La précarité augmente en France en 2024, d’après le baromètre annuel de l’association de solidarité, selon lequel deux tiers des Français interrogés disent connaître ou avoir connu une situation de pauvreté, un chiffre en progression.
Faïza Zerouala
Se priver de nourriture pour boucler ses fins de mois ou simplement nourrir ses enfants, renoncer à se soigner, peiner à payer la cantine scolaire, son logement ou à faire face aux frais d’énergie ou de transport : les privations auxquelles les Français·es les plus pauvres s’astreignent ne diminuent pas, bien au contraire.
C’est ce qui ressort nettement de la 18e édition du baromètre du Secours populaire sur la pauvreté et la précarité en France, publié jeudi 12 septembre avec l’entreprise de sondage Ipsos (s’appuyant sur un échantillon de 996 personnes représentatives de la population française interrogées par téléphone en mai 2024).
Selon l’étude, deux tiers des Français·es interrogé·es ont connu ou été sur le point de connaître une situation de pauvreté cette année, en hausse par rapport à l’an dernier. L’association souligne que cette fragilité frappe en premier lieu les classes populaires, soit les ouvriers et les employés. Autre constat fait par le Secours populaire : les zones rurales sont par ailleurs moins bien loties en matière de services publics et aussi moins bien desservies par les transports, ce qui favorise l’isolement.

L’année 2024 marque aussi une dégradation sur les postes de dépenses essentiels comme le logement, l’accès aux soins ou l’énergie. Près de la moitié des personnes interrogées ne chauffent pas leur logement lorsqu’il fait froid, ou déclarent ne plus pouvoir subvenir à leurs dépenses d’énergie. Autant d’indicateurs en hausse, comme pour les difficultés à payer le loyer ou l’emprunt immobilier. Une pauvreté qui conduit « parfois ou régulièrement » à ne pas faire trois repas par jour ou à se priver pour pouvoir nourrir les enfants, ou à vivre sans mutuelle (pour un tiers des personnes interrogées).
Le travail n’empêche plus la pauvreté
La « grande fragilité des ménages » se matérialise à travers un autre indicateur : les répondant·es fixent le « seuil de pauvreté subjectif » à 1 396 euros par mois et par personne. Soit 200 euros de plus que le seuil de pauvreté fixé à 1 158 euros par mois par l’Insee, et seulement 2 euros de moins que le Smic (1 398 euros net pour un mois travaillé à temps plein).
Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire, s’offusque auprès de Mediapart que « des mamans soient obligées de se priver pour qu’un enfant puisse manger à sa faim. Et ce n’est pas de leur faute. On voit bien que ces familles font déjà des arbitrages ».Ce qui lui fait dire qu’« aujourd’hui, des personnes qui sont rémunérées au Smic se sentent pauvres et ont toute raison de le penser. Ce n’est pas possible qu’en travaillant à temps complet, on ait la perception d’être pauvre, quel que soit l’effort qu’on fournit dans le cadre de son travail ».
Pire, « le travail n’est plus un rempart contre la pauvreté », ce qui est nouveau, explique-t-elle. Pour elle, ce baromètre invalide davantage les discours délétères autour de l’assistanat. « Je ne vois pas comment on pourrait demander à ces personnes de faire davantage que ce qu’elles font déjà. »
Henriette Steinberg pointe aussi l’inquiétude irriguant les familles pauvres : « Il y a une inquiétude très forte concernant l’avenir des jeunes générations, les gens ont peur que les plus jeunes basculent dans la pauvreté. » Si le Secours populaire se garde d’intervenir directement dans le débat politique, sa secrétaire générale pointe les responsabilités de celles et ceux qui sont « aux commandes »,qui devraient prendre en compte ces situations et y remédier activement.
Le député La France insoumise (LFI) Hadrien Clouet, sociologue de formation, juge de son côté que « lorsqu’on est ouvrier ou employé, on ne peut plus vivre de son travail, on a la tête sous l’eau ».Et d’insister : « Il y a une minorité riche qui va de mieux en mieux, et toutes celles et ceux qui vivent de leur travail vont de moins en moins bien. Il n’est donc pas vrai que remettre les gens au travail de force avec France Travail les protège de la pauvreté. »
Pour l’élu, le fait que le seuil de pauvreté subjectif rattrape le Smic, « qui ne permet pas de payer les dépenses de dignité fondamentale », montre que le salaire minimum doit être considéré comme un outil décisif de lutte contre la pauvreté. « Le revaloriser est nécessaire parce qu’aujourd’hui, le simple fait de travailler à temps plein ne permet pas d’être au-dessus du seuil de pauvreté. » Le député préconise aussi, entre autres, de mettre en œuvre un blocage des prix, « la seconde arme qu’il faut absolument mobiliser, car on est bel et bien en situation de crise sociale, là c’est documenté ».
Alors que le budget 2025 est en préparation, avec une probable tonalité austéritaire, Hadrien Clouet se dit « extrêmement » inquiet. « L’intégralité de la réflexion dans l’appareil d’État macroniste consiste à couper ce qui défend le plus les droits de ces personnes qui ont déjà du mal à survivre, dit-il. On s’attend à de nouvelles coupes dans le domaine de la santé par exemple, avec l’apparition de ces franchises médicales qui font que ceux qui n’ont pas de mutuelle ne pourront pas se payer leurs médicaments. »