Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Bertrand Piccard : « J’essaye de trouver dans toutes les croyances les pièces d’un puzzle plus grand »

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Bertrand Piccard : « J’essaye de trouver dans toutes les croyances les pièces d’un puzzle plus grand »


    DIEU DANS LES YEUX. L’explorateur et psychiatre suisse est engagé depuis l’enfance dans une quête spirituelle, qui l’a mené du christianisme au taoïsme.

    Propos recueillis par Jérôme Cordelier


    Bertrand Piccard photographié à Paris le 29 août 2023, au rassemblement des entrepreneurs organisés par le Medef à l'hippodrome de Longchamp. © Alexis Sciard / MAXPPP / Alexis Sciard/IP3 PRESS/MAXPPP

    C'était en 2006, dans son cocon suisse avec vue plongeante sur le lac de Genève. Bertrand Piccard nous avait reçu chez lui pour parler de l'aventure naissante de Solar Impulse – qui n'était alors qu'une maquette. Et l'explorateur scientifique, le psychiatre, le pilote émérite de tous engins volants identifiés nous avait – déjà – fait part de ses questionnements spirituels, légués par une mère curieuse de philosophies orientales, et qui avait éduqué son fils au « sens de la vie, à croire et ne pas croire ». De son regard magnétique, Bertrand Piccard nous avait raconté sa passion pour l'histoire des Cathares, le destin d'Akhenaton ou les Évangiles apocryphes.

    Près de vingt ans plus tard, l'homme a accepté de poursuivre cette conversation, et nous a reçu dans le petit salon d'un hôtel parisien du quartier de La Madeleine. Bertrand Piccard prolonge l'aventure scientifique de ses aïeux pionniers : son père, Jacques, océanographe, détient le record mondial de plongée en sous-marin et son grand-père, Auguste, physicien qui a inspiré à Hergé le professeur Tournesol, a été le premier à atteindre la stratosphère en ballon.

    Après le record historique de Solar Impulse, premier avion solaire à effectuer un tour du monde, le Suisse prépare un nouveau défi. À 67 ans, l'aéronaute, qui a réalisé aussi le premier tour du monde en ballon, est engagé dans ce qu'il appelle « le vol ultime », à savoir un vol autour du monde, sans escale et sans émissions polluantes, à bord d'un avion à hydrogène vert, actuellement en construction – décollage prévu en 2028 ! En attendant, Bertrand Piccard nous parle de son élévation spirituelle qui, elle aussi, après une genèse protestante, a pris des chemins de traverse. Attachez vos ceintures !


    Le Point : Croyez-vous en Dieu ?

    Bertrand Piccard : Je crois dans le Dieu qui a créé les hommes, mais pas dans celui que les hommes ont créé pour se rassurer de leurs angoisses existentielles. Je pense qu'il y a une force supérieure qui est tellement supérieure que les hommes ne peuvent pas l'appréhender avec leur statut humain. L'erreur que font les hommes est qu'au lieu d'essayer de s'élever jusqu'à Dieu par une évolution spirituelle, ils abaissent Dieu à leur niveau pour l'expliquer, le comprendre, le maîtriser, parfois même pour essayer de le contrôler et de l'utiliser à des fins personnelles.

    Les hommes instrumentalisent Dieu, ce n'est pas nouveau…

    En effet, il y a toujours eu une instrumentalisation de Dieu par l'homme pour augmenter son pouvoir terrestre. C'est bien ce que je reproche aux religions. Ce fut le cas dans l'Antiquité, au Moyen Âge, et maintenant encore. On fabrique un Dieu que l'on peut expliquer et comprendre, plutôt que d'admettre qu'on ne peut ni l'expliquer ni le comprendre, et qu'il faut une élévation spirituelle afin de transcender notre état terrestre pour l'approcher. En fait, nous utilisons une grille d'humains terrestres pour expliquer un Dieu surhumain et non terrestre.

    Vous avez été élevé dans la religion ?

    Oui, j'ai été élevé chrétien, protestant. J'ai une grand-mère huguenote et un grand-père maternel pasteur. J'ai été baptisé, j'ai fait ma confirmation. Mais j'ai confirmé dans ce que je croyais, pas dans ce qu'on me demandait de croire.


    Votre mère a eu une grande influence spirituelle sur vous…

    Ma mère était fille de pasteur protestant, mais elle a toujours été une chercheuse spirituelle. Elle s'est intéressée aux spiritualités orientales, à la psychologie, à la philosophie, à la musique… J'ai passé avec elle des heures et des heures, depuis l'âge de 6 ans, à parler de la vie, de la mort, de Dieu, de philosophie, de religions, de spiritualités.



    Bertrand Piccard, enfant, avec son père, sa mère et son frère et sa soeur.© Collection particulière Bertrand Piccard

    Elle a été un maître spirituel pour vous ?


    Non, je ne peux pas dire qu'elle a été un maître spirituel. Nous étions deux êtres humains qui cherchaient ensemble le sens de la vie. Ce n'était pas une relation de maître à élève, nous étions engagés dans une recherche commune. Et, souvent, ma mère me disait : « Je ne sais pas. » C'est extraordinaire. La religion, elle, ne dit jamais : « Je ne sais pas. »

    Elle veut tout expliquer, elle donne des réponses avant même que l'on pose les questions, puisqu'on est obligé de croire les dogmes que l'on nous inculque. Pour moi, la spiritualité, c'est la question sans réponse ; elle nous place devant une interrogation qui peut augmenter notre conscience et notre ouverture, alors que la religion nous donne des réponses sans questions, qui impliquent une fermeture, pas une ouverture, en imposant des certitudes et une obéissance.

    Il y a fort longtemps, dans une interview, le grand rabbin Sitruk m'avait dit : « La foi, c'est le doute. » Cela contrecarre un peu ce que vous dites ?

    Les religions devraient méditer sur cette phrase, car elles prônent plutôt des certitudes. Ce qui est important, c'est l'interrogation permise par le fait même de douter : dans quel état d'ouverture et de réceptivité sommes-nous quand se pose une question qui n'a pas de réponse ? Ce qui importe, c'est l'humilité. Le premier verset du Tao Tö King, pour moi, devrait figurer sur le fronton de toutes les églises et de tous les temples : « Le Tao que l'on peut nommer n'est pas le Tao. » En clair, le dieu que l'on peut nommer n'est pas Dieu. Le dieu que l'on peut nommer, c'est une figure, une explication, une rationalité humaine.

    Le vrai divin est bien au-dessus de tout cela. Pour réagir à ce que vous a dit le rabbin Sitruk, le doute permet de chercher autre chose, de se remettre en question et de comprendre qu'on n'est pas le seul à avoir raison. L'humanité est tiraillée entre plusieurs mouvements. Il y a le mouvement spirituel, qui est la recherche du message originel des guides venus nous aider, un message de compassion, de bonté, de sagesse.

    Ensuite, la religion a codifié ce message pour le pérenniser, mais l'a aussi cristallisé, rigidifié, expliqué avec des mots humains en enlevant le côté transcendant. Puis, le mouvement philosophique a essayé d'atteindre la sagesse sans avoir besoin d'expliquer quoi que ce soit par la divinité ou la transcendance. Et la science s'est développée en pensant qu'il y avait d'autres voies que les explications spirituelles, religieuses et philosophiques, par une rationalisation de toute explication.

    Quand on sort de son cadre de référence, on est obligé d’aller chercher en soi la concentration, la force, l’imagination, la résistance, la résilience, la confiance… et on les trouve !
    Solar Impulse, ce fut aussi une aventure spirituelle ?

    Solar Impulse était une démonstration de ce que l'on pouvait faire avec des énergies renouvelables pour le bien de l'humanité. Ce fut d'abord une aventure scientifique, écologique et humaniste. Mais dans ce genre d'occasions, très rapidement, et c'est ce qui me fascine, l'aventure peut devenir spirituelle : lorsqu'on perd ses repères habituels, qu'on sort de sa zone de confort, on entre dans un état de conscience, de réceptivité qu'on n'a pas dans la vie de tous les jours.

    Quand je me suis retrouvé au-dessus d'un océan, seul dans le cockpit d'un avion expérimental au milieu de la nuit, je me suis senti mieux que dans tous les autres moments de mon quotidien. C'est bien la preuve qu'il s'est passé quelque chose. Comme un état de grâce. Quand on sort de son cadre de référence, on est obligé d'aller chercher en soi la concentration, la force, l'imagination, la résistance, la résilience, la confiance… et on les trouve !

    On découvre des valeurs et des ressources très profondément ancrées en nous-mêmes et que, d'habitude, on n'utilise pas. J'ai donc vécu de telles expériences spirituelles, autant dans Solar Impulse que dans le tour du monde en ballon, la traversée de l'Atlantique en ballon, le vol acrobatique en aile Delta, la méditation ou les retraites spirituelles. Tous ces moments qui nous sortent de notre routine, de nos automatismes et de notre matérialité sont propices.

    Vous pratiquez souvent des retraites spirituelles ?

    J'en ai suivi beaucoup dans un groupe d'études sur la pensée de Gurdjieff, en Suisse, avec méditations, exercices, discussions en groupe, lectures, etc. Et cela a duré douze ans, de 1981 à 1992.

    Pouvez-vous nous en dire plus sur la pensée de Georges Gurdjieff ?

    Gurdjieff est un philosophe caucasien qui s'est installé en France après la révolution russe, qui a beaucoup écrit, et qui prônait la conscience de soi dans l'instant présent, qu'il appelait « le rappel de soi ». Il s'agit d'évoluer spirituellement en utilisant chaque moment de son existence pour se sentir exister à l'intérieur de son corps. Gurdjieff a développé toute une cosmologie très particulière, assez provocatrice, que j'ai trouvée intéressante et qui m'a beaucoup marqué.

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2


    Comment qualifieriez-vous aujourd'hui, nourri de toutes vos expériences, votre relation au spirituel ?

    Je suis extrêmement éclectique. J'essaye de trouver dans tous les mouvements, dans toutes les croyances, les éléments essentiels, les pièces d'un puzzle plus grand. J'ai l'impression qu'aucun mouvement, aucune religion telle qu'on les comprend aujourd'hui, ne peut seul expliquer tout, qu'il faut aller chercher dans chacun ce qui prend un sens commun. Chaque mouvement religieux ou spirituel détient une partie de la clé, une partie de la solution. Souvent, on peut expliquer certaines choses qu'on ne comprend pas en étudiant d'autres croyances.

    Par exemple ?


    On peut comprendre le rite chrétien du mariage à travers le taoïsme, et même l'alchimie. Tous les deux cherchent à réconcilier les extrêmes qui apparaissent naturellement dans un monde de dualité incarné dans la matière. L'entièreté de notre monde est fait de dualité. On ne peut pas avoir le bien sans le mal, le jour sans la nuit, la gauche sans la droite…

    On ne peut pas avoir un paradis sur terre, parce que s'il y a le paradis d'un côté, il y a l'enfer de l'autre. Donc tout ce qui est incarné est duel. Le taoïsme cherche un retour à l'unicité à travers des pratiques spirituelles : comment recréer l'unicité en soi, ou retourner dans un état d'unicité qui sort de la dualité. On peut comprendre ainsi une partie du christianisme, puisque le but est de revenir à l'état d'harmonie d'avant le péché originel.

    Dans le rituel du mariage, comme dans le taoïsme, on unit le yin et le yang pour retrouver un état d'unicité, symbolisé par le couple. Quand l'officiant dit « l'homme ne séparera pas ce que Dieu a uni », c'est interprété comme « on ne doit pas divorcer ». Alors qu'en fait, dans le rituel, le mariage est le retour à l'unicité qui contrecarre la dualité yin et yang, et le divorce est la reproduction symbolique du péché originel qui divise l'unicité. C'est un rituel qui doit amener un état de grâce.

    On retrouve d'ailleurs cette même notion dans les Noces alchimiques dont parle aussi Carl Gustav Jung et qui cherchent à réconcilier les forces opposées de l'univers. Le symbole de ce rituel va donc beaucoup plus loin que le côté social du divorce. Je trouve fascinant de voir à quel point il existe des lignes conductrices entre des mouvements complètement différents qui donnent un sens beaucoup plus profond à chaque situation ou à chaque détail.


    Pour prolonger sur cette référence à la dualité, à notre époque la réflexion s'articule-t-elle dans une relation entre science et spiritualité, raison et foi ?

    Vous remarquerez que cette question reste dans la dualité ! Ce qui est important, c'est la Transcendance, cette expérience intérieure subtile et mystérieuse que décrivent les Initiés et où, au fond de soi, la Sagesse permet de concilier le bien et le mal, la Compassion permet de résoudre l'amour et la haine, la Conscience permet de dépasser la vie et la mort.

    Aujourd'hui, dans la science, il n'y a pas de transcendance, pas davantage que lorsque la foi impose la suprématie de sa religion au détriment des autres. Si la foi est une explication toute faite qui permet de calmer ses angoisses face à la mort, il n'y a pas de place pour la transcendance. Or, pour moi, c'est la question fondamentale.

    Prenons une métaphore : si on vit habituellement dans une vallée pleine de brouillard, on ne se rend pas compte qu'il existe quelque chose d'autre. On avance dans le flou. Puis, tout à coup, pendant un moment, le brouillard se lève, il fait grand beau, on voit des montagnes magnifiques, des cimes enneigées. Dans ce moment de grâce, on perçoit tout à coup un monde qui nous dépasse. Avant que le brouillard revienne.

    Ensuite, on échafaudera des tas de théories, on expliquera avec des mots humains ce qu'on croira avoir compris, tout ce qu'on aura vu, ce qui nous dépasse, et on essayera de l'expliquer à ceux qui ne l'ont pas vu. On s'attachera à la manière de l'expliquer plutôt qu'au phénomène lui-même. Mais ce qui est fondamental est d'essayer par son travail spirituel de retrouver ces moments de grâce, ces preuves de la Transcendance : ce sont des moments explicatifs du sens de la vie.


    L'hypnose, que vous avez beaucoup pratiquée, permet-elle d'accéder à un état spirituel ?

    C'est ce qui fait la force de l'hypnose. Il y a certes le côté thérapeutique, mais aussi la rencontre avec soi-même qu'on n'a pas souvent dans la vie de tous les jours. L'hypnose permet cette conscience de soi, ce retour à soi-même, cette utilisation des ressources intérieures, qui en fait très souvent une expérience spirituelle.

    Quelles sont les grandes figures spirituelles qui vous inspirent ?

    Il y a eu tout au long de l'histoire des messagers qui sont venus pour guider l'humanité vers plus de sagesse, de bonté, de conscience, de compassion. Ils ont parfois été reconnus sur le moment, parfois pas. Jésus était l'un d'eux, mais ce n'est pas le seul. Moïse, Élie, Mahomet, des grands alchimistes comme Hermès Trismégiste, certains saints de l'Église ont été des guides spirituels admirables.

    Plus près de nous, il y a eu Krishnamurti, Gurdjieff, Aivanhov. Sans oublier Mandela ou Mère Teresa, qui sont devenus des icônes, des exemples spirituels. Gandhi aussi. Certains ne sont probablement pas nés comme cela, ce sont l'époque et les circonstances qui les ont élevés ainsi. Essayons de suivre leur exemple, indépendamment de nos croyances religieuses…
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

    Commentaire

    Chargement...
    X