Dans son livre « Le Cube », à paraître mercredi aux éditions Flammarion, la journaliste Claire Marchal enquête de manière très fouillée sur les méthodes de Galileo, un groupe privé qui occupe une place majeure dans l’enseignement supérieur.

« Le Cube », de Claire Marchal (Flammarion, 384 pages, 22 euros).
Je reçois ce SMS le 30 novembre 2023 : « Bonjour Claire. On dépasse bien évidemment les capacités d’accueil du bâtiment. N’oublie pas d’ajouter environ 20-25 personnes en plus (enseignants + personnel administratif). Cela dit, les effectifs dépassent tellement le quota autorisé… C’est dingue, avec des pointes à 450… Bien tassés, les étudiants ! A ++ »
En pièce jointe du message, un petit cadeau : un dossier contenant une longue liste de captures d’écran. Sur ces images s’affiche le nombre d’étudiants qui entrent et sortent de l’école Penninghen, jour par jour, demi-heure par demi-heure, sur une centaine de dates, de 2021 à 2023.
L’école parisienne, située 31, rue du Dragon dans le prestigieux 6e arrondissement, est spécialisée dans la direction artistique, la communication et l’architecture. C’est une référence, une institution. Fondée à la fin des années 1960, elle a traversé les âges sans jamais perdre de sa superbe. En 2015, elle est rachetée par Galileo et, peu à peu, les choses changent. Un ancien professeur, qui préfère rester anonyme, m’a confié avoir éprouvé des craintes dès l’annonce de la vente : « A l’époque, on nous rassure et on nous promet que le groupe ne touchera pas à la pédagogie, j’avais d’énormes doutes, mais j’ai décidé d’y croire. » Finalement, Penninghen est devenue, après une lente dégradation, « une machine de guerre destinée à presser le citron », toujours selon cet ancien professeur, notamment via l’augmentation de ses tarifs et, surtout, de ses effectifs. (…)
Selon les registres 2022 de la Préfecture de police de Paris, Penninghen est classée comme établissement recevant du public de catégorie 4 et a donc une capacité d’accueil de 300 personnes maximum. Mais, selon les listings dont j’ai pu prendre connaissance, ces seuils ne sont quasiment jamais respectés. En 2021 et 2022, sur 84 journées de cours, seules neuf ne les ont jamais dépassés. Les 75 autres dates de cours (soit plus de 90 % du temps !) ont toutes explosé les normes définies par la Préfecture. Certains jours, les effectifs montent à plus de 350 étudiants, et même jusqu’à 398 ! Au début de l’année scolaire 2023-2024, la tendance s’accentue encore : le 19 octobre 2023, la fréquentation de l’école atteint 403 élèves. Le 8 novembre, 424 élèves…
Des retours d’expériences similaires émanant d’autres écoles me sont revenus aux oreilles. Notamment de Bellecour, où les salles sont également surchargées, jusqu’à inquiéter Thibault Catimel, l’ancien directeur de département de l’école lyonnaise : « On a des salles où les jeunes n’ont même plus la place de s’asseoir, ils restent debout ou sur les tables pendant le cours, c’est n’importe quoi. » Selon plusieurs témoins, certaines classes comptabilisent jusqu’à dix élèves de trop. Des professeurs rencontreraient des difficultés à se déplacer entre les chevalets des tables à dessin pour observer les travaux de leurs élèves, tant les salles débordent.
Des risques d’incidents bien réels
Avant de continuer, décryptons ce qui va suivre : ERP, cela signifie « établissement recevant du public ». 4, c’est un niveau. 300, c’est le nombre maximum de personnes autorisées à entrer dans le bâtiment. Reprenons : « Clairement, on est hors la loi, on a un effectif ERP 4 à 300, et vous êtes beaucoup plus ! » Cette phrase, c’est le responsable sécurité du groupe qui l’a prononcée, lors d’une réunion, à l’automne 2022.
Je ne révèle pas le nom de l’école en question, afin de protéger mes sources. Ce que je peux avancer, en revanche, c’est que dans cet enregistrement d’une heure que l’on m’a transmis, il est question de normes de sécurité, de risques d’incidents, de travaux qu’il est nécessaire d’engager et même de possibles responsabilités pénales.
Dans cette école, comme dans toutes celles du groupe, les effectifs ont augmenté sans discontinuer depuis plusieurs années. Sous la pression du patron de pôle, le directeur a ouvert de nouvelles classes, tout en sachant que le campus ne disposait pas de l’espace nécessaire pour le faire.
La norme ERP est pourtant extrêmement importante. Elle classe les bâtiments ouverts au public par catégories, en fonction de leur capacité d’accueil. La catégorie 1 permet d’admettre plus de 1 500 personnes, la deuxième de 701 à 1 500 personnes, la troisième de 301 à 700. La catégorie 4 – celle dont relève l’école en question – ne peut donc accueillir que 300 personnes, maximum.
« On est largement au-delà des 300 ! », lance au cours de la réunion l’un des membres de l’équipe, légèrement pris de panique. Il poursuit : « La seule solution qui me reste, c’est de renvoyer chez eux la moitié des étudiants qu’on a acceptés, à qui on a fait payer des frais de scolarité. » Les normes ERP ne sont pas de simples classifications administratives. Elles définissent surtout l’application du règlement de sécurité incendie et favorisent l’intervention des secours en cas d’incident. Un défaut de classification, des effectifs trop importants ou un bloc de bâtiments non déclaré peuvent empêcher les pompiers d’intervenir.
Cette année scolaire-là, l’école est clairement en dehors des clous et les risques d’incidents sont bien réels. Depuis plusieurs années, les équipes alertent le groupe sur diverses problématiques graves : installations électriques vétustes avec des risques de départ de feu, soupçons de présence d’amiante… « Il faudrait tout simplement fermer le bâtiment », évoque même l’un des membres du groupe de travail.
Qui détient la responsabilité de ces mises aux normes ? Est-ce l’école ou le groupe ? Comment justifier cette absence de travaux ? Souvenez-vous des reportings, des tableaux Excel et surtout du pot commun : chez Galileo, les directeurs n’ont pas réellement la main sur la gestion de leur budget. S’ils souhaitent engager des travaux de mise en conformité, ils doivent demander l’autorisation aux directeurs de pôle, qui, eux, essaient à tout prix de limiter la charge financière. Une source interne m’a affirmé que l’école avait bien prévu un plan d’investissement pour remettre le campus aux normes… Or, toujours selon cette personne, les travaux n’auraient jamais été lancés, à cause du système de budget centralisé par le siège, qui freine toutes les actions locales. (…)
Alors que l’entreprise pousse les directeurs d’école à recruter toujours plus d’élèves, elle leur rappelle aussi qu’en cas de problème ce sont eux, les responsables devant la justice. Cela aurait encouragé plusieurs directeurs à claquer la porte. Car cette école n’est pas la seule concernée. Plusieurs sources de différents établissements m’ont fait part de leurs inquiétudes face à des classes surchargées, des locaux mal entretenus ou du matériel électrique en mauvais état, mais aussi des normes ERP non respectées.
Le groupe ne semble pas en faire sa priorité. La direction du pôle Business s’en amuse même. « Les piou-pious, tu les serres, ils couinent un peu au début, mais ça passe ! », aurait lancé, un jour de début 2023, le directeur de pôle à ses subalternes en riant, lors d’un codir [un comité de direction]. « Piou-pious », c’est un terme que j’entendrai à plusieurs reprises, dans les enregistrements des réunions de manageurs. « Piou-pious », c’est le surnom donné par les directeurs aux étudiants. Piou-pious, cela renvoie à ces petits oisillons sortis du nid que l’on aide à voler de leurs propres ailes. Ce sont aussi, hélas, ces jeunes poussins entassés dans des cuves, destinés à finir broyés. Stockés, comptés, numérotés. Pour faire du chiffre. (…)
« L’école était un peu chère, mais avait bonne réputation »
Anne n’avait pas les moyens financiers pour payer les études de sa fille, Cillian [le prénom a été changé]. Comme tant d’autres. A plus de 8 000 euros l’année, l’école LISAA Animation est hors de la portée de la famille. « On aurait bien aimé l’inscrire dans le public, mais les rares écoles du domaine sont hyperélitistes et il est très difficile d’y entrer », me raconte Anne.
Heureusement, Cillian décroche un prêt étudiant à taux zéro, de 15 000 euros, lui permettant de s’inscrire dans l’école privée de Galileo et de payer les deux premières années. Ses parents mettent en place des mensualités : ils rembourseront la banque de leur poche. « Je ne voulais surtout pas qu’elle bosse pendant son année scolaire, car ça génère trop de pression, et on voulait tout miser sur ses études », me dit Anne. Alors ils paient. Après tout, le jeu en vaut la chandelle, pensent-ils : « Grâce à la réputation de LISAA, on se disait qu’elle trouverait un bon emploi ! » La jeune femme suit son cursus, non sans encombre. Anne me parle du turnover des directeurs, du matériel coûteux à acheter dans l’année, et surtout d’une école qui ne prépare pas assez ses étudiants à entrer dans l’emploi : « On ne leur dit rien sur les statuts professionnels, la rémunération, ou sur le fait que le secteur embauche très peu… On ne les aide pas non plus assez pour trouver des stages. » Cillian, malgré tout, achève ses études après trois ans de bachelor, réussit à se dégoter un stage, puis des petits boulots en free lance, comme illustratrice. « Mais il y a beaucoup de reconversions professionnelles, de gens qui font autre chose, qui changent de voie… parfois ce sont des personnes avec du talent… », se désole Cillian. (…)
« Le rêve d’Hermès [le prénom a été changé], c’était de dessiner », me lance Stéphanie par téléphone. Cette maman aussi croyait en son fils, en sa capacité à réaliser ses projets futurs. Elle croyait en l’Atelier de Sèvres. Cette école, souvenez-vous, est l’un des établissements d’arts appliqués parisiens vendus par Michel Glize à Galileo Global Education, fin 2012.
« L’école était un peu chère, mais avait bonne réputation, alors on s’est dit pourquoi pas », raconte Stéphanie. Hermès quitte Toulouse, sa ville natale, et met le cap sur Paris. « La première année, c’est une sorte de prépa. On a payé l’école, sans oublier tous les à-côtés, le loyer à Paris, le nécessaire pour qu’il s’en sorte, se souvient Stéphanie. C’était une somme importante pour nous. Moi, je ne travaille pas, et mon mari est entrepreneur, il a sa propre entreprise, donc on avait un peu d’argent de côté, mais 8 000 ou 9 000 euros, c’est non négligeable pour notre famille. » Qu’à cela ne tienne, elle souhaite encourager son enfant. « Qu’il puisse aller là-haut, à Paris, réaliser son rêve d’avoir accès à cette école, c’était une source de fierté. »
Toute la famille déchante vite. La première année de classe préparatoire à l’Atelier de Sèvres ne répond en rien à leurs attentes. Stéphanie et Hermès me racontent tous les deux leur déception lorsqu’ils ont compris que l’année scolaire s’achèverait en mars, à l’issue des concours d’entrée en bachelor. « On pensait que ce serait une année scolaire, comme à la fac, mais après cinq mois de cours, c’était fini… Ça fait cher le mois ! », s’agace encore Stéphanie. Les conditions de travail non plus ne correspondent pas à leurs espérances. (…)

« Le Cube », de Claire Marchal (Flammarion, 384 pages, 22 euros).
Je reçois ce SMS le 30 novembre 2023 : « Bonjour Claire. On dépasse bien évidemment les capacités d’accueil du bâtiment. N’oublie pas d’ajouter environ 20-25 personnes en plus (enseignants + personnel administratif). Cela dit, les effectifs dépassent tellement le quota autorisé… C’est dingue, avec des pointes à 450… Bien tassés, les étudiants ! A ++ »
En pièce jointe du message, un petit cadeau : un dossier contenant une longue liste de captures d’écran. Sur ces images s’affiche le nombre d’étudiants qui entrent et sortent de l’école Penninghen, jour par jour, demi-heure par demi-heure, sur une centaine de dates, de 2021 à 2023.
L’école parisienne, située 31, rue du Dragon dans le prestigieux 6e arrondissement, est spécialisée dans la direction artistique, la communication et l’architecture. C’est une référence, une institution. Fondée à la fin des années 1960, elle a traversé les âges sans jamais perdre de sa superbe. En 2015, elle est rachetée par Galileo et, peu à peu, les choses changent. Un ancien professeur, qui préfère rester anonyme, m’a confié avoir éprouvé des craintes dès l’annonce de la vente : « A l’époque, on nous rassure et on nous promet que le groupe ne touchera pas à la pédagogie, j’avais d’énormes doutes, mais j’ai décidé d’y croire. » Finalement, Penninghen est devenue, après une lente dégradation, « une machine de guerre destinée à presser le citron », toujours selon cet ancien professeur, notamment via l’augmentation de ses tarifs et, surtout, de ses effectifs. (…)
Selon les registres 2022 de la Préfecture de police de Paris, Penninghen est classée comme établissement recevant du public de catégorie 4 et a donc une capacité d’accueil de 300 personnes maximum. Mais, selon les listings dont j’ai pu prendre connaissance, ces seuils ne sont quasiment jamais respectés. En 2021 et 2022, sur 84 journées de cours, seules neuf ne les ont jamais dépassés. Les 75 autres dates de cours (soit plus de 90 % du temps !) ont toutes explosé les normes définies par la Préfecture. Certains jours, les effectifs montent à plus de 350 étudiants, et même jusqu’à 398 ! Au début de l’année scolaire 2023-2024, la tendance s’accentue encore : le 19 octobre 2023, la fréquentation de l’école atteint 403 élèves. Le 8 novembre, 424 élèves…
Des retours d’expériences similaires émanant d’autres écoles me sont revenus aux oreilles. Notamment de Bellecour, où les salles sont également surchargées, jusqu’à inquiéter Thibault Catimel, l’ancien directeur de département de l’école lyonnaise : « On a des salles où les jeunes n’ont même plus la place de s’asseoir, ils restent debout ou sur les tables pendant le cours, c’est n’importe quoi. » Selon plusieurs témoins, certaines classes comptabilisent jusqu’à dix élèves de trop. Des professeurs rencontreraient des difficultés à se déplacer entre les chevalets des tables à dessin pour observer les travaux de leurs élèves, tant les salles débordent.
Des risques d’incidents bien réels
Avant de continuer, décryptons ce qui va suivre : ERP, cela signifie « établissement recevant du public ». 4, c’est un niveau. 300, c’est le nombre maximum de personnes autorisées à entrer dans le bâtiment. Reprenons : « Clairement, on est hors la loi, on a un effectif ERP 4 à 300, et vous êtes beaucoup plus ! » Cette phrase, c’est le responsable sécurité du groupe qui l’a prononcée, lors d’une réunion, à l’automne 2022.
Je ne révèle pas le nom de l’école en question, afin de protéger mes sources. Ce que je peux avancer, en revanche, c’est que dans cet enregistrement d’une heure que l’on m’a transmis, il est question de normes de sécurité, de risques d’incidents, de travaux qu’il est nécessaire d’engager et même de possibles responsabilités pénales.
Dans cette école, comme dans toutes celles du groupe, les effectifs ont augmenté sans discontinuer depuis plusieurs années. Sous la pression du patron de pôle, le directeur a ouvert de nouvelles classes, tout en sachant que le campus ne disposait pas de l’espace nécessaire pour le faire.
La norme ERP est pourtant extrêmement importante. Elle classe les bâtiments ouverts au public par catégories, en fonction de leur capacité d’accueil. La catégorie 1 permet d’admettre plus de 1 500 personnes, la deuxième de 701 à 1 500 personnes, la troisième de 301 à 700. La catégorie 4 – celle dont relève l’école en question – ne peut donc accueillir que 300 personnes, maximum.
« On est largement au-delà des 300 ! », lance au cours de la réunion l’un des membres de l’équipe, légèrement pris de panique. Il poursuit : « La seule solution qui me reste, c’est de renvoyer chez eux la moitié des étudiants qu’on a acceptés, à qui on a fait payer des frais de scolarité. » Les normes ERP ne sont pas de simples classifications administratives. Elles définissent surtout l’application du règlement de sécurité incendie et favorisent l’intervention des secours en cas d’incident. Un défaut de classification, des effectifs trop importants ou un bloc de bâtiments non déclaré peuvent empêcher les pompiers d’intervenir.
Cette année scolaire-là, l’école est clairement en dehors des clous et les risques d’incidents sont bien réels. Depuis plusieurs années, les équipes alertent le groupe sur diverses problématiques graves : installations électriques vétustes avec des risques de départ de feu, soupçons de présence d’amiante… « Il faudrait tout simplement fermer le bâtiment », évoque même l’un des membres du groupe de travail.
Qui détient la responsabilité de ces mises aux normes ? Est-ce l’école ou le groupe ? Comment justifier cette absence de travaux ? Souvenez-vous des reportings, des tableaux Excel et surtout du pot commun : chez Galileo, les directeurs n’ont pas réellement la main sur la gestion de leur budget. S’ils souhaitent engager des travaux de mise en conformité, ils doivent demander l’autorisation aux directeurs de pôle, qui, eux, essaient à tout prix de limiter la charge financière. Une source interne m’a affirmé que l’école avait bien prévu un plan d’investissement pour remettre le campus aux normes… Or, toujours selon cette personne, les travaux n’auraient jamais été lancés, à cause du système de budget centralisé par le siège, qui freine toutes les actions locales. (…)
Alors que l’entreprise pousse les directeurs d’école à recruter toujours plus d’élèves, elle leur rappelle aussi qu’en cas de problème ce sont eux, les responsables devant la justice. Cela aurait encouragé plusieurs directeurs à claquer la porte. Car cette école n’est pas la seule concernée. Plusieurs sources de différents établissements m’ont fait part de leurs inquiétudes face à des classes surchargées, des locaux mal entretenus ou du matériel électrique en mauvais état, mais aussi des normes ERP non respectées.
Le groupe ne semble pas en faire sa priorité. La direction du pôle Business s’en amuse même. « Les piou-pious, tu les serres, ils couinent un peu au début, mais ça passe ! », aurait lancé, un jour de début 2023, le directeur de pôle à ses subalternes en riant, lors d’un codir [un comité de direction]. « Piou-pious », c’est un terme que j’entendrai à plusieurs reprises, dans les enregistrements des réunions de manageurs. « Piou-pious », c’est le surnom donné par les directeurs aux étudiants. Piou-pious, cela renvoie à ces petits oisillons sortis du nid que l’on aide à voler de leurs propres ailes. Ce sont aussi, hélas, ces jeunes poussins entassés dans des cuves, destinés à finir broyés. Stockés, comptés, numérotés. Pour faire du chiffre. (…)
« L’école était un peu chère, mais avait bonne réputation »
Anne n’avait pas les moyens financiers pour payer les études de sa fille, Cillian [le prénom a été changé]. Comme tant d’autres. A plus de 8 000 euros l’année, l’école LISAA Animation est hors de la portée de la famille. « On aurait bien aimé l’inscrire dans le public, mais les rares écoles du domaine sont hyperélitistes et il est très difficile d’y entrer », me raconte Anne.
Heureusement, Cillian décroche un prêt étudiant à taux zéro, de 15 000 euros, lui permettant de s’inscrire dans l’école privée de Galileo et de payer les deux premières années. Ses parents mettent en place des mensualités : ils rembourseront la banque de leur poche. « Je ne voulais surtout pas qu’elle bosse pendant son année scolaire, car ça génère trop de pression, et on voulait tout miser sur ses études », me dit Anne. Alors ils paient. Après tout, le jeu en vaut la chandelle, pensent-ils : « Grâce à la réputation de LISAA, on se disait qu’elle trouverait un bon emploi ! » La jeune femme suit son cursus, non sans encombre. Anne me parle du turnover des directeurs, du matériel coûteux à acheter dans l’année, et surtout d’une école qui ne prépare pas assez ses étudiants à entrer dans l’emploi : « On ne leur dit rien sur les statuts professionnels, la rémunération, ou sur le fait que le secteur embauche très peu… On ne les aide pas non plus assez pour trouver des stages. » Cillian, malgré tout, achève ses études après trois ans de bachelor, réussit à se dégoter un stage, puis des petits boulots en free lance, comme illustratrice. « Mais il y a beaucoup de reconversions professionnelles, de gens qui font autre chose, qui changent de voie… parfois ce sont des personnes avec du talent… », se désole Cillian. (…)
« Le rêve d’Hermès [le prénom a été changé], c’était de dessiner », me lance Stéphanie par téléphone. Cette maman aussi croyait en son fils, en sa capacité à réaliser ses projets futurs. Elle croyait en l’Atelier de Sèvres. Cette école, souvenez-vous, est l’un des établissements d’arts appliqués parisiens vendus par Michel Glize à Galileo Global Education, fin 2012.
« L’école était un peu chère, mais avait bonne réputation, alors on s’est dit pourquoi pas », raconte Stéphanie. Hermès quitte Toulouse, sa ville natale, et met le cap sur Paris. « La première année, c’est une sorte de prépa. On a payé l’école, sans oublier tous les à-côtés, le loyer à Paris, le nécessaire pour qu’il s’en sorte, se souvient Stéphanie. C’était une somme importante pour nous. Moi, je ne travaille pas, et mon mari est entrepreneur, il a sa propre entreprise, donc on avait un peu d’argent de côté, mais 8 000 ou 9 000 euros, c’est non négligeable pour notre famille. » Qu’à cela ne tienne, elle souhaite encourager son enfant. « Qu’il puisse aller là-haut, à Paris, réaliser son rêve d’avoir accès à cette école, c’était une source de fierté. »
Toute la famille déchante vite. La première année de classe préparatoire à l’Atelier de Sèvres ne répond en rien à leurs attentes. Stéphanie et Hermès me racontent tous les deux leur déception lorsqu’ils ont compris que l’année scolaire s’achèverait en mars, à l’issue des concours d’entrée en bachelor. « On pensait que ce serait une année scolaire, comme à la fac, mais après cinq mois de cours, c’était fini… Ça fait cher le mois ! », s’agace encore Stéphanie. Les conditions de travail non plus ne correspondent pas à leurs espérances. (…)
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