Adressées aux préfets le 23 janvier, de nouvelles consignes imposent des critères très contraignants aux personnes qui espèrent obtenir un droit au séjour en France. L’étau se resserre contre les immigrés, dans un contexte politique de plus en plus hostile.
Nejma Brahim
« Retailleau fait ça pour décourager les gens. » Sur la place de la République à Paris, le 4 avril, la voix de Mariama Sidibé est contrariée. C’est là que se retrouvent les membres de la Coordination des sans-papiers de Paris (CSP 75) depuis tant d’années pour revendiquer leurs droits. Des pancartes à la main, ils et elles s’élancent chaque vendredi après-midi vers un lieu différent, encadrés par la police et tantôt applaudis par les passant·es, tantôt maudit·es par les automobilistes.
Aux côtés de Mariama, une septuagénaire se plaint de devoir travailler alors que son corps est usé. « Je suis restée sans-papiers vingt ans. » Elle n’aime pas raconter son histoire. « Trop dur », dit-elle. « Les gens meurent noyés pour venir ici. Ils ne savent pas la souffrance qu’on connaît. » Régularisée trois ans plus tôt – « un vrai soulagement » –, elle a travaillé le plus gros de sa vie sans pouvoir cotiser à la retraite, faute de titre de séjour.
Originaire de Côte d’Ivoire, une autre membre du collectif n’en mène pas large à l’écoute des nouveaux critères de régularisation imposés par le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, dans sa circulaire adressée aux préfets et préfètes le 23 janvier, par laquelle il entend rendre l’admission exceptionnelle au séjour (AES dans le jargon) encore plus « exceptionnelle ». « Ne jamais avoir eu d’OQTF, c’est impossible. » Aide-soignante, elle en a fait l’objet, en 2021, après avoir été déboutée du droit d’asile.

Installée en France depuis six ans, il lui faudrait attendre encore un an pour pouvoir déposer une demande de régularisation – la nouvelle circulaire impose une présence de sept ans en France, contre cinq ans auparavant, voire trois selon les cas. Mais avec l’OQTF dont elle a fait l’objet, le doute persiste.
« Il y a plusieurs points imprécis, et donc laissés à la libre interprétation des préfets », souligne Joëlle, fervent soutien de la CSP 75. Pour les OQTF, « on ne sait pas s’il faut ne jamais en avoir eu, ou n’avoir aucune OQTF en cours ». Depuis la loi Darmanin, celles-ci ont une durée de vie de trois ans.
Les portes se referment
« On pensait avoir touché le fond au moment de cette loi,réagit Anzoumane Sissoko, mais là c’est pire encore. » Avec ces nouveaux critères, estime cet élu du XVIIIe arrondissement, lui-même ancien sans-papiers, « ils rendent la régularisation quasiment impossible ». Et même si certain·es cochent toutes les cases, « ils ne trouveront pas de rendez-vous en préfecture » du fait de la dématérialisation des démarches et des dysfonctionnements associés.
Au milieu des manifestant·es, Yoro, l’un des porte-parole de la CSP 75, avance, un sweat-shirt blanc sur le dos. Il présente ses excuses pour son retard : « Je devais m’occuper du dossier d’un collègue », pour qui la situation se complique. Celui-ci avait pourtant obtenu un récépissé de six mois en 2024 grâce à la CSP 75, après des années de travail.
Tout est bloqué depuis Retailleau.
Yoro, porte-parole de la CSP 75
« On a envoyé plusieurs fois le Cerfa et la promesse d’embauche de l’employeur, mais la préfecture a prétendu qu’elle n’avait rien reçu. » Le jeune homme s’est alors vu délivrer une OQTF, depuis suspendue grâce aux efforts de Yoro. Le concerné reste sceptique. « On verra », susurre-t-il, las des faux espoirs.
Un autre cas vient illustrer ce tournant : « Un monsieur qui ne connaissait pas le collectif a déposé sa demande seul, en mars », rapporte Yoro. Avec huit années de présence en France, des fiches de paie et l’absence d’OQTF, l’homme pensait avoir toutes ses chances. « Il rentrait dans la circulaire Retailleau, mais il a eu un refus et une OQTF. » Il ajoute : « Tout est bloqué depuis Retailleau. »

Agrandir l’image : Illustration 2Mariama Sidibé scande des slogans pour encourager les manifestants, le 4 avril 2025 à Paris. © Nejma Brahim / Mediapart
Fin janvier, la CSP 75 a reçu un mail de la préfecture l’informant qu’une nouvelle circulaire était passée et que les demandes collectives ne seraient plus acceptées, alors qu’elle parvenait à déposer régulièrement quatre voire cinq dossiers au nom du groupe. Jusqu’ici, aucun préfet ou ministre n’avait osé toucher à la relation privilégiée nouée avec ce collectif – obtenue grâce à une mobilisation continue.
« Comment vont faire tous ceux qui ne maîtrisent ni le français ni les démarches ? », interroge Yoro. Pour Anzoumane Sissoko, le ministre de l’intérieur « met fin à tout ce qui a été construit depuis des décennies, alors que beaucoup disent [que celles et ceux qui soutiennent les sans-papiers font] un travail de service public ».L’élu invoque les milliers de personnes « sorties de la clandestinité », qui ont enfin pu obtenir des droits.
Dans l’un des centres d’accueil pour étrangers et étrangères de la préfecture de Paris, où Mediapart a pu se rendre en avril et où il y a encore quelques mois, des sans-papiers affluaient pour demander leur régularisation, les demandes AES ne sont tout bonnement plus traitées. Sur ordre « venu d’en haut », priorité est désormais donnée aux personnes en situation régulière, surtout salariées, venant pour un renouvellement de titre de séjour, nous confie-t-on.
Dans les Yvelines, un agent travaillant en préfecture explique que « tous les dossiers AES motif “travail” sont en stand-by ou proposés au refus ». « Ça se referme complètement,constate l’avocat Laurent Charles, spécialisé en droit des personnes étrangères. Il y a énormément d’OQTF, et très peu de rendez-vouspour l’AES. » Dans le Val-de-Marne, des sans-papiers de Chronopost ont reçu des OQTF juste après l’évacuation de leur piquet de grève, alors qu’ils attendaient une régularisation depuis trois ans.
En Seine-Saint-Denis, et même à Paris, poursuit-il, « ils ont eu pour consignede ne plus délivrer de rendez-vous, ou alors très peu ». À Nanterre aussi (préfecture des Hauts-de-Seine), « on sait qu’ils arrêtent de donner des rendez-vous, sauf cas exceptionnel », ajoute l’avocat. Désormais, la régularisation ne doit être envisagée que pour les métiers en tension (loi Darmanin), dont la liste définitive n’a pas encore été dévoilée.
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