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« Retailleau veut couper les ponts avec l’Algérie, alors pourquoi pas nous ? »

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  • « Retailleau veut couper les ponts avec l’Algérie, alors pourquoi pas nous ? »

    Face à ce qu’ils perçoivent comme une agression, voire un acharnement, de nombreux Algériens estiment qu’il faut tourner le dos à l’ancienne puissance coloniale. Seules celles et ceux ayant des enfants en France se disent inquiets et déplorent cette nouvelle crise algéro-française.

    Nejma Brahim

    Bejaïa, Alger, Oran (Algérie).– « Il ne fait pas bon vivre pour les Algériens en France », lance Dalila*. Dans le salon de sa maison à Alger, la mère de famille écoute, encore et encore, les discours « stigmatisants » de certains responsables politiques français sur les chaînes de télévision françaises. Tout en passant une main dans ses cheveux, elle ne cache pas sa lassitude et son effroi : « La France s’est radicalisée sur le sujet de l’Algérie. Comment ont-ils pu en arriver là, au point de nier des faits historiques ? »

    La sexagénaire fait référence à Jean-Michel Aphatie, qui vient alors de claquer la porte de RTL après la polémique visant ses propos sur la guerre d’Algérie, lorsqu’il avait comparé le massacre d’Oradour-sur-Glane à ceux commis par la France durant l’ère coloniale. « Les Algériens de France doivent se faire tout petits en ce moment », poursuit Dalila, qui dénonce une « actualité terrible » et une extrême droite qui prend « énormément de place ». « Retailleau se prépare pour 2027 et il convoite les voix du Rassemblement national. Il utilise l’Algérie pour arriver à ses fins. »

    Le ministre de l’intérieur a en effet engagé un véritable bras de fer avec Alger, à qui il intime de reprendre ses ressortissants faisant l’objet d’une mesure d’éloignement en France et considérés comme dangereux, au risque de revoir l’accord franco-algérien de 1968 et d’appliquer des mesures de « rétorsion ». D’ores et déjà, la femme de l’ambassadeur algérien au Mali a subi l’affront d’être refoulée aux portes de Paris en guise de sanction. Lundi 17 mars, Alger a refusé la liste proposée par Paris, rejetant les « menaces », « ultimatums » et « velléités d’intimidation ».

    Agrandir l’image : Illustration 1À Alger comme ailleurs, beaucoup s’interrogent sur la stratégie de la France. © Nejma Brahim / Mediapart

    Bruno Retailleau a promis une « riposte graduée », tandis que Jean-Noël Barrot, le ministre des affaires étrangères, a tenté de sauver le peu de diplomatie qu’il restait en affirmant que la France était « attachée à sa relation avec l’Algérie ».

    Sur la méthode adoptée par le ministre de l’intérieur, Dalila tranche : « Il pense qu’il va y arriver par la force, mais il peut dire ou faire ce qu’il veut, l’Algérie est un pays souverain. [Le président] Tebboune reste droit dans ses bottes, il refuse de rentrer dans leur jeu. On n’a pas besoin de la France. »

    Mediapart a sillonné l’Algérie d’est en ouest, et rencontré des étudiant·es, jeunes actifs et actives, pères et mères de famille ou retraité·es. Dans ce pays aussi complexe que gigantesque, où vivent quelque 46 millions d’habitant·es et où les écarts de richesse se creusent à mesure que les villes se développent, il faut composer avec une police omniprésente et la conscience d’une liberté d’expression limitée. De Bejaïa à Alger, en passant par Oran, les habitant·es ont réappris à vivre sans le Hirak, le mouvement de contestation sociale né en 2019 pour mettre fin au règne de Bouteflika, réclamant davantage de démocratie et de libertés et qui fut perturbé par le covid-19, puis réprimé.

    À l’heure où des publications sur les réseaux sociaux peuvent mener en prison, l’écrasante majorité des personnes rencontrées ont requis l’anonymat. Si certaines disent regretter la route qu’emprunte l’Algérie depuis, tandis que d’autres soutiennent le régime en place, un sujet semble faire l’unanimité. Partout aujourd’hui, le sentiment est le même : « abus » ou « acharnement » sont les maîtres mots pour qualifier l’attitude de la France à l’endroit de l’Algérie. Dans cette nouvelle crise qui perdure, l’incompréhension domine.

    « Les Algériens se sentent blessés, profondément déçus par la détérioration des relations et les prises de parole politiques portées par les médias français », observe Noureddine Zerkaoui, enseignant-chercheur et spécialiste de l’histoire nouvelle et contemporaine en Algérie, qui souligne qu’une partie de la population regarde les chaînes d’information françaises. « Les Algériens se sentent agressés dans leur honneur et leur identité. » Il y a une forme, dit-il, de « déception irréparable ».

    Les avis se rangent du côté du pouvoir algérien


    Fin février, il participait à un séminaire organisé par l’association Espoir pour le développement de la wilaya de Bejaïa, sa région, et centré sur les relations algéro-françaises et le « poids de l’histoire ». Il tenait à y rappeler le passé colonial de la France et l’évolution des relations entre les deux pays, pour situer la crise actuelle dans son contexte historique.

    « On a aujourd’hui des restes du système colonial français qui s’expriment. Le pouvoir actuel français n’est pas à la hauteur », juge-t-il, expliquant que le « double discours » d’Emmanuel Macron, qui a reconnu les crimes commis par la France lors de son précédent mandat mais « laisse faire » aujourd’hui lorsque ses ministres « s’en prennent à l’Algérie », a braqué la population.

    Le revirement français sur le Sahara occidental a été selon lui un « tournant ». « Malgré son passé colonial, la Francerestait le pays des droits de l’homme aux yeux des Algériens et Algériennes. Mais à ce moment-là, on a vu ce qu’elle faisait du droit international et du droit à l’autodétermination des peuples. » L’inaction face aux massacres à Gaza et, avant cela, la répression des mouvements sociaux ou la banalisation de l’extrême droite ont aussi lentement fait « basculer l’image de démocratie » dont bénéficiait la France. Pour beaucoup, cette dernière n’est plus en position de « donner des leçons ».


    Agrandir l’image : Illustration 2Noureddine Zerkaoui, spécialiste de l’histoire nouvelle et contemporaine. © Nejma Brahim / Mediapart

    Autre dossier brûlant entre les deux pays, le sort de l’écrivain Boualem Sansal, emprisonné en Algérie de façon arbitraire alors qu’il est gravement malade. « Il est algérien avant d’être français », tranche Samir*, un trentenaire rencontré à Bejaïa, dans la région de la Kabylie. Au milieu de son visage rond au teint clair, ses sourcils se froncent pour marquer son agacement. « L’Algérie est un pays souverain qui peut poursuivre quiconque a violé ses lois intérieures. »

    Comme lui, beaucoup estiment que l’auteur n’a pas été enfermé « en tant qu’écrivain » mais en tant que citoyen algérien, pour les propos qu’il a tenus sur l’intégrité territoriale de l’Algérie. « La France le défend surtout parce qu’il est proche de l’extrême droite et qu’il critique l’Algérie », dit-il en reprenant une gorgée de café, lorsque nous le retrouvons à son domicile, le 9 mars au soir après le ftour, le repas du ramadan. « Les autres détenus politiques algériens n’intéressent personne », ajoute-t-il.

    S’agissant des influenceurs algériens ayant défrayé la chronique, en particulier Doualemn, expulsé par la France puis renvoyé illico par l’Algérie, il interroge la notion d’État de droit. « Est-ce qu’il n’avait pas des voies de recours en justice avant d’être expulsé ? Et puis, il avait une carte de séjour. » Dans les faits, le ministère de l’intérieur peut à tout moment procéder à un retrait de titre de séjour, notamment lorsqu’il estime que la présence de l’individu sur le territoire représente une menace pour l’État.

    Prise de distance


    Mais il est vrai qu’après l’aller-retour express de l’influenceur à Alger, la justice a suspendu la première mesure d’éloignement dont il faisait l’objet fin janvier. L’obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui lui a été délivrée après son expulsion manquée a ensuite été annulée par le tribunal administratif de Melun le 6 février ; jetant le trouble sur la « méthode Retailleau ». Il a fini par être condamné à cinq mois de prison avec sursis, et a été arrêté jeudi 20 mars en vue d’être de nouveau expulsé, selonBFMTV.

    Quant aux laissez-passer consulaires que la France réclame pour pouvoir expulser les ressortissant·es algérien·nes présent·es sur son territoire, Samir fait un parallèle : pourquoi la France n’a-t-elle pas renvoyé les oligarques algériens qui ont « fait tant de mal » sous l’ère Bouteflika et ont « volé l’argent du peuple pour acheter des appartements dans les beaux quartiers parisiens ? », interroge-t-il.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2

    « On a l’impression qu’ils font une obsession sur l’Algérie alors que ce n’est pas le seul pays pour lequel se pose la question des laissez-passer consulaires », déplore Dalila en citant la Tunisie et le Maroc. Pour ce dernier, la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental s’est d’ailleurs faite en contrepartie d’une collaboration pour la délivrance de ces documents, comme le raconte L’Express, citant un ancien haut responsable du ministère de l’intérieur qui a suivi le dossier.

    Quant à la Tunisie, elle avait poussé Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur, à faire le déplacement à Tunis en 2020 pour tenter de débloquer la situation, pour une vingtaine de personnes condamnées que la France ne parvenait pas à expulser à l’époque. Mais jamais les négociations sur ce sujet sensible n’avaient pris une telle ampleur. Après être resté terré dans le silence durant des semaines, Emmanuel Macron a déclaré que les chiffres « n’étaient pas si mauvais » pour l’Algérie. Comme le souligneFrance Info, cette dernière a accepté 42 % des demandes de laissez-passer en 2024, se plaçant en tête des expulsions opérées par la France.

    Pour le chercheur et historien Noureddine Zerkaoui, « la gouvernance de Macron a été catastrophique pour les relations algéro-françaises », mais elle a « paradoxalement permis d’éveiller les consciences en Algérie ». « On a compris qu’officieusement, c’était Marine Le Pen et la droite qui gouvernaient. Or, l’extrême droite est l’ennemie de l’Algérie, car on sait de quoi elle a été capable ici. » Et d’ajouter que « le plus grand gâchis » pour la France est d’avoir « perdu l’estime des Algériens ».


    Agrandir l’image : Illustration 3L’université d’Alger arbore désormais un nom en anglais, le 11 mars 2025. © Nejma Brahim / Mediapart.

    En Algérie, la prise de distance est déjà palpable. Les universités d’Alger affichent désormais un nom en anglais et en arabe sur leur façade. « Algiers University Faculty of Law », peut-on lire en passant devant la faculté de droit, non loin du quartier de Hydra. Le rejet de la langue française s’est aussi matérialisé au sein d’une entreprise étatique influente, Air Algérie, qui a choisi la voie de l’arabisation dès 2024, et a remplacé le français par l’anglais, créant la surprise. Les écoles de langues – anglais ou allemand – fleurissent un peu partout dans les grandes villes, comme à Oran.

    « Cela fait déjà un moment que le pouvoir français est poussé vers la sortie, constate Dalila. L’apprentissage du français à l’école a été remplacé par l’anglais, l’armement algérien est russe, les liens commerciaux sont italiens ou chinois… » Tout cela, ce sont des « parts de marché récupérées par d’autres, au détriment de la France ». « La population cherche à se libérer du néocolonialisme et de cette logique de dominant-dominé ; mais dans le même temps, Retailleau et Bayrou s’inscrivent encore là-dedans », analyse le chercheur Noureddine Zerkaoui.

    Un avenir incertain


    Pour Bachir*, qui vient tout juste d’achever ses études à Oran et recherche un emploi, si l’Algérie « a décidé de couper, c’est qu’elle a pris ses dispositions avant ». « Et on constate qu’elle a développé de plus en plus d’accords commerciaux avec l’Espagne, l’Italie ou la Chine », relève-t-il, se disant peu inquiet pour son pays.

    « Retailleau veut couper les ponts avec l’Algérie, l’extrême droite veut couper avec l’Algérie, et Macron ne dit rien. Alors pourquoi pas nous ? », lance un ancien professeur à la retraite, qui ne voit pas son pays se conformer aux ultimatums français. Il prévient malgré tout : « C’est dangereux, il y a des intérêts économiques et géopolitiques pour les deux pays. »

    Il rappelle que l’Algérie a pu ouvrir son couloir aérien par le passé pour permettre à la France de se rapprocher du Mali, à l’heure où celle-ci luttait contre le terrorisme. Il souligne aussi que la communauté algérienne ou franco-algérienne présente en France ne supporterait pas la suspension, comme l’a esquissé Bruno Retailleau, des liaisons aériennes et maritimes, et donc l’arrêt des mobilités entre les deux pays. L’homme ne veut plus aller en France ; il y a pourtant un enfant. Son épouse est plus mitigée.

    Dans la pénombre de son salon à Bejaïa, où elle aime se reposer volets fermés en début d’après-midi durant le ramadan, elle confie elle-même ne plus tellement avoir d’intérêt pour la France. « À part mon fils qui y vit, rien ne me raccroche à ce pays. On voit le racisme qui s’y propage, mais aussi la haine des Algériens monter », dit-elle avant de se lever pour commencer à préparer le ftour à 16 heures. Elle poursuit en épluchant des pommes de terre : « La population est divisée. Il y a ceux qui adoptent une position radicale et disent qu’il faut couper avec la France, que c’est l’ancien colonisateur, qu’elle nous a fait beaucoup de mal… »

    Et il y a ceux qui, comme elle, ont un proche de l’autre côté de la Méditerranée, et sont plus partagés. « Maintenant, ils menacent de nous enlever le visa. Mais cela fait un moment que les Algériens vont ailleurs tant ils ont du mal à l’obtenir. »


    Agrandir l’image : Illustration 4Samir*, médecin, hésite désormais à partir en France au vu du contexte. © Nejma Brahim / Mediapart

    « Ils ont foutu la merde, on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait », lâche une grand-mère, habitante des environs de Bejaïa, un foulard aux couleurs vives, propres aux tenues kabyles, sur les cheveux. Elle se demande si les autorités françaises « vont bloquer Air Algérie ». Si ses enfants ne vivaient pas « là-bas », dit-elle, elle n’irait plus en France. « J’ai tout ici : une grande maison de cinq étages, ma retraite, de bons fruits et légumes. C’est dommage, mes enfants refusentde s’installer ici. Je ne vais en France que pour les voir. »

    De son côté, alors qu’il avait le projet d’émigrer en France, Samir hésite désormais. S’il pouvait acheter une maison et payer ses factures et sa voiture ici, il ne songerait pas à quitter l’Algérie, assure-t-il. Son frère, installé en France depuis de nombreuses années, l’aide un peu chaque mois : subvenir aux besoins de son foyer, composé de ses trois enfants mais aussi de sa mère dont il partage le logement, devient de plus en plus difficile.



    Peut-être que, finalement, la France n’est pas le bon endroit.
    Samir*, médecin algérien

    Il fait partie de ces médecins qui cherchent à fuir l’inflation et les salaires de misère algériens – 67 000 dinars sans les primes pour sa profession, soit 268 euros au taux du marché noir – pour rejoindre les hôpitaux français. Plusieurs milliers ont franchi le pas ces dernières années, pour finalement subir les affres de l’administration française et devoir batailler pour un simple titre de séjour, y compris en pleine pandémie de covid-19.

    « Les Français nous diabolisent alors qu’ilsrécupèrent les bons fruits de l’Algérie », souligne-t-il, évoquant les médecins, informaticiens, ingénieurs ou architectes immigrés en France. Son épouse, aide-soignante, estimait qu’elle pourrait elle aussi y trouver sa place. Au vu du contexte, l’enthousiasme n’y est plus. « Si le Canada n’était pas si loin, on serait allés là-bas. On est nombreux à penser que la France est devenue un choix par défaut. »

    S’ils se décident à partir un jour, ajoute-t-il en fixant l’horizon du balcon de son logement, ce sera uniquement pour « offrir un avenir » à ses enfants. Mais aujourd’hui, il n’est plus très sûr de l’avenir qui s’offrirait à eux en France. « Peut-être que, finalement, ce n’est pas le bon endroit », conclut-il avant de refermer la fenêtre donnant sur l’extérieur.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

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    • #3
      « Les Français nous diabolisent alors qu’ils récupèrent les bons fruits de l’Algérie »,
      Malheureusement, dans le lot il y a aussi de très mauvais fruits qui ternissent la réputation de l'Algérie.

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      • #4
        Mdr mdr....Depuis quand la majorité des français est fan de l'Algérie ou des algériens? Cela a toujours été l'hypocrisie, maladie héréditaire du colonialisme: "les algériens sont....les marocains sont....les tunisiens sont......". Cela a toujours été ainsi depuis l'indépendance 1962. Juste qu'aujourd'hui la haine masquée en pleine crise de victimisation cherche des prétextes en faisant le tri dans l'actualité avec l'aide de Rate à l'eau. Elle et Rate à l'eau n'oseront pas diaboliser le Maroc par exemple pour ses mauvais fruits et son cannabis. M6 va même être contraint de donner beaucoup plus de laissé passer pour se distinguer et des sans papier faux algériens seront encore plus nombreux.

        " « Retailleau se prépare pour 2027 et il convoite les voix du Rassemblement national. Il utilise l’Algérie pour arriver à ses fins. »"

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        • #5
          Sauf que , Retailleau n'est pas la France ..
          "N'imitez rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient un singe." Victor Hugo

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