Le rétablissement par la justice du contrat d’association du lycée est un immense désaveu pour le président LR de la région Hauts-de-France. Après cinq années à accuser le lycée confessionnel de « séparatisme », retour sur une opposition avant tout motivée par des intérêts politiciens.
Mathieu Slisse (Mediacités-Lille)
lIl y a dix ans, alors que le lycée Averroès est dans la tourmente après qu’un ex‐professeur a qualifié l’établissement d’islamiste, Xavier Bertrand figure parmi les défenseurs zélés du plus grand lycée musulman de France. À l’époque, le député‐maire UMP de Saint‐Quentin (Aisne) brigue la présidence de la région Nord-Pas‐de‐Calais-Picardie.
Le 27 octobre 2015 – soit neuf mois après les attentats de janvier et à la veille de ceux du 13 novembre à Paris –, un débat télévisé l’oppose à Marine Le Pen. À son adversaire frontiste qui souhaite la suspension des financements de la région au lycée privé lillois sous contrat avec l’État depuis 2008, il répond : « On a compris votre rhétorique : en permanence, chercher à faire la confusion entre l’islamisme radical et l’islam. En permanence. Vous ne pouvez pas vous en empêcher. [Vous êtes] la candidate de l’affrontement, au niveau régional comme au niveau national… C’est plus fort que vous. »
Et lorsque Marine Le Pen l’interrompt et l’accuse de ne pas connaître le dossier, il persiste : « Je connais d’autant plus le dossier qu’au lendemain des terribles événements de janvier, je suis allé dans ce lycée. »

Exhumé par notre partenaire Mediacités, ce soutien appuyé a de quoi surprendre, puisque Xavier Bertrand compte aujourd’hui parmi les plus fervents opposants au plus grand lycée musulman de France, qu’il accuse de séparatisme. Par ses refus répétés depuis 2020 de verser la subvention obligatoire due à l’établissement au titre du contrat d’association, il a joué un rôle majeur dans la « désassociation » effective depuis septembre 2024.
Alors que mercredi 23 avril, le tribunal administratif de Lille vient de rétablir avec effet immédiat le contrat d’association qui lie l’établissement à l’État, Mediacités revient sur la spectaculaire volte‐face réalisée par le président de région. Puis sur son obstination. Toutes deux motivées par des intérêts politiques.
Acte I – Le soutien
Au sujet du lycée Averroès, Xavier Bertrand demeure une fois élu cohérent avec ses positions exprimées comme candidat. En témoigne la séance plénière du conseil régional du 17 octobre 2017. À l’ordre du jour : le vote des subventions régionales aux établissements privés sous contrat, dites forfaits d’externat.
Ce jour‐là, l’élue frontiste Patricia Chagnon interpelle l’exécutif régional : « Ce lycée musulman trouve ses origines dans le refus d’assimilation à la République française. » Avant d’ajouter : « Nos jeunes doivent préparer leur avenir dans le respect de leurs convictions religieuses mais aussi avec la protection contre toute forme de prosélytisme. »
Manoëlle Martin, vice‐présidente chargée des lycées, lui répond sans ambiguïté : « Il ne nous appartient pas, nous à la région, de juger de la qualité des enseignements de cet établissement, pas plus qu’à un autre. Il ne nous appartient pas non plus de juger si tel ou tel établissement est digne d’être intégré au service public de l’éducation au travers d’un contrat d’association. Ce n’est que la responsabilité de l’État, et de l’État seul. »
S’ensuivent près de vingt minutes d’un débat houleux, au cours duquel plusieurs élus frontistes, parmi lesquels Sébastien Chenu, mènent la charge contre un Xavier Bertrand taxé de naïveté ou de laxisme. À chaque fois, ce dernier – soutenu par son vice‐président Gérald Darmanin – reste ferme sur ses positions : il n’y a aucune raison de douter de l’adhésion du lycée Averroès aux valeurs de la République. Mediacités retranscrit de larges extraits de ses interventions, réécoutables ici (à partir de 1 h 29), qui donnent le vertige tant la défense du lycée bientôt honni est alors louangeuse :
« Dans une interview à L’Express en 2015, [Marine Le Pen] déclarait que, si elle était élue, elle suspendrait les subventions que [le lycée Averroès] reçoit en attendant les résultats de l’enquête administrative dont il fait l’objet. L’enquête a eu lieu. Les conclusions ont été rendues. C’était en février 2015. L’Éducation nationale a confirmé que l’établissement respectait son contrat […]. Quand on regarde bien ce dossier, il n’y a aucune raison [de remettre en question le contrat] […]. Nous avons tous l’exigence, sur tous ces sujets, d’être intraitables. Mais le fait d’être intraitables ne laisse pas la moindre place à la volonté de créer des polémiques. »
Plus saisissant encore, Xavier Bertrand livre un véritable plaidoyer pour Averroès face aux suspicions lepénistes : « Début janvier 2015, je me suis rendu dans cet établissement, au lendemain des attentats de Charlie, et j’ai vu l’indignation qui a été exprimée. J’ai vu l’émotion qui était celle de l’ensemble de la communauté éducative dans ce lycée. J’ai vu également la façon dont ils ont dit qu’en rien ce à quoi ils croyaient ne pouvait permettre de donner la mort ou inciter à la haine. Et j’ai vu que cette indignation-là, elle avait aussi son prix et sa valeur […]. Je pense qu’on n’a pas le droit, aujourd’hui, sur des sujets comme ça, d’entretenir la confusion, mais chacun fait à sa façon de la politique. Vous avez choisi la vôtre. »
Acte II – La volte‐face
Le 4 avril 2019, un an et demi après cette passe d’armes dans l’hémicycle régional, les journalistes du Figaro Christian Chesnot et Georges Malbrunot publient Qatar Papers : comment l’émirat finance l’islam de France et d’Europe. Le livre comprend des révélations sur les financements qataris qu’aurait touchés le lycée Averroès. Selon les auteurs, les dons s’élèveraient à 4 millions d’euros. Le 25 avril 2019, en séance plénière à la région, l’élue frontiste Patricia Chagnon revient à la charge et enjoint à Xavier Bertrand de cesser « la politique de l’autruche » face à un établissement « islamiste » (extrait réécoutable ici à partir de 4 h 19).
Nicolas Lebas, représentant de la région au conseil d’administration du lycée, lui répond. Et se veut rassurant : « Les représentants du lycée Averroès ont évidemment l’obligation de souscrire à la charte de laïcité dans le cadre du financement qu’ils sollicitent auprès du conseil régional […], et c’est ce qu’ils ont fait. » L’élu ajoute que les révélations du livre l’ont conduit « à saisir le ministre de l’éducation nationale dès le 8 avril [soit quatre jours seulement après la parution du livre – ndlr] pour obtenir des éclaircissements sur le contrôle par l’État des obligations de l’établissement liées au contrat d’association, et surtout la manière dont l’Éducation nationale se prémunit de toute ingérence ou incursion d’une puissance étrangère dans le financement de la scolarité des élèves ou de l’établissement ». Depuis, Xavier Bertrand n’aura fait que durcir le ton. Le 7 août 2019, il informe l’association Averroès qu’il suspend l’examen d’un dossier de demande de subvention de 45 329,50 euros pour des équipements numériques. Les 2 et 30 septembre, il effectue deux relances de sa demande auprès du ministre Jean‐Michel Blanquer. Toujours sans nouvelles de la Rue de Grenelle, il opte pour un coup de pression le 13 octobre, sur CNews. « Je n’ai toujours pas de réponse du ministère et donc, en attendant, j’ai bloqué les financements, et je l’assume, plastronne-t-il. Je pense que ça peut très bien se finir devant les tribunaux. J’assume ma position tant qu’il n’y a pas cette clarté. »
Un mois plus tard, le 15 novembre, Xavier Bertrand obtient la réponse tant attendue. Jean‐Michel Blanquer lui indique que le lycée Averroès « fait l’objet d’une surveillance constante depuis sa création en 2003, et encore plus depuis son passage sous contrat d’association en 2008 ». Tous ces contrôles ont « toujours montré que l’établissement respectait les engagements liés au contrat d’association avec l’État pour ce qui concerne le fonctionnement pédagogique », appuie‐t‐il.
Néanmoins soucieux de rassurer alors que des soupçons d’ingérence étrangère pèsent sur l’établissement, le ministre décide de diligenter deux inspections. La première est confiée à l’inspection générale de l’enseignement, de la recherche et du sport (IGÉSR) sur le fonctionnement pédagogique et administratif. Pour la seconde, sur les comptes, c’est la direction régionale des finances publiques des Hauts‐de‐France qui est mandatée.
Acte III – L’obstination
Le 27 octobre 2020, un an après son annonce du gel des subventions, Xavier Bertrand est une nouvelle fois interpellé à ce sujet par l’opposition RN au conseil régional. L’élu Philippe Eymery demande à mettre définitivement fin à l’ensemble des financements publics pour le lycée musulman.
Le président de région lui répond (extrait réécoutable ici) : « Qatar Charity, je veux savoir exactement si c’est une convention et ce qu’il y a dedans […]. L’Éducation nationale s’est penchée sur la question de l’éducation, c’est un point, avec le rapport de l’inspection générale. Mais maintenant c’est la question de ce financement par Qatar Charity, et en la matière, j’attends ces précisions. Vous dites : “Remettez en cause [le contrat].” Je suis le président des Hauts‐de‐France, je ne suis pas le ministre de l’éducation nationale, vous le savez pertinemment. »
Il insiste : « Sur ce dossier Averroès, je vois bien comment vous cherchez à en faire un cheval de bataille pour vous, pour vos thèmes, pour vos obsessions… Moi je veux une transparence et je veux des garanties. […] À chaque fois qu’il y a des financements de ce type, on doit avoir un maximum de garanties pour préserver l’éducation de toutes influences étrangères. »
On a rarement tort d’être trop prudent, mais dans le cas précis, l’entêtement de Xavier Bertrand semble l’empêcher de voir dans le rapport de l’inspection générale les informations extrêmement rassurantes quant à son inquiétude.
Il y est détaillé que « la somme de 4 millions d’euros mentionnée [dans le livre Qatar Papers] n’a jamais été versée à l’établissement ». L’aide reçue de l’ONG Qatar Charity pour financer l’achat d’un nouveau local s’élève en réalité à 850 000 euros. Et les auteurs d’appuyer : « Ce don n’a été assorti d’aucune condition. »
Le rapport se permet même une pique à l’endroit de Xavier Bertrand, en indiquant que la région des Hauts‐de‐France est « par principe » déjà informée de tout cela, puisque le maire de Faches‐Thumesnil et vice‐président du conseil régional, Nicolas Lebas, siège « régulièrement au conseil d’administration de l’établissement » et que les comptes « sont systématiquement transmis aux administrateurs ».
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