Depuis des années, dans les grandes villes, ils participent à construire l’Algérie moderne. Souvent exploités, ils vivent et travaillent dans des conditions précaires, en attendant de poursuivre leur parcours migratoire vers l’Europe.
Nejma Brahim
Oran (Algérie).– Son corps épuisé avance lentement vers le rond-point du Palais d’or, sur un trottoir bordé de palmiers. Il est 7 h 30 et Yahia veut rejoindre la placette où se retrouvent chaque jour, au petit matin, les exilés subsahariens qui espèrent être embauchés pour travailler sur les chantiers de BTP d’Oran, le plus souvent à la journée.
Mais jeudi 13 mars, il n’est pas d’humeur à aller au charbon : « Je vais aller me chercher un petit café. » Le jeune homme retire sa capuche et dévoile un visage fin aux joues creusées. Il dit connaître une petite échoppe, non loin de là, qui accepte de le servir malgré le ramadan. Il lui arrive aussi d’aller brancher son téléphone à la prise attenante à un magasin, devant lequel il se repose en attendant que celui-si soit chargé. « Je n’ai pas vraiment de maison », lance-t-il.
Jusqu’alors il dormait sur les chantiers, comme de nombreux travailleurs migrants. Mais depuis qu’il a pris ses distances avec ce système qui confine à l’exploitation, il se débrouille. « C’est les Chinois qui nous embauchent la plupart du temps », pour1 700 à 2 000 dinars par jour (entre 6,8 et 8 euros, au taux du marché noir). « Et ils nous enlèvent 100 dinars quand on dort sur place. »
Agrandir l’image : Illustration 1Des travailleurs migrants au sommet d’une résidence en construction, dans le quartier Gambetta à Oran. © Nejma Brahim / Mediapart
« Parfois, ils ne nous paient pas », dit Yahia. La voix de son ami, un Camerounais installé en Algérie depuis plus d’un an, vient s’ajouter à la sienne : il raconte comment, alors qu’il travaillait sur le chantier d’un jardin à Alger avec quatre autres Subsahariens, leur employeur a finalement refusé de leur donner leur dû. « On travaillait là depuis un mois alors on s’est rebellés… Il nous a sorti un grand couteau », dit-il en mimant le geste et la taille d’un sabre. Yahia, d’origine tchadienne, n’imaginait pas que l’Algérie se montrerait si dure avec lui. « Ils devraient nous traiter comme des frères, mais il y a du racisme. »
Après sept mois dans ce pays, Yahia souhaite déjà repartir. « C’est très difficile pour nous. La police nous arrête régulièrement et nous relâche dans le désert [à la frontière avec le Niger – ndlr].Actuellement, je cherche à m’auto-déporter car j’en ai marre », lance-t-il le regard embrumé. Il dit avoir passé huit ans en Libye « et ce n’était pas comme ça » : « C’est pire ici. » Où pourrait-il bien aller ? Rentrer au pays n’est pas une option. Il lui faut encore économiser pour envisager un « voyage » vers l’Europe.
Un quotidien difficile
À quelques centaines de mètres, face à la mer, des tonnes de béton s’élancent vers le ciel et laissent entrevoir une résidence à la façade en forme de vagues, encore inachevée. Diaristok s’extirpe du chantier, l’air hagard. Il est né en 1998 – c’est ainsi que les migrants subsahariens communiquent leur âge le plus souvent – et dit se sentir mal. « Je suis malade mais je ne sais pas ce que j’ai. » Il ne peut pas consulter, ajoute-t-il, car il lui faudrait aller à l’hôpital. « Je n’ai pas les moyens de payer. » Il s’en va faire un tour en attendant que son corps se débrouille pour panser seul ses maux.
Entre 200 et 300 Subsahariens suent chaque jour sur ce chantier titanesque, qui comprend plusieurs résidences côte à côte. « On fait un peu de tout, le gros œuvre, la pose de briques, l’enduit et la peinture quand c’est fini », poursuit le jeune homme. Les Algériens avec qui ils sont amenés à travailler leur laissent souvent « les tâches les plus difficiles ». Dans le bloc voisin, Zoud et deux collègues apparaissent au rez-de-chaussée, derrière les grilles entourant le chantier, tandis que d’autres silhouettes déambulent à différents étages du bâtiment ouvert.

Agrandir l’image : Illustration 2Zoud se cache derrière le grillage du chantier sur lequel il travaille depuis un an, à Oran. © Nejma Brahim / Mediapart
Le visage juvénile, Zoud se cache derrière le grillage parsemé de barbelés, et lâche quelques sourires gênés tout en livrant son récit. Parti du Bénin deux ans plus tôt « pour aider [s]a famille restée au pays », il travaille sur ce site depuis un an, pour le compte d’entrepreneurs chinois à qui un promoteur a confié le chantier, qui doit s’achever à l’horizon 2027. « On travaille tous les jours, même le vendredi [jour de repos en Algérie – ndlr]. On nous paie 2 000 dinars par jour [environ 8 euros – ndlr] et on dort sur place. »
Timide, son ami approche de la grille et laisse entrevoir la moitié de son visage. Conscients de participer à « construire la nouvelle Algérie », celle des grandes villes en tout cas, ils refusent de se plaindre. « Ce n’est pas toujours facile pour nous. Mais on arrive à gagner notre vie, à manger… » En cette période de ramadan, ajoute Zoud, des habitant·es leur offrent des repas qu’ils vont chercher non loin de là et dégustent ensuite sur le chantier, avant de s’endormir le soir.
Ici, personne ne porte de tenue de chantier, de casque ou de chaussures de sécurité. Les échafaudages sont faits de planches de bois superposées et de tiges en métal dont la longueur s’ajuste à l’aide de parpaing et de bois. Mais, dit-il, « ce n’est pas trop dangereux, on n’a pas vu d’accidents », jusqu’ici. « Ils travaillent dur », commente le responsable du jardin d’à côté. « Ils font de la peine car ils font des métiers difficiles. Ils commencent à 7 heures le matin et finissent à 18 heures le soir. »
Il ajoute que depuis plusieurs années, « il n’y a qu’eux sur les chantiers » : « Bouteflika a permis aux Chinois de se lancer dans le BTP en Algérie. Les promoteurs leur donnent des chantiers, et eux font travailler les Africains. Les promoteurs le savent très bien. » Beaucoup ont refusé de répondre à nos questions. Trop peur d’avoir « des ennuis », nous confie l’un d’eux sous couvert d’anonymat. « C’est interdit de les faire travailler. Personne ne veut voir la police ou la gendarmerie débarquer sur son chantier. » Il reconnaît toutefois leur grande contribution au secteur.

Agrandir l’image : Illustration 3Nasna et son ami d’enfance songent à partir ensuite en Espagne, un « bon pays ». © Nejma Brahim / Mediapart
Non loin de là, près du rond-point de la route de Canastel, Nasna et son collègue, respectivement âgés de 20 et 18 ans, sont usés de ce harcèlement policier : « Le travail est difficile, mais ce qui nous embête, c’est la police. Elle vient ici pour nous arrêter parfois », relate-t-il en ramassant du sable à l’aide d’une pelle, tandis que son camarade lui tend un sac de chantier pour le réceptionner. Alors, « quand ils viennent, on monte aux étages les plus élevés pour se cacher. Ils s’arrêtent au quatrième étage ».
Nejma Brahim
Oran (Algérie).– Son corps épuisé avance lentement vers le rond-point du Palais d’or, sur un trottoir bordé de palmiers. Il est 7 h 30 et Yahia veut rejoindre la placette où se retrouvent chaque jour, au petit matin, les exilés subsahariens qui espèrent être embauchés pour travailler sur les chantiers de BTP d’Oran, le plus souvent à la journée.
Mais jeudi 13 mars, il n’est pas d’humeur à aller au charbon : « Je vais aller me chercher un petit café. » Le jeune homme retire sa capuche et dévoile un visage fin aux joues creusées. Il dit connaître une petite échoppe, non loin de là, qui accepte de le servir malgré le ramadan. Il lui arrive aussi d’aller brancher son téléphone à la prise attenante à un magasin, devant lequel il se repose en attendant que celui-si soit chargé. « Je n’ai pas vraiment de maison », lance-t-il.
Jusqu’alors il dormait sur les chantiers, comme de nombreux travailleurs migrants. Mais depuis qu’il a pris ses distances avec ce système qui confine à l’exploitation, il se débrouille. « C’est les Chinois qui nous embauchent la plupart du temps », pour1 700 à 2 000 dinars par jour (entre 6,8 et 8 euros, au taux du marché noir). « Et ils nous enlèvent 100 dinars quand on dort sur place. »

« Parfois, ils ne nous paient pas », dit Yahia. La voix de son ami, un Camerounais installé en Algérie depuis plus d’un an, vient s’ajouter à la sienne : il raconte comment, alors qu’il travaillait sur le chantier d’un jardin à Alger avec quatre autres Subsahariens, leur employeur a finalement refusé de leur donner leur dû. « On travaillait là depuis un mois alors on s’est rebellés… Il nous a sorti un grand couteau », dit-il en mimant le geste et la taille d’un sabre. Yahia, d’origine tchadienne, n’imaginait pas que l’Algérie se montrerait si dure avec lui. « Ils devraient nous traiter comme des frères, mais il y a du racisme. »
Après sept mois dans ce pays, Yahia souhaite déjà repartir. « C’est très difficile pour nous. La police nous arrête régulièrement et nous relâche dans le désert [à la frontière avec le Niger – ndlr].Actuellement, je cherche à m’auto-déporter car j’en ai marre », lance-t-il le regard embrumé. Il dit avoir passé huit ans en Libye « et ce n’était pas comme ça » : « C’est pire ici. » Où pourrait-il bien aller ? Rentrer au pays n’est pas une option. Il lui faut encore économiser pour envisager un « voyage » vers l’Europe.
Un quotidien difficile
À quelques centaines de mètres, face à la mer, des tonnes de béton s’élancent vers le ciel et laissent entrevoir une résidence à la façade en forme de vagues, encore inachevée. Diaristok s’extirpe du chantier, l’air hagard. Il est né en 1998 – c’est ainsi que les migrants subsahariens communiquent leur âge le plus souvent – et dit se sentir mal. « Je suis malade mais je ne sais pas ce que j’ai. » Il ne peut pas consulter, ajoute-t-il, car il lui faudrait aller à l’hôpital. « Je n’ai pas les moyens de payer. » Il s’en va faire un tour en attendant que son corps se débrouille pour panser seul ses maux.
Entre 200 et 300 Subsahariens suent chaque jour sur ce chantier titanesque, qui comprend plusieurs résidences côte à côte. « On fait un peu de tout, le gros œuvre, la pose de briques, l’enduit et la peinture quand c’est fini », poursuit le jeune homme. Les Algériens avec qui ils sont amenés à travailler leur laissent souvent « les tâches les plus difficiles ». Dans le bloc voisin, Zoud et deux collègues apparaissent au rez-de-chaussée, derrière les grilles entourant le chantier, tandis que d’autres silhouettes déambulent à différents étages du bâtiment ouvert.

Agrandir l’image : Illustration 2Zoud se cache derrière le grillage du chantier sur lequel il travaille depuis un an, à Oran. © Nejma Brahim / Mediapart
Le visage juvénile, Zoud se cache derrière le grillage parsemé de barbelés, et lâche quelques sourires gênés tout en livrant son récit. Parti du Bénin deux ans plus tôt « pour aider [s]a famille restée au pays », il travaille sur ce site depuis un an, pour le compte d’entrepreneurs chinois à qui un promoteur a confié le chantier, qui doit s’achever à l’horizon 2027. « On travaille tous les jours, même le vendredi [jour de repos en Algérie – ndlr]. On nous paie 2 000 dinars par jour [environ 8 euros – ndlr] et on dort sur place. »
Timide, son ami approche de la grille et laisse entrevoir la moitié de son visage. Conscients de participer à « construire la nouvelle Algérie », celle des grandes villes en tout cas, ils refusent de se plaindre. « Ce n’est pas toujours facile pour nous. Mais on arrive à gagner notre vie, à manger… » En cette période de ramadan, ajoute Zoud, des habitant·es leur offrent des repas qu’ils vont chercher non loin de là et dégustent ensuite sur le chantier, avant de s’endormir le soir.
C’est interdit de les faire travailler. Personne ne veut voir la police ou la gendarmerie débarquer sur son chantier.
Un promoteur anonyme
Ici, personne ne porte de tenue de chantier, de casque ou de chaussures de sécurité. Les échafaudages sont faits de planches de bois superposées et de tiges en métal dont la longueur s’ajuste à l’aide de parpaing et de bois. Mais, dit-il, « ce n’est pas trop dangereux, on n’a pas vu d’accidents », jusqu’ici. « Ils travaillent dur », commente le responsable du jardin d’à côté. « Ils font de la peine car ils font des métiers difficiles. Ils commencent à 7 heures le matin et finissent à 18 heures le soir. »
Il ajoute que depuis plusieurs années, « il n’y a qu’eux sur les chantiers » : « Bouteflika a permis aux Chinois de se lancer dans le BTP en Algérie. Les promoteurs leur donnent des chantiers, et eux font travailler les Africains. Les promoteurs le savent très bien. » Beaucoup ont refusé de répondre à nos questions. Trop peur d’avoir « des ennuis », nous confie l’un d’eux sous couvert d’anonymat. « C’est interdit de les faire travailler. Personne ne veut voir la police ou la gendarmerie débarquer sur son chantier. » Il reconnaît toutefois leur grande contribution au secteur.

Agrandir l’image : Illustration 3Nasna et son ami d’enfance songent à partir ensuite en Espagne, un « bon pays ». © Nejma Brahim / Mediapart
Non loin de là, près du rond-point de la route de Canastel, Nasna et son collègue, respectivement âgés de 20 et 18 ans, sont usés de ce harcèlement policier : « Le travail est difficile, mais ce qui nous embête, c’est la police. Elle vient ici pour nous arrêter parfois », relate-t-il en ramassant du sable à l’aide d’une pelle, tandis que son camarade lui tend un sac de chantier pour le réceptionner. Alors, « quand ils viennent, on monte aux étages les plus élevés pour se cacher. Ils s’arrêtent au quatrième étage ».
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