle.

    C’est donc son dossier en main que Nadia se fait contrôler par la police aux frontières à Mamoudzou. Ses justifications n’y font rien, elle est envoyée au centre de rétention administrative à Petite-Terre. Dans la foulée, elle alerte son ami associatif et son compagnon. Le premier contacte par voie électronique les différents services de l’administration tandis que le second se rend à Petite-Terre muni d’une liasse supplémentaire de documents. De son côté, Nadia rencontre une assistante sociale officiant au CRA. « J’étais rassurée, elle m’a dit que j’allais sortir. »

    La jeune maman passe cependant la nuit au centre de rétention. Le lendemain matin, son nom est appelé. « Je me suis dit que c’était pour me faire sortir, mais ils m’ont dit “Tu vas prendre le bateau, tu vas retourner chez toi”, mais c’est ici chez moi ! », rejoue-t-elle, la gorge nouée. Forcée d’embarquer au milieu d’une soixantaine de personnes au sort similaire, Nadia est anéantie.

    Comme toujours, elle pense à ses enfants dont on l’éloigne inexorablement sur une mer qui lui fait peur. « Il y avait des gens qui disaient qu’ils allaient revenir en kwassa [un canot de pêche - ndlr] pour ne pas laisser leurs enfants seuls, mais moi je ne veux pas prendre le kwassa, je suis désolée, mais ça me fait trop peur, je veux pas mourir dans la mer. La semaine dernière encore, il y a un bateau qui s’est renversé**, il y avait une jeune mariée dedans qui allait retrouver son mari... Qu’est-ce qu’ils deviendraient mes enfants si je mourais moi aussi ? », sanglote la maman.

    Après quelques heures de navigation, arrivée au port de Mutsamudu (Anjouan), Nadia est sommée de quitter le navire, se rebiffe puis s’exécute. Et comme à tous les arrivant·es de sa catégorie – le bateau transporte aussi des voyageurs légaux –, on lui réclame son arrêté OQTF (obligation de quitter le territoire français).

    « Il y a le droit, et puis il y a Mayotte »

    Mediapart a pu consulter le document en question. Sa lecture est édifiante. Selon l’arrêté préfectoral, l’expulsion de Nadia, qui est née à Mayotte et n’a jamais quitté le territoire, serait motivée par son impossibilité de « justifier être entrée régulièrement à Mayotte », mais aussi par « son intention de quitter le territoire de manière volontaire », alors même que la jeune femme indique avoir refusé de signer le procès-verbal, ou encore car « il n’est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressée au regard de sa vie privée et familiale ».

    Cerise sur le gâteau, selon le document, Nadia serait née à « Mamoudzou (Comores) », alors qu’il s’agit de la préfecture mahoraise. Une mention qui, en dehors de ces circonstances, pourrait prêter à sourire au vu du conflit diplomatique qui oppose encore officiellement la France et l’Union des Comores à l’égard de Mayotte.


    Les procès-verbaux sont des documents stéréotypés et les arrêtés portant OQTF sont édités automatiquement.
    Marjane Ghaem, avocate
    « Rien d’étonnant malheureusement », réagit l’avocate Marjane Ghaem, spécialiste du droit des personnes étrangères à Mayotte. « Les procès-verbaux sont des documents stéréotypés et les arrêtés portant OQTF sont édités automatiquement, avant ou en l’absence de toute analyse de la situation personnelle », poursuit l’avocate, prenant l’exemple récent d’un père, seul référent légal de ses enfants, avec un titre de séjour valide, expulsé alors même que son avocate avait saisi le juge des référés le matin même. « Il y a le droit, et puis il y a Mayotte », ironise Marjane Ghaem.

    L'Europe ne lève pas sa surveillance

    Il y a quatre ans, la Cour européenne des droits de l’Homme rendait un arrêt historique, condamnant la France pour ses pratiques en matière d’expulsions depuis Mayotte. Si, en l’espèce, l’affaire portée par l’avocate Marjane Ghaem concernait le sort de deux enfants rattachés arbitrairement à un adulte dépourvu de lien avec eux en vue de leur expulsion vers les Comores – pratique qui a toujours cours –, elle mettait en lumière tout un système gravement attentatoire aux droits fondamentaux.

    Depuis cette condamnation, le comité des ministres du Conseil de l’Europe, instance chargée du suivi de l’exécution des arrêts de la Cour, se réunit tous les ans pour évaluer les mesures mises en place par la France. Réuni du 11 au 13 juin 2024, le comité a décidé de poursuivre sa surveillance, considérant ainsi – malgré une relative mansuétude – que la France n’avait toujours pas apporté de garanties suffisantes à travers son « plan d’action du gouvernement ». Il faut dire que ce document se base essentiellement sur des affirmations, alors que les observations étayées d’ONG, du Défenseur des droits ou encore du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sont alarmantes.

    « Dans le cadre d’arrêts précédents, la France a mis en place des mesures pour se conformer aux arrêts de la Cour, mais là, rien. Elle se contente de dire au comité de suivi que ces situations ne se reproduisent pas alors que nous avons de nombreux cas qui prouvent le contraire. Il n’y a aucune prise de conscience. Et l’on poursuit coûte que coûte cette politique alors qu’à part donner lieu à des drames humains, elle est inefficace », commente Marjane Ghaem.

    Entre juin et juillet 2024, une autre jeune femme de nationalité française particulièrement vulnérable a également été expulsée à deux reprises par la préfecture de Mayotte. Selon son père, qui a témoigné pour le média en ligne local Kweli et qui s’est déplacé aux Comores pour la retrouver, la jeune femme « atteinte de troubles mentaux » se serait trouvée en errance et aurait subi des abus sexuels alors qu’elle dormait sur une plage. « Qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ça ? », questionne inlassablement Nadia.

    Grégoire Mérot

    Boîte noire


    * Le prénom a été modifié

    ** Le 29 août, un kwassa surchargé faisant le trajet entre Anjouan et Mayotte a chaviré. Seuls trois corps ont été retrouvés.

    Sollicitée à de multiples reprises, la préfecture de Mayotte n’a pas donné suite à nos demandes.


    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    Mayotte est occupée, la France a raison d'expulser les occupants.
    Toutes les fleurs de l'avenir sont dans les semences d'aujourd'hui.

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