TRIBUNE - Recourir à l’immigration pour compenser la baisse du nombre d’actifs est un leurre dans un pays qui compte trois millions de chômeurs, estiment les deux chefs d’entreprise. Mieux vaut rendre le travail plus attractif et faciliter les reconversions professionnelles des Français, argumentent-ils.
Stanislas et Godefroy de Bentzmann sont coprésidents de Devoteam, une entreprise de conseil en technologies.
La France n’a pas besoin de plus d’immigration pour compenser la baisse de sa population active. Elle doit remettre ses chômeurs au travail, reconvertir les compétences libérées par l’IA et moderniser un État hypertrophié.
Les études démographiques (France Stratégie, le Conseil d’orientation des retraites, etc.) sont unanimes : la baisse des actifs est une menace majeure pour notre économie et pour notre modèle social. Face à cela, la seule réponse envisagée est l’immigration. Nous perdons des actifs, allons nous servir ailleurs. Une solution de facilité qui ignore nos trois immenses réservoirs de main-d’œuvre disponibles.
Avec plus de trois millions de chômeurs, la France dispose du réservoir de main-d’œuvre dont elle a besoin pour la prochaine décennie. Nos dirigeants se félicitent d’avoir ramené le taux de chômage à environ 7 %, mais ce résultat reste bien en deçà des performances de nombreux voisins européens, qui avoisinent les 4 % de chômage. Le plein-emploi n’est pas un mythe : il suppose de réformer en profondeur la gestion du chômage.
Il faut corriger les effets désincitatifs actuels, inciter à travailler dans les secteurs en tension (BTP, santé, restauration, etc.) et faciliter la reconversion et la mobilité. L’Allemagne l’a fait avec les lois Hartz, entre 2003 et 2005, avec des résultats spectaculaires.
Nous devons donc aller plus loin : rendre le travail plus attractif en augmentant le salaire net, réduire les charges, renforcer la formation tout au long de la vie et limiter l’assistanat passif.
L’intelligence artificielle bouleverse déjà le marché du travail. Selon l’étude McKinsey de 2023, 30 % des tâches actuelles pourraient être automatisées d’ici à 2030. Certains métiers disparaîtront, d’autres apparaîtront pour répondre à ces nouveaux besoins. L’enjeu principal sera la productivité, qui remettra en disponibilité des personnes à reconvertir vers les secteurs et les métiers en tension.
Il faut réfléchir autrement. Au XIXe siècle, en poussant les statistiques, les experts prévoyaient que, dans les villes, le crottin des chevaux de fiacres monterait jusqu’aux premiers étages. Ils n’avaient pas vu la révolution automobile arriver…
En France, avec 30 millions d’actifs travaillant en moyenne 1600 heures par an, 30 % des heures automatisées représenteraient l’équivalent de 9 millions de personnes disponibles en 2030. Sous réserve que ces heures puissent être redéployées efficacement dans les secteurs ou les tâches en demande.
La reconversion professionnelle est essentielle pour éviter de faire exploser le chômage structurel de masse. Même Google et Amazon financent actuellement des programmes de formation massifs pour leurs propres employés menacés par l’automatisation.
Demain est déjà là, il est temps d’agir. En Europe et en France, les entreprises s’adaptent résolument à cette révolution. La France peut transformer ce risque en une opportunité économique pour relever les défis majeurs qui se présentent à nous - qu’ils soient technologiques, économiques ou environnementaux.
La fonction publique est surdimensionnée : en équivalent temps plein, nous avons 6,13 millions de fonctionnaires ou équivalents, là où l’Angleterre, qui a une population et un PIB similaires, n’en compte que 2,64 millions, et l’Allemagne, avec 22 % de population en plus et un PIB supérieur de 35 %, en utilise seulement 4,5 millions. Même en réduisant de moitié l’écart avec l’Allemagne, nous pourrions réallouer plus de 1 million de salariés qualifiés vers le secteur privé.
Si le seul enjeu était quantitatif, il suffirait peut-être d’importer massivement de la main-d’œuvre étrangère. C’est un raisonnement simpliste, sans compter les pénuries que ces mouvements produisent pour les pays de départ, qui souffrent de cette attrition de compétences.
Le rapport sur la compétitivité de l’Union européenne, rédigé par Mario Draghi en septembre 2024, est sans équivoque. Il met en avant trois priorités : combler notre retard technologique, renforcer notre compétitivité tout en décarbonant notre économie, réduire nos dépendances stratégiques, notamment technologiques.
Ces priorités convergent vers un enjeu clé : investir massivement dans la formation et la transformation des compétences.
La France n’a ni les moyens matériels ni les moyens humains d’accueillir davantage d’immigrés, souvent éloignés culturellement de notre modèle européen et qui gonflent encore les chiffres du chômage (le taux de chômage des immigrés est deux fois plus élevé que celui des non-immigrés, selon l’Insee ou la Dares). En revanche, la France a la responsabilité morale et politique de loger et d’intégrer correctement les populations déjà présentes sur son territoire. Milton Friedman, dans Capitalisme et liberté, écrivait : « Une société stable et démocratique est impossible sans un degré minimum d’instruction chez la majorité des citoyens et sans une large acceptation d’un ensemble de valeurs communes. »
Le Danemark, sous un gouvernement socialiste, a drastiquement limité l’immigration et misé sur un système éducatif avancé. Il jouit aujourd’hui d’une société apaisée et prospère. En revanche, la Suède, qui a organisé une immigration massive, fait face à une explosion de la criminalité et est déstabilisée par les fractures culturelles de sa population.
La priorité de la France est claire : atteindre le plein-emploi grâce à des incitations efficaces à l’emploi, former et requalifier massivement pour accompagner les mutations du travail, optimiser la fonction publique pour libérer des compétences et financer ces transformations. Pour cela, il faut un plan de reconversion massif, de la formation continue et de l’apprentissage en ligne, des programmes de requalification financés par l’État et par les entreprises et la flexibilité du marché du travail pour permettre la transition d’un secteur à l’autre.
C’est en développant les compétences de nos écoliers, étudiants, salariés et chômeurs que nous pourrons devenir une économie avancée, compétitive et souveraine. Cet effort est indispensable pour relancer durablement notre croissance, rétablir l’équilibre de nos finances publiques et construire une société unie, confiante et optimiste.
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