REPORTAGE - En partie élu sur ses promesses face à l’immigration illégale, le nouveau locataire de la Maison-Blanche multiplie les arrestations et les expulsions de migrants. Même s’il se heurte à de nombreux obstacles.
Par Hélène Vissière, à Washington, pour Le Figaro Magazine

On se croirait dans un film de guerre façon Hollywood. Des GI en tenue de combat descendent d’un V-22, un avion de transport, au milieu d’une zone désertique et s’équipent de fusils d’assaut. En arrière-plan, on aperçoit le mur construit à la frontière du Mexique sur fond de soleil levant. Cette vidéo postée par la Maison-Blanche est un message clair : le président Trump, qui a fait de la lutte contre l’immigration le thème central de sa campagne, tient ses promesses. L’administration américaine a lancé une énorme offensive de communication sur les ondes et les réseaux.
Régulièrement, elle publie le nombre d’immigrés, tous des criminels en cavale affirme-t-elle, arrêtés dans la journée (815 le 4 février, 715 la veille) et des clichés de certains d’entre eux, à la façon des affichettes « Wanted » des westerns, avec leurs méfaits : meurtre, membre de gang, viol… Elle diffuse également des photos de groupes de migrants menottés et enchaînés en train d’être acheminés vers des avions militaires pour être expulsés du territoire. Kristi Noem, la secrétaire à la Sécurité intérieure, a même publié un clip où, sanglée dans un gilet pare-balles, elle fait de la retape pour une descente de police. « 7 heures du matin à New York, écrit-elle en légende. En train d’expulser la racaille des rues. »
Rétablir la loi et l’ordre
Malgré le battage médiatique, ce n’est pas tout à fait la « plus grande opération d’expulsion de l’histoire américaine » promise par Donald Trump dès le premier jour de son accession au pouvoir. Un peu plus de 8000 personnes ont été appréhendées sur les deux premières semaines suivant son investiture. Moins de la moitié ont un casier judiciaire. Et près de 500 d’entre elles ont déjà été relâchées, faute en partie à un manque de places dans les centres de détention.
Qu’importe ! Ces arrestations de « dangereux criminels » montrent à sa base que le président se bat pour rétablir la loi et l’ordre. Elles visent aussi à dissuader les migrants et les trafiquants qui envisagent de traverser la frontière illégalement. Accessoirement, elles suscitent la peur chez ceux déjà sur le territoire américain et les poussent à rentrer chez eux.

Le 5 février dernier, première expulsion de migrants criminels vers l’enclave de Guantánamo, sur l’île de Cuba UPI/ABACA
Mais tout n’est pas que fanfaronnades et brouhaha médiatique. Donald Trump a lancé une multitude de décrets anti-immigration destinés à provoquer « choc et effroi », une stratégie militaire fondée sur une démonstration massive de force pour paralyser l’adversaire et anéantir son désir de combattre. Si plusieurs de ces mesures ont été bloquées par les tribunaux ou vont mettre du temps à être appliquées, d’autres ont déjà transformé le système.
« L’immigration est un domaine dans lequel le président des États-Unis a une immense latitude et un grand nombre d’outils à sa disposition », résume Lenni Benson, professeur de droit à la New York Law School. Ses décrets ont deux objectifs : expulser les 11,7 millions de sans-papiers dont une grande proportion sont installés de longue date. Et empêcher l’afflux de nouveaux clandestins en fermant les frontières avec le Canada et le Mexique, alors que leur nombre a pourtant fortement chuté après le durcissement des contrôles imposés par Joe Biden.
Contre les municipalités démocrates
L’Administration a ainsi stoppé les programmes humanitaires, suspendu temporairement l’arrivée de dizaines de milliers de réfugiés dont le visa avait déjà été approuvé et créé une procédure expéditive d’expulsion pour les migrants récents. Surtout, elle a mis un terme au système de demandes d’asile, l’une des options d’immigration légale très populaire. Donald Trump va encore plus loin : il a envoyé l’armée le long de la frontière mexicaine, a autorisé, décision inédite, la police de l’immigration à procéder à des arrestations dans les écoles, les églises, les hôpitaux.
Le nombre d’attaques contre les immigrés est absolument incroyable et sans précédent.
Lara Finkbeiner, de l’ONG International Refugee Assistance Project
Lara Finkbeiner, de l’ONG International Refugee Assistance Project
Et a commencé à s’attaquer, autre grande première, aux municipalités et États démocrates qui refusent de collaborer avec la police fédérale. Le ministère de la Justice a intenté un procès contre l’Illinois et la ville de Chicago qu’il accuse d’entraver sa chasse aux individus en situation irrégulière. « Le nombre d’attaques contre les immigrés est absolument incroyable et sans précédent. Et la plupart des mesures prises par le gouvernement sont illégales et inconstitutionnelles », affirme Lara Finkbeiner, de l’International Refugee Assistance Project, une ONG de défense des réfugiés.
Mobilisation des ong
À Centreville, en Virginie, où vit une communauté guatémaltèque, l’atmosphère est tendue. Les habitants se calfeutrent chez eux et se préparent au pire. Certains n’envoient plus leurs enfants à l’école. « Dans les communes aux alentours, il y a déjà eu des descentes de police dans des restaurants, des stations-service », explique Claudia, une mère de famille d’origine mexicaine. Même si elle est détentrice d’une carte verte de résident, elle se dit très inquiète. « Depuis que Trump est là, je pleure et ma fille de 14 ans est stressée. Elle me dit : “Maman rentrons au Mexique”. Il n’est pas possible de vivre dans cette angoisse pendant quatre ans. » La peur est amplifiée par la désinformation sur les réseaux sociaux. Et, dans plusieurs États, des Américains qui se faisaient passer pour des policiers et harcelaient des sans-papiers, ont été inculpés.
Je n’ai jamais vu une telle activité policière. Les gens sont terrifiés à l’idée de prendre leur voiture, de se rendre à la boulangerie où il y a déjà eu une descente
Julia Miller, responsable de l’ONG Central American Refugee Center
Julia Miller, responsable de l’ONG Central American Refugee Center
Les ONG se mobilisent. Dans le centre social où travaille Claudia, on a distribué aux instructeurs, en charge des cours d’Anglais, de petites caméras qu’ils sont censés actionner en cas d’arrivée de la police. On leur a appris également à distinguer entre les différents mandats d’arrêt. À Long Island, dans l’État de New York, le comté a renforcé les contrôles en assignant dix agents à la lutte contre les clandestins. « Je n’ai jamais vu une telle activité policière. Les gens sont terrifiés à l’idée de prendre leur voiture, de se rendre à la boulangerie où il y a déjà eu une descente », confie Julia Miller, l’une des responsables du Central American Refugee Center, une ONG d’aide aux migrants.

Le 28 janvier, arrestation de migrants illégaux à New York Handout/Ice/ZUMA-REA
Son organisation a mis en place un numéro d’urgence pour aider les familles. Elle distribue une carte avec les consignes en cas d’arrestation, pousse les écoles à organiser en ligne, plutôt qu’en présentiel, les réunions avec les parents d’élève. Elle conseille aux prêtres, s’il se produit un raid dans leur Église, d’emmener leurs paroissiens dans la sacristie, lieu privé donc protégé. Et elle encourage les familles à désigner un tuteur pour leurs enfants au cas où les parents seraient expulsés. « C’est vraiment dur de voir un gouvernement déstabiliser tous les aspects de la vie de ces communautés », dit-elle.
À Little Village, un quartier mexicain de Chicago, c’est toute la communauté qui s’est mobilisée. Une semaine après l’investiture du nouveau président, la police est arrivée à bord de voitures non banalisées. Aussitôt, les riverains ont lancé des alertes par texto, WhatsApp, sur les réseaux sociaux, et se sont mis à suivre les agents tout en les filmant. Ces derniers ont fini par repartir sans arrêter personne. La campagne « choc et effroi » semble cependant avoir déjà un impact. Des voisins de Claudia, installés depuis deux ans, ont décidé de rentrer en Colombie. « Je vois une forte hausse de gens prêts à partir. Ils me disent : “Je préfère rentrer dans mon pays de mon propre gré plutôt que menotté comme un criminel” », poursuit Julia Miller.
Accélérer les expulsions
Ces derniers jours, dit-on, Donald Trump, furieux du manque de progrès, met la pression sur la police de l’immigration. Apparemment, elle n’a pas réussi à respecter les quotas fixés entre 1200 et 1400 arrestations par jour. Selon les chiffres officiels, on tournerait plutôt autour de 750. Le président se heurte aux mêmes problèmes logistiques que ses prédécesseurs : un manque d’agents et de centres de détention. Et pourtant, il ne lésine pas sur les moyens. Il a enrôlé dans la lutte contre les sans-papiers toutes les agences fédérales, du FBI aux Stups, et prévoit d’envoyer 30.000 illégaux à Guantánamo, la base américaine à Cuba.

Cette prison a abrité, après les attentats du 11 Septembre, des centaines d’individus accusés d’appartenir à al-Qaida. Il en reste une quinzaine. La semaine dernière, a débarqué un premier contingent de dix Vénézuéliens censés appartenir à un gang. « Les vols vers Guantánamo Bay ont commencé. La pire des racailles n’a pas sa place dans notre patrie », ont clamé les autorités sur les réseaux sociaux. Personne ne sait combien de temps ils vont rester là, ni s’ils auront accès à un avocat.
Pendant ce temps, l’Administration pousse les pays, de l’Inde à l’Amérique latine, à récupérer leurs ressortissants. Et gare à ceux qui résistent. La Colombie l’a appris à ses dépens. Fin janvier, les États-Unis ont annoncé qu’ils rapatriaient des migrants dans deux appareils militaires. Ce n’est pas inhabituel. Le gouvernement Biden a effectué en quatre ans 475 vols de clandestins vers Bogotá. Mais cette fois, ils étaient enchaînés et voyageaient dans des avions de l’armée. Le président Petro a refusé qu’ils se posent. La situation s’est envenimée sur fond de déclarations musclées des deux côtés. Donald Trump a menacé de restreindre les visas, d’imposer 25 % de taxes douanières et autres représailles. Bogotá a fini par capituler.
Commentaire