L’histoire pourrait prêter à sourire un peu jaune dans un pays qui gère son budget au cordeau. Au hasard, le Portugal, qui dégage un excédent budgétaire depuis plusieurs années. Mais pas en France, où les comptes publics sont engagés dans une dérive sans fin, au point que le FMI, qui avait placé la Grèce sous tutelle budgétaire à la fin des années 2000, vient d’admonester le gouvernement. En France, le refus de la Cour des comptes de certifier ceux de la branche famille de la Sécurité sociale apparaît comme un symbole de la légèreté coupable dont fait preuve l’administration avec l’argent public, donc celui des contribuables.
Versements indus
La raison pour laquelle les magistrats financiers de la rue Cambon ont eu un haut-le-cœur en épluchant les comptes de la branche famille de l’Assurance maladie est tout simplement ahurissante. En 2024, la Caisse nationale des allocations familiales, chargée du versement de plusieurs prestations sociales comme le RSA (par le biais de ses relais départementaux, les Caisses d’allocations familiales) les Allocations adultes handicapés (AAH), la prime d’activité ou les aides au logement a découvert des erreurs gigantesques. Non seulement une partie des 13,5 millions de ménages allocataires (effectif comptabilisé par la Cour des comptes en 2023) ont été injustement privés de leurs aides.
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Mais en outre, la Sécurité sociale a versé des sommes colossales qui n’avaient pas lieu de l’être. Des erreurs - dont un quart portent sur le seul versement de la prime d’activité - que la Cour des comptes a chiffrées à 6,23 milliards d’euros. Loin, très loin de l’épaisseur du trait, ce chiffre représente 8 % du montant total des prestations versées. Un peu comme si les agents de la CNAF, pourtant formés à la détection des informations erronées contenues dans les déclarations de ressources, qui servent de base au versement des allocations, avaient commis des erreurs lourdes de conséquences dans un dossier sur dix.
Les magistrats financiers de la rue Cambon ont eu un haut-le-coeur en épluchant les comptes
C’est totalement impardonnable, surtout quand on sait que l’Assurance maladie accuse déjà 15 milliards d’euros de déficit. Le pire dans cette histoire, c’est que l’administration dispose d’un délai de régularisation de 24 mois pour rectifier le tir, en débloquant les allocations oubliées et en recouvrant les versements indus. Et pourtant, elle ne l’a pas fait. Dans son communiqué, la Cour des comptes constate que ces erreurs n’ont pas été corrigées par « les actions de contrôle interne ». Résultat, le délai de régularisation a pris fin et l’argent s’est définitivement volatilisé.
La CNAF rejette la faute sur les allocataires
Face à ce qui ressemble à un scandaleux naufrage, la CNAF a ouvert le parapluie en grand. Si plusieurs milliards d’euros de versement de prestations sociales sont entachés d’erreurs, c’est la faute des allocataires ! C’est l’argument, gonflé, qu’avance le directeur général de la CNAF, Nicolas Grivel. Pour justifier le fiasco de son administration, il a pointé du doigt les erreurs commises par les allocataires en remplissant leurs déclarations de ressources. Un peu court…
Il s’agirait aussi de plaider coupable, en reconnaissant qu’un certain nombre d’agents des CAF ont tout simplement bâclé leur travail de contrôle et de vérification. Malheureusement, la CNAF est loin d’en être à son premier raté : la Cour des comptes à déjà refusé de certifier ses comptes en 2023, pour des erreurs d’un montant légèrement inférieur, ainsi qu’en 2022.
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Y-a-t-il un comptable de haute volée pour sauver la Sécu ? Si cette perle rare existe, elle n’évolue vraisemblablement pas dans les rangs de l’institution. Certes, la Cour des comptes a certifié « avec réserve » les comptes des quatre autres branches de la Sécurité sociale : maladie, retraites, accident du travail - maladie professionnelle, autonomie. Mais il s’en est fallu de peu. Pour la branche maladie, « le montant estimé des erreurs affectant les règlements de frais de santé (…) atteint 3,3 milliards d’euros », souligne le communiqué de la Cour des comptes. Un solde qui se dégrade de 200 millions d’euros par rapport à 2023 : 3,1 milliards d’euros. Le calcul des indemnités journalières versées aux salariés en arrêt maladie est trop souvent défaillant, puisque le montant versé est erroné dans un cas sur quinze.
Malgré les récents progrès relevés par la Cour des comptes, la branche retraite aussi est loin d’être irréprochable : « Une prestation de retraite sur dix attribuées à d’anciens salariés comporte une erreur financière », déplore la Cour des comptes. Heureusement, les Français peuvent dormir tranquilles : ça va aller mieux, promet le directeur général de la CNAF, Nicolas Grivel. Dans sa déclaration à l’AFP, il souligne que le nouveau dispositif de solidarité à la source (calqué sur le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu), qui a été généralisé à toute la France en mars après une phase de test dans plusieurs départements, « devrait diminuer le risque d’erreur ».
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Et pour cause, les déclarations de ressources des allocataires de prestations sociales seront préremplies par l’employeur, France Travail, et l’Assurance maladie. Les bénéficiaires du RSA, de la prime d’activité ou des aides au logement n’auront plus qu’à vérifier si les informations mentionnées dans leur déclaration de ressources sont exactes. Vu le fiasco de la certification des comptes de l’Assurance maladie, les Français, qui paient divers impôts et cotisations pour alimenter notre système de solidarité nationale, sont effectivement en droit d’espérer qu’il soit mis un terme définitif à cette fâcheuse habitude de l’administration : laisser, chaque année, des milliards d’euros disparaître dans la nature sans faire le nécessaire pour corriger les erreurs commises.
Barthélémy Philippe
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