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« Mourir plutôt que m’avilir » : l’immolation qui ébranle l’Algérie

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  • « Mourir plutôt que m’avilir » : l’immolation qui ébranle l’Algérie

    Un ancien militaire a tenté de se donner la mort devant le siège du ministère de la Justice à Alger. Il entendait dénoncer une dérive judiciaire dont il serait victime.

    Par Farid Alilat

    Publié le 02/06/2025 à 22h03, mis à jour le 03/06/2025 à 10h34




    Fouzi Abdelkader Zeghot a tenté de mettre fin à ses jours en s'immolant le 1er juin 2025. © DR



    Sneakers d'un blanc immaculé, pantalon noir, cravate noire sur chemise blanche, casquette vissée sur la tête, un bidon à moitié rempli d'essence dans une main, un briquet dans l'autre, Fouzi Abdelkader Zeghot remonte doucement une ruelle qui mène au siège du ministère de la Justice, dans le quartier d'El Biar, sur les hauteurs d'Alger. Il est huit heures du matin ce dimanche 1er juin, la grande faucheuse rôde autour de ces lieux hautement gardés.

    La caméra du portable de son ami et complice filme Fouzi tandis qu'il remonte la pente à pas lents pour s'approcher du siège en question. Calme, déterminé, serein, souriant, il s'adresse une dernière fois à ce juge qui le poussera dans quelques secondes à tenter de se donner la mort. Arrivé devant une guérite où se tient un policier en tenue, Fouzi s'asperge alors d'essence, allume le briquet et se transforme en une torche humaine en une fraction de seconde. Sauvé in extremis d'une mort aussi atroce que certaine, l'homme est aujourd'hui hospitalisé dans le pavillon des grands brûlés à l'hôpital de Zéralda, sur le littoral ouest d'Alger.

    Des centaines de milliers de partages


    Depuis que sa vidéo d'une trentaine de minutes a été mise en ligne à sa demande sur les réseaux sociaux le matin même du dimanche 1er juin, cette tentative d'immolation suscite de vives émotions dans tout le pays. Elles sont d'autant plus vives que la séquence horrible où l'on voit l'homme s'écrouler par terre tandis que les flammes dévorent ses habits a été vue et partagée par des centaines de milliers de personnes. Avant de tenter de mettre fin à ses jours, Fouzi a voulu laisser un testament en forme de mise en accusation et de réquisitoire.

    C'est qu'une heure auparavant, il s'est longuement filmé à bord d'une voiture sillonnant les rues désertes de la capitale pour expliquer avec calme et sérénité ses déboires, ses tracasseries, les injustices dont il se dit victime. Alors qu'il voulait initialement s'allumer comme une torche devant le Palais d'El Mouradia, siège de la présidence de la République, il a finalement opté pour celui de la Justice. Comme le choix du lieu, celui de la date n'est pas fortuit : il fait filmer sa tentative de mise à mort le jour même où il devait être jugé en appel. La mort en direct, comme dans le film de Bertrand Tavernier.

    Devenue virale par la force des réseaux sociaux, la vidéo a vite contraint le parquet d'Alger à communiquer sur ce dramatique événement et à ordonner une enquête afin d'en déterminer les circonstances et les motifs qui ont poussé ce quadragénaire à vouloir mettre fin à ses jours sous le regard de millions de personnes. Le geste de Fouzi Abdelkader Zeghot pour dénoncer ses déboires judiciaires frappe encore plus les esprits parce qu'il s'est déroulé devant le siège du ministère de la Justice, et face à des policiers en faction.

    Une première condamnation à 5 ans de prison


    Originaire de Frenda, 350 km d'Alger, dans la wilaya (département ) de Tiaret, Fouzi Abdelkader Zeghot est un ancien militaire qui a pris part à la lutte contre le terrorisme durant la décennie noire. Militant très actif dans le mouvement associatif, il dirige une association qui aide des personnes malades en prenant en charge leurs frais de soins et d'hospitalisation. D'extraction modeste, posé, pas du tout fanfaron ni sujet à des troubles mentaux, il s'est même frotté à la politique en faisant campagne pour le président Tebboune lors de sa candidature à un second mandat qu'il a largement remporté en septembre 2024. Les faits pour lesquels il est devenu, malgré lui, l'acteur d'un acte violent remontent à quatre ans plus tôt.

    En avril 2020 donc, Fouzi est condamné en première instance à cinq ans de prison par un tribunal de Frenda dans le cadre de deux affaires. Dans la première, la justice lui reprochait des « activités sociales non autorisées, usurpation d'identité et collecte de dons sans autorisation ». Dans la seconde, il est accusé « d'incitation à un rassemblement non armé et de blocage de la voie publique, ainsi que d'obstruction à la circulation ». Remis en liberté provisoire et placé sous contrôle judiciaire, l'homme n'a de cesse de contester les faits qui lui sont reprochés et de clamer son innocence. Cinq années de galères judiciaires, de harcèlement, et cette épée de Damoclès qui pèse sur sa tête.

    Peu de temps avant ce dimanche 1er juin qui coïncide avec son renvoi devant un tribunal, Fouzi dit avoir été convoqué dans le bureau du juge qui l'avait déjà condamné en première instance. Il raconte que ce magistrat qu'il n'a pas nommé, jure avec mépris et condescendance que, cette fois-ci, il lui collera non pas cinq ans, mais dix ans de prison. Durée de l'entretien entre les deux hommes ? Quinze minutes. On ignore si les faits relatés par Fouzi sont authentiques ou s'ils relèvent de l'exagération ou de la manipulation, mais les dispositions du code de procédure pénale sont tout à fait claires. Un juge d'audience n'a aucune autorité pour convoquer dans son bureau un prévenu ou une personne déjà condamnée. Un juge qui a déjà statué en audience contre un prévenu ne peut être désigné pour statuer une nouvelle fois contre le même prévenu et dans la même affaire.

    « Ou j'obtiens mes droits, ou je meurs par le feu… »


    Lorsque Fouzi se confie à sa mère de 80 ans à propos de ce juge qui aurait menacé d'aggraver sa peine, la veille dame lui propose de le payer avec les maigres économies d'une vie afin qu'il mette fin à ses menaces. Le fils refuse de plier devant ce juge de province qui ne serait pas le seul à user et abuser de ses pouvoirs. Dans toutes juridictions du territoire national, et surtout dans celles des villes du pays profond, juges et procureurs font la loi, requièrent et dictent les sentences à la tête du client, brisent des carrières et des vies, amassent des fortunes à l'ombre du glaive et de la balance. Au cours des cinq dernières années, le nombre de personnes qui ont été acquittées après avoir purgé de longues peines de prison ainsi que celles qui sont frappées par une ISTN (interdiction de sortie du territoire national) est tout simplement effarant.

    Plutôt que de se soumettre à ce juge, Fouzi décide d'aller à Alger pour raconter son calvaire et demander que justice soit rendue. « Mourir plutôt que m'avilir », dit-il à ce juge dans cette vidéo. Il lui promet avec un calme déconcertant qu'il verra ses « os fondre sous le feu » ce dimanche 1er juin. D'un ton résolu et presque détaché, il ajoute à son adresse, comme s'il formulait une banale requête administrative : « Ou j'obtiens mes droits, ou je meurs par le feu… »


    Un écho du Printemps arabe


    Selon les dernières informations, la victime semble tirée d'affaire et l'un des deux complices qui a filmé la séquence a été arrêté par les services de sécurité. Quant au juge incriminé, une inspection du ministère de la Justice devrait l'entendre prochainement sur les allégations proférées contre lui par la victime.

    Ce fait divers qui choque et rappelle, toutes proportions gardées, le cas du vendeur ambulant tunisien Mohamed Bouazizi, dont la mort par immolation a provoqué le Printemps arabe de 2010, en dit beaucoup sur les dérives de la justice et de ceux qui la rendent depuis l'arrivée au pouvoir d'Abdelmadjid Tebboune en 2019. Ancienne magistrate, avocate pendant une quarantaine d'années, dirigeante d'un parti politique d'opposition, Zoubida Assoul est témoin de ces injustices et de ces dérives judiciaires qui frappent toutes les couches de la société : « Le citoyen n'a plus confiance dans la justice qui a pour mission sacrée de le protéger dans ses droits et de le mettre en sécurité », dit-elle au Point.

    Cette femme de caractère, qui a été écartée de la candidature à la présidentielle de 2024, en veut comme preuve de ce verrouillage les récents amendements apportés par l'exécutif au code de procédure pénale. Selon elle, les nouveaux textes constituent des violations des missions et des droits de l'avocature et bien sûr de la défense. Contestés par l'Union nationale des Ordres des avocats, ces amendements sont considérés comme des atteintes à l'État de droit et des restrictions supplémentaires au droit d'expression et de rassemblement qui sont pourtant consacrés par la loi fondamentale.

    Le fait que la vidéo de la tentative de suicide de Fouzi ait été vue et partagée des centaines de milliers de fois, qu'il ait recouru à cet acte désespéré pour se faire entendre et demander justice, tout cela montre combien les réseaux sociaux ont été transformés en rares lieux de libre expression en Algérie. C'est d'autant plus vrai que les médias publics et privés sont totalement passés sous le contrôle de la présidence et que la possibilité de manifester, même pacifiquement, dans la rue est interdite depuis juin 2021 sous peine de poursuites pénales. Les réseaux sociaux, notamment Facebook et TikTok, sont ainsi devenus des instruments de contre-pouvoir qui échappent au contrôle des autorités, quand bien même celles-ci ont intensifié les méthodes de surveillance des contenus et des personnes à fortes audiences ou résonance sociale.

    « Tu ne peux me briser », dit Fouzi Abdelkader Zeghot à ce juge qu'il accuse d'être la source de ses malheurs. Longtemps, ces images de lui en train de s'enflammer comme une torche marqueront les esprits, et peut-être l'Histoire.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    Le suicide c'est "l'arme " des faibles ; bien au contraire , s'il juge qu'il est lésé quelque part , il doit combattre cela par son intelligence et avec patience, dieu fera le reste si cette personne est sincére et correcte
    Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre.
    (Paul Eluard)

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