ENQUÊTE
Devenue le porte-étendard du combat contre l’islamisme après les attentats de 2015, la journaliste franco-marocaine défend désormais ouvertement les pogroms contre Israël. L’ex de Charlie Hebdo fait l’objet d’une enquête pour «apologie du terrorisme».
La photo est prise au Sénat, en 2020. Tout sourire, Bruno Retailleau pose aux côtés de Zineb El Rhazoui - une femme «qui s’engage avec force contre le cancer de l’islam politique», s’extasiait, admiratif, l’ancien patron de la droite sénatoriale. Quatre ans plus tard, le Vendéen devenu ministre de l’Intérieur vient de provoquer l’ouverture d’une enquête pour «apologie du terrorisme». Sa protégée d’hier est dans le viseur aujourd’hui pour des propos tenus début octobre dans une vidéo du média turc «Nouvelle Aube», où Zineb El Rhazoui déclare qu’elle «ne condamne pas le 7 octobre», tenant le pogrom antisémite ayant fait 1400 morts en Israël comme un «acte de résistance et de désespoir».
Dieu seul le sait
Est-ce un revirement spectaculaire de la journaliste franco-marocaine, ou la résurgence d’un préjugé culturel immarcescible à l’endroit d’Israël et de son peuple ? Les amis de Zineb El Rhazoui se perdent en conjectures. «On s’est trompé sur son compte», jurent les uns ; «elle a vrillé», veulent croire les autres. «Vous mettez le doigt sur un sujet délicat», préviennent-ils tous de concert. Zineb El Rhazoui est le visage d’une énigme, dont nul ne prétend détenir à lui seul la clef.
L’intéressée pourtant se défend de toute volte-face : «Je n’ai pas hésité à faire mon devoir en dénonçant le terrorisme islamique lorsqu’il a frappé notre pays. C’est au nom du même principe que je dénonce la dérive sanguinaire du gouvernement israélien, qui évoque des prophéties religieuses pour tuer les ’Amalek’ à Gaza», répond Zineb El-Rhazoui au Figaro, faisant allusion à une allocution de Netanyahou au début de l’intervention militaire à Gaza, qui exhortait les Israéliens à «se rappeler de ce qu’Amelek leur a fait». Dans l’Ancien Testament, Amalek s’en prend sans raison aux Hébreux et Yahvé ordonne en retour à son peuple d’exterminer les Amalécites. Cette phrase du premier ministre israélien constituerait donc une interprétation mythologique du récit biblique, apportant une justification ethnoreligieuse au «génocide» des Gazaouis - dans la grille de lecture qu’adopte désormais Zineb El Rhazoui du conflit entre Israël et le Hamas. Cette dernière se pense aujourd’hui comme engagée dans un nouveau combat contre un même fondamentalisme religieux, et décrit Israël comme «un Daech qui a réussi».
«Je trouve personnellement indécent de zoomer sur ma petite personne lorsque des dizaines de milliers de gens meurent tous les jours sous les bombes», poursuit-elle en réponse à nos sollicitations, refusant donc de se livrer davantage. Le paradoxe est pourtant qu’en plus d’une heure d’entretien à la presse turque, elle ne parle pratiquement que d’elle-même - de son parcours et de ses engagements militants, auxquels elle tente de redonner une cohérence rétrospective, mais aussi de ses regrets. Elle y renie pour de bon son combat passé pour la laïcité, qu’elle décrit aujourd’hui comme une persécution islamophobe pour laquelle elle présente ses excuses : «De tout cœur et du fond de mes tripes je demande pardon à tous ceux que j’ai blessés, car j’ai été l’instrument d’un système qui les oppresse et fait d’eux des citoyens de seconde zone».
De gauche à droite : Bruno Retailleau, Zineb El Rhazoui et Jacqueline Eustache-Brinio, au Sénat en 2020. Bruno Retailleau sur Twitter
Les Indigènes de la République applaudissent des deux mains : «L’épiphanie de Zineb El Rhazoui est belle à voir», commente Houria Bouteldja qui ajoute : «cette indigène domestique renverse la soupe sur la plus belle nappe de la maison !». C’était la même qui, en 2019, fustigeait chez Zineb El Rhazoui un «complexe du colonisé» et estimait que «son corps ne lui appartient plus», en raison de la jupe qu’arborait la militante laïque sur une photo où elle posait avec Élisabeth Badinter.
C’est parce qu’elle a longtemps combattu ce genre de discours que celle qui est devenue pour nous «Zineb» est depuis dix ans l’une des personnalités les plus protégées de la République française. Ce furent chaque jour 4 à 6 policiers au minimum, répartis dans deux voitures blindées, qui ont été alloués à sa sécurité en raison du flot incessant de menaces de mort qu’elle a reçues. Aujourd’hui encore, confirme une source à Beauvau, elle fait l’objet d’une protection «UCLAT» renforcée lors de ses séjours en France - pour reprendre l’ancienne terminologie qu’emploient les policiers de la DGSI. La nécessité de protéger Zineb El Rhazoui lui a même valu d’obtenir un logement social dans un immeuble de l’hypercentre de Paris, afin de faciliter sa protection rapprochée - un logement cossu à loyer très modéré, dont une source bien informée assure qu’elle bénéficie toujours.
Une enquête ouverte pour apologie du terrorisme suite aux propos de Zineb El Rhazoui
0 seconds of 37 secondsVolume 0%
«Elle était un personnage !»
Cette protection omniprésente, qui marquait profondément tous les journalistes qui l’ont interviewée, faisait de Zineb El Rhazoui une existence en sursis, promenant avec elle comme une escorte le cortège d’intimidations et de haines que l’expression courageuse de ses idées avait déclenchées. Dans les colonnes du Figaro et jusqu’en couverture du Figaro Magazine (mais aussi du Point, de L’Express, de Valeurs Actuelles...), une étoile médiatique était née : sa description d’un islamisme conquérant sonnait juste, et ses préconisations sans concession contre ce «fascisme» qu’elle entendait «détruire» faisaient mouche. Ceux qui l’ont vue arriver à Charlie Hebdo en 2013, après avoir acquis une forte notoriété au Maroc pour ses provocations effrontées en plein ramadan face à la théocratie de Mohammed VI, à travers le mouvement des «déjeûneurs», ou ses actions pour les droits des femmes avec le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles, ont du reste tout de suite admiré sa bravoure : «Elle met de la passion et de l’excès en tout, ce qui la rend très courageuse face aux périls», résume un ancien de Charlie.
Un vieux compagnon de route, franco-marocain comme elle, loue encore son érudition : «Elle connaît très bien la langue arabe, ou plutôt les langues arabes, elle maîtrise l’arabe littéraire, elle a étudié les cultures égyptiennes, connaît tous les grands auteurs de l’islam... C’est d’ailleurs ce qui énervait le plus les ’barbus’ : ils avaient face à eux une fille issue de chez eux, mais brillante, et qui savait commenter aussi bien qu’eux les hadiths pour en dévoiler la misogynie crasse !» À quoi s’ajoute, dans l’apothéose stellaire de cette pasionaria haute en couleurs, une intelligence sans pareille pour la mise en scène de soi : «Dès qu’elle est arrivée en France elle a débarqué comme une rockstar, avec ses grands manteaux et ses lunettes Gucci, se souvient une ancienne camarade de lutte. Elle avait quelque chose en plus des autres, elle était drôle, cultivée, elle avait eu une histoire d’amour marrante avec un chef touareg, elle était touchante et libre, elle racontait sans pudeur à Charb ses avortements... elle était déjà un personnage !»
Pourtant, très vite, la collaboration tourne au vinaigre. Certes Zineb El Rhazoui scénarise une bande dessinée sur la vie de Mahomet mais même Charb s’exaspère de ses textes rendus en retard, systématiquement. «Elle était jamais là, toujours à l’autre bout du monde, à réclamer des avances de frais», se souvient un ancien de Charlie. «Avant l’attentat elle n’était personne, elle passait plus de temps à fumer des pétards et boire du champagne qu’à bosser pour la rédac’», persifle une autre journaliste qui l’a bien connue. De l’avis de plusieurs, il a d’ailleurs très vite été question de la renvoyer. «Elle était ingérable, on ne pouvait plus supporter ses déclarations intempestives et ses hurlements, on cherchait le moyen de s’en débarrasser», confirme une source interne à la rédaction de l’époque.
Une place à prendre
Mais voilà : le 7 janvier 2015, les frères Kouachi font irruption au journal et vengent, à coups de rafales de Kalachnikov, leur prophète caricaturé. «Ce jour-là, 12 personnes sont mortes. Zineb est l’une des survivantes», clame un documentaire consacré à Zineb El Rhazoui, qui s’est laissée filmer de 2011 à 2016 par deux journalistes belges. Leur a-t-elle dit qu’elle se trouvait ce jour-là à des milliers de kilomètres de la rédaction parisienne... ? «Elle était en vacances au Maroc le 7 janvier et elle a laissé s’installer comme si de rien n’était l’idée qu’elle était une rescapée de l’attentat», s’emportent plusieurs de ses amis de l’époque.
Au lendemain de l’attaque, Zineb El-Rhazoui est revenue à Paris et fait toutes les manifestations, puis met un point d’honneur à participer au numéro «des survivants». «Elle a compris qu’elle avait une place à prendre : elle allait pouvoir devenir la jeune femme d’origine maghrébine qui donne un visage au combat contre l’islamisme», résume avec cynisme un témoin privilégié de son ascension médiatique. Mais si la rédaction en deuil de l’hebdomadaire satirique affiche encore une unité de façade dans le défilé du 11 janvier, déjà en coulisses les couteaux s’aiguisent. Les dons affluent, le numéro qui suit l’attentat s’arrache à 8 millions d’exemplaires (au lieu des 30.000 habituels) et le journal, qui manquait d’argent, croule sous la trésorerie.

Zineb El Rhazoui lors de la marche du 11 janvier 2015 en hommage aux victimes de Charlie Hebdo. Purepeople
Autour de Zineb El Rhazoui se ligue un petit clan (avec l’urgentiste Patrick Pelloux ou encore le journaliste d’investigation Laurent Léger) décidé à saisir au vol l’opportunité pour devenir actionnaires de leur propre journal - «et empocher au passage le magot», commente un tenant du camp d’en face. Qui ajoute : «Riss n’était pas sorti de l’hôpital et ils ont voulu faire un putsch, face à Gérard Biard qui était encore sonné !» Un soir de fête, dans les mois qui suivent la fusillade, Zineb monte un canular téléphonique avec une amie et appelle le directeur financier de Charlie, Éric Portheault, pour lui faire des menaces anonymes, ce qu’elle reconnaît quelques jours plus tard. L’incident est jugé suffisamment peu pardonnable pour enclencher une procédure de licenciement pour faute grave. Qu’à cela ne tienne, la journaliste se rue sur le plateau de Yann Barthès pour crier à la persécution. «Il a fallu renoncer à la virer car dès qu’on tentait quelque chose, elle faisait sortir un article sous la plume de Raphaëlle Bacqué dans les colonnes du Monde», soupire un historique. Jusqu’au jour où, inéluctablement, la rupture trop longtemps retardée devient inévitable - mais cette fois Zineb s’en va avec des indemnités de départ généreuses.
Le Figaro
Devenue le porte-étendard du combat contre l’islamisme après les attentats de 2015, la journaliste franco-marocaine défend désormais ouvertement les pogroms contre Israël. L’ex de Charlie Hebdo fait l’objet d’une enquête pour «apologie du terrorisme».
La photo est prise au Sénat, en 2020. Tout sourire, Bruno Retailleau pose aux côtés de Zineb El Rhazoui - une femme «qui s’engage avec force contre le cancer de l’islam politique», s’extasiait, admiratif, l’ancien patron de la droite sénatoriale. Quatre ans plus tard, le Vendéen devenu ministre de l’Intérieur vient de provoquer l’ouverture d’une enquête pour «apologie du terrorisme». Sa protégée d’hier est dans le viseur aujourd’hui pour des propos tenus début octobre dans une vidéo du média turc «Nouvelle Aube», où Zineb El Rhazoui déclare qu’elle «ne condamne pas le 7 octobre», tenant le pogrom antisémite ayant fait 1400 morts en Israël comme un «acte de résistance et de désespoir».
Dieu seul le sait
Est-ce un revirement spectaculaire de la journaliste franco-marocaine, ou la résurgence d’un préjugé culturel immarcescible à l’endroit d’Israël et de son peuple ? Les amis de Zineb El Rhazoui se perdent en conjectures. «On s’est trompé sur son compte», jurent les uns ; «elle a vrillé», veulent croire les autres. «Vous mettez le doigt sur un sujet délicat», préviennent-ils tous de concert. Zineb El Rhazoui est le visage d’une énigme, dont nul ne prétend détenir à lui seul la clef.
L’intéressée pourtant se défend de toute volte-face : «Je n’ai pas hésité à faire mon devoir en dénonçant le terrorisme islamique lorsqu’il a frappé notre pays. C’est au nom du même principe que je dénonce la dérive sanguinaire du gouvernement israélien, qui évoque des prophéties religieuses pour tuer les ’Amalek’ à Gaza», répond Zineb El-Rhazoui au Figaro, faisant allusion à une allocution de Netanyahou au début de l’intervention militaire à Gaza, qui exhortait les Israéliens à «se rappeler de ce qu’Amelek leur a fait». Dans l’Ancien Testament, Amalek s’en prend sans raison aux Hébreux et Yahvé ordonne en retour à son peuple d’exterminer les Amalécites. Cette phrase du premier ministre israélien constituerait donc une interprétation mythologique du récit biblique, apportant une justification ethnoreligieuse au «génocide» des Gazaouis - dans la grille de lecture qu’adopte désormais Zineb El Rhazoui du conflit entre Israël et le Hamas. Cette dernière se pense aujourd’hui comme engagée dans un nouveau combat contre un même fondamentalisme religieux, et décrit Israël comme «un Daech qui a réussi».
«Je trouve personnellement indécent de zoomer sur ma petite personne lorsque des dizaines de milliers de gens meurent tous les jours sous les bombes», poursuit-elle en réponse à nos sollicitations, refusant donc de se livrer davantage. Le paradoxe est pourtant qu’en plus d’une heure d’entretien à la presse turque, elle ne parle pratiquement que d’elle-même - de son parcours et de ses engagements militants, auxquels elle tente de redonner une cohérence rétrospective, mais aussi de ses regrets. Elle y renie pour de bon son combat passé pour la laïcité, qu’elle décrit aujourd’hui comme une persécution islamophobe pour laquelle elle présente ses excuses : «De tout cœur et du fond de mes tripes je demande pardon à tous ceux que j’ai blessés, car j’ai été l’instrument d’un système qui les oppresse et fait d’eux des citoyens de seconde zone».
De gauche à droite : Bruno Retailleau, Zineb El Rhazoui et Jacqueline Eustache-Brinio, au Sénat en 2020. Bruno Retailleau sur Twitter
Les Indigènes de la République applaudissent des deux mains : «L’épiphanie de Zineb El Rhazoui est belle à voir», commente Houria Bouteldja qui ajoute : «cette indigène domestique renverse la soupe sur la plus belle nappe de la maison !». C’était la même qui, en 2019, fustigeait chez Zineb El Rhazoui un «complexe du colonisé» et estimait que «son corps ne lui appartient plus», en raison de la jupe qu’arborait la militante laïque sur une photo où elle posait avec Élisabeth Badinter.
C’est parce qu’elle a longtemps combattu ce genre de discours que celle qui est devenue pour nous «Zineb» est depuis dix ans l’une des personnalités les plus protégées de la République française. Ce furent chaque jour 4 à 6 policiers au minimum, répartis dans deux voitures blindées, qui ont été alloués à sa sécurité en raison du flot incessant de menaces de mort qu’elle a reçues. Aujourd’hui encore, confirme une source à Beauvau, elle fait l’objet d’une protection «UCLAT» renforcée lors de ses séjours en France - pour reprendre l’ancienne terminologie qu’emploient les policiers de la DGSI. La nécessité de protéger Zineb El Rhazoui lui a même valu d’obtenir un logement social dans un immeuble de l’hypercentre de Paris, afin de faciliter sa protection rapprochée - un logement cossu à loyer très modéré, dont une source bien informée assure qu’elle bénéficie toujours.
Une enquête ouverte pour apologie du terrorisme suite aux propos de Zineb El Rhazoui
0 seconds of 37 secondsVolume 0%
«Elle était un personnage !»
Cette protection omniprésente, qui marquait profondément tous les journalistes qui l’ont interviewée, faisait de Zineb El Rhazoui une existence en sursis, promenant avec elle comme une escorte le cortège d’intimidations et de haines que l’expression courageuse de ses idées avait déclenchées. Dans les colonnes du Figaro et jusqu’en couverture du Figaro Magazine (mais aussi du Point, de L’Express, de Valeurs Actuelles...), une étoile médiatique était née : sa description d’un islamisme conquérant sonnait juste, et ses préconisations sans concession contre ce «fascisme» qu’elle entendait «détruire» faisaient mouche. Ceux qui l’ont vue arriver à Charlie Hebdo en 2013, après avoir acquis une forte notoriété au Maroc pour ses provocations effrontées en plein ramadan face à la théocratie de Mohammed VI, à travers le mouvement des «déjeûneurs», ou ses actions pour les droits des femmes avec le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles, ont du reste tout de suite admiré sa bravoure : «Elle met de la passion et de l’excès en tout, ce qui la rend très courageuse face aux périls», résume un ancien de Charlie.
Un vieux compagnon de route, franco-marocain comme elle, loue encore son érudition : «Elle connaît très bien la langue arabe, ou plutôt les langues arabes, elle maîtrise l’arabe littéraire, elle a étudié les cultures égyptiennes, connaît tous les grands auteurs de l’islam... C’est d’ailleurs ce qui énervait le plus les ’barbus’ : ils avaient face à eux une fille issue de chez eux, mais brillante, et qui savait commenter aussi bien qu’eux les hadiths pour en dévoiler la misogynie crasse !» À quoi s’ajoute, dans l’apothéose stellaire de cette pasionaria haute en couleurs, une intelligence sans pareille pour la mise en scène de soi : «Dès qu’elle est arrivée en France elle a débarqué comme une rockstar, avec ses grands manteaux et ses lunettes Gucci, se souvient une ancienne camarade de lutte. Elle avait quelque chose en plus des autres, elle était drôle, cultivée, elle avait eu une histoire d’amour marrante avec un chef touareg, elle était touchante et libre, elle racontait sans pudeur à Charb ses avortements... elle était déjà un personnage !»
Pourtant, très vite, la collaboration tourne au vinaigre. Certes Zineb El Rhazoui scénarise une bande dessinée sur la vie de Mahomet mais même Charb s’exaspère de ses textes rendus en retard, systématiquement. «Elle était jamais là, toujours à l’autre bout du monde, à réclamer des avances de frais», se souvient un ancien de Charlie. «Avant l’attentat elle n’était personne, elle passait plus de temps à fumer des pétards et boire du champagne qu’à bosser pour la rédac’», persifle une autre journaliste qui l’a bien connue. De l’avis de plusieurs, il a d’ailleurs très vite été question de la renvoyer. «Elle était ingérable, on ne pouvait plus supporter ses déclarations intempestives et ses hurlements, on cherchait le moyen de s’en débarrasser», confirme une source interne à la rédaction de l’époque.
Une place à prendre
Mais voilà : le 7 janvier 2015, les frères Kouachi font irruption au journal et vengent, à coups de rafales de Kalachnikov, leur prophète caricaturé. «Ce jour-là, 12 personnes sont mortes. Zineb est l’une des survivantes», clame un documentaire consacré à Zineb El Rhazoui, qui s’est laissée filmer de 2011 à 2016 par deux journalistes belges. Leur a-t-elle dit qu’elle se trouvait ce jour-là à des milliers de kilomètres de la rédaction parisienne... ? «Elle était en vacances au Maroc le 7 janvier et elle a laissé s’installer comme si de rien n’était l’idée qu’elle était une rescapée de l’attentat», s’emportent plusieurs de ses amis de l’époque.
Au lendemain de l’attaque, Zineb El-Rhazoui est revenue à Paris et fait toutes les manifestations, puis met un point d’honneur à participer au numéro «des survivants». «Elle a compris qu’elle avait une place à prendre : elle allait pouvoir devenir la jeune femme d’origine maghrébine qui donne un visage au combat contre l’islamisme», résume avec cynisme un témoin privilégié de son ascension médiatique. Mais si la rédaction en deuil de l’hebdomadaire satirique affiche encore une unité de façade dans le défilé du 11 janvier, déjà en coulisses les couteaux s’aiguisent. Les dons affluent, le numéro qui suit l’attentat s’arrache à 8 millions d’exemplaires (au lieu des 30.000 habituels) et le journal, qui manquait d’argent, croule sous la trésorerie.

Zineb El Rhazoui lors de la marche du 11 janvier 2015 en hommage aux victimes de Charlie Hebdo. Purepeople
Autour de Zineb El Rhazoui se ligue un petit clan (avec l’urgentiste Patrick Pelloux ou encore le journaliste d’investigation Laurent Léger) décidé à saisir au vol l’opportunité pour devenir actionnaires de leur propre journal - «et empocher au passage le magot», commente un tenant du camp d’en face. Qui ajoute : «Riss n’était pas sorti de l’hôpital et ils ont voulu faire un putsch, face à Gérard Biard qui était encore sonné !» Un soir de fête, dans les mois qui suivent la fusillade, Zineb monte un canular téléphonique avec une amie et appelle le directeur financier de Charlie, Éric Portheault, pour lui faire des menaces anonymes, ce qu’elle reconnaît quelques jours plus tard. L’incident est jugé suffisamment peu pardonnable pour enclencher une procédure de licenciement pour faute grave. Qu’à cela ne tienne, la journaliste se rue sur le plateau de Yann Barthès pour crier à la persécution. «Il a fallu renoncer à la virer car dès qu’on tentait quelque chose, elle faisait sortir un article sous la plume de Raphaëlle Bacqué dans les colonnes du Monde», soupire un historique. Jusqu’au jour où, inéluctablement, la rupture trop longtemps retardée devient inévitable - mais cette fois Zineb s’en va avec des indemnités de départ généreuses.
Le Figaro
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