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En Seine-Saint-Denis, les expulsions pour dette locative explosent

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  • En Seine-Saint-Denis, les expulsions pour dette locative explosent


    Deux ans après l’adoption de la loi Kasbarian-Bergé, le nombre d’expulsions pour dette locative explose. Malades cardiaques, mères de nourrisson etc., plus aucun critère de vulnérabilité ne semble suffisant pour empêcher ces mises à la rue brutales.

    Lucie Delaporte

    (Seine-Saint-Denis).– En recevant dans son petit appartement HLM qui jouxte les voies du RER B à La Plaine Saint-Denis, Claude Lévêque s’excuse de vivre au milieu des cartons. Depuis qu’il a été autorisé à revenir chez lui, après son expulsion brutale qui a bien failli lui coûter la vie, il n’a pas eu le courage de les déballer.

    Quelques semaines plus tôt, au matin du 24 avril, l’homme de 80 ans a ouvert sa porte sans se méfier et s’est trouvé nez à nez avec un huissier, des policiers, un serrurier et des déménageurs.

    Sous le coup d’une procédure d’expulsion pour loyers impayés, Claude attendait de comparaître le 5 juin suivant devant le tribunal administratif pour demander un sursis au vu de sa situation. Celui-ci est entré dans l’appartement après une arnaque au bail en 2019. Il n’a jamais réussi à régulariser auprès du bailleur Antin Résidences.

    « J’ai proposé de payer le loyer mais le bailleur n’a rien voulu savoir, il voulait juste que je parte. Moi, je n’avais pas d’autre endroit où aller », raconte-t-il. À l’issue du covid, le bailleur change soudainement de pied et lui réclame les arriérés de loyers, soit plus de 20 000 euros. Une somme astronomique pour ce retraité qui vit dans le plus complet dénuement.

    Agrandir l’image : Illustration 1Claude Lévêque dans son appartement de La Plaine Saint-Denis, en juin 2025. © Photo Livia Saavedra pour Mediapart

    Grâce à un nouvel accompagnement social, Claude obtient une revalorisation de sa retraite et commence à rembourser sa dette. Ses graves problèmes de santé plaidaient aussi pour lui accorder un sursis. Il attendait donc avec beaucoup d’espoir l’audience devant le tribunal administratif prévue le lendemain de ses 80 ans.

    Entre la vie et la mort


    Mais, comme c’est le cas de plus en plus souvent désormais avec un durcissement général de la politique d’expulsion pour impayés, la préfecture n’a pas attendu cette audience, ainsi qu’elle en a le droit, et a ordonné l’expulsion du vieux monsieur avec concours de la force publique. Claude Lévêque a du mal à raconter ce qui a suivi sa rencontre avec le petit groupe de personnes venues le déloger de chez lui par la force. « Je ne me souviens plus ensuite », souffle le vieil homme, qui souffre de graves problèmes cardiaques.

    « Il est tombé face contre terre dans la cour. J’ai appelé les pompiers. Sa tension était montée à 22 », raconte Brigitte, sa compagne, présente sur les lieux ce matin-là.

    Claude avait fait un double AVC quelques mois plus tôt. « On m’a posé un pacemaker. Je suis aussi diabétique », détaille le retraité, qui est emmené d’urgence à l’hôpital entre la vie et la mort.

    Pendant ce temps-là, les déménageurs continuent leur travail et évacuent sans état d’âme les affaires de Claude. « Ils ont démonté les meubles, les ont jetés dans le camion. Claude était toujours par terre au sol », explique sa compagne, la voix encore tremblante.

    Le serrurier se saisit de toutes les clés qu’il trouve dans le logement, y compris celle de la voiture. « C’était d’une violence incroyable », résume Brigitte.

    Une expulsion pour dette locative avec concours de la force publique comme il y en a de plus en plus depuis l’adoption en avril 2023 de la loi Kasbarian-Bergé, dite « loi anti-squat ».

    Retraite de 200 euros


    Au niveau national, les expulsions ont ainsi crû de 29 % par rapport à l’an dernier, avec un record de 24 556 ménages expulsés. En Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de l’Hexagone, elles ont bondi de 112 % entre 2022 et 2023, avec encore une augmentation de 25 % en 2024.

    Les effets de la loi Kasbarian-Bergé, qui, au-delà de la question du squat mise en avant dans les médias, visait surtout à faciliter les expulsions pour impayés de loyer, sont bien là. En réduisant les délais des procédures, et donc les possibilités de recours des locataires, elle a fait exploser le nombre d’expulsions locatives.

    En apprenant la tournure dramatique de l’expulsion de Claude Lévêque, qui, ce jour-là, a frôlé la mort, la préfecture de Seine-Saint-Denis lui a accordé un sursis pour retourner dans son logement. La moindre des choses puisqu’elle avait tous les éléments sur son état de santé quand elle a décidé l’expulsion, et ce alors que la procédure doit être suspendue dès lors qu’il y a un risque d’« atteinte à la dignité humaine ». Depuis ce matin d’avril, Claude avoue avoir passé des semaines sans dormir. « Il pleure souvent », rapporte sa compagne, et il peine à profiter du répit de quelques mois finalement obtenu lors de l’audience devant le tribunal administratif.

    « Sa situation est révélatrice de ce que vivent beaucoup d’habitants modestes du 93 qui sont confrontés aux limites des services sociaux dans le département »,raconte Mathieu Bernet, chargé de mission prévention des expulsions au sein de l’association Interlogement 93 qui a accompagné Claude. Après un parcours de vie cabossé, le vieil homme a pâti d’une retraite mal calculée d’à peine 200 euros et laissé s’accumuler ses dettes.

    « Depuis la loi Kasbarian, on voit des expulsions pour des impayés de loyer très faibles, avec des ménages assignés pour des dettes de 1 000 ou 2 000 euros. Il s’agit parfois de bailleurs sociaux, ce qui est d’autant plus préoccupant », poursuit le responsable associatif.

    Être reconnu prioritaire Dalo (le droit au logement opposable accordé aux personnes les plus démunies avec des critères très stricts) n’empêche en rien, désormais, une expulsion manu militari. Même lorsque aucune solution de relogement ou d’hébergement n’est proposée. Dans les dossiers de recours au tribunal administratif de Montreuil que Mediapart a pu consulter apparaît très nettement un changement de doctrine sur ce point.


    Agrandir l’image : Illustration 2Dans l’appartement de Claude Lévêque à La Plaine Saint-Denis, en juin 2025. © Photo Livia Saavedra pour Mediapart

    Mme P., mère de trois enfants de 6 ans, 4ans et 6 mois a ainsi été expulsée pour impayés de loyer, sans solution de relogement. Dès lors que trois nuitées d’hôtel lui ont été proposées, le juge des référés n’a pas vu le problème.

    Zohra L., 75 ans, une Algérienne vivant en France depuis des années et qui est atteinte de la maladie de Parkinson et d’un cancer en phase terminale, a, elle, reçu son avis d’expulsion de la résidence pour personnes âgées où elle est soignée, son père ayant combattu pour la France. Motif : son titre de séjour n’a pas été renouvelé et ses traitements existent dans son pays d’origine. Comme une mise à la rue la condamnerait à une mort certaine, la préfecture a, pour l’instant, suspendu l’expulsion.

    « Inversion de la logique »


    De plus en plus souvent, la préfecture, qui doit proposer des solutions de relogement ou d’hébergement d’urgence aux ménages prioritaires Dalo, argue de la saturation du parc locatif et des structures existantes pour procéder à des expulsions « sèches ».

    « C’est une inversion de la logique. Il s’agit de modifier la jurisprudence pour la faire passer d’une obligation de résultat – reloger les personnes expulsées – vers une obligation de moyens, en montrant qu’on a essayé mais qu’on n’a pas réussi », affirme Mathieu Bernet.

    En première instance, les critères de vulnérabilité (enfants en bas âge, pathologie) ne sont plus pris en compte et le recours devant le juge de l’exécution n’étant pas suspensif, les expulsions peuvent avoir lieu avant l’audience au tribunal administratif, où peuvent se décider les délais de grâce.

    « Au-delà de la loi Kasbarian, c’est tout un climat qui a changé. Les procédures vont beaucoup plus vite, ce qui limite les capacités de recours des personnes menacées d’expulsion », explique l’avocate Anne Caillet, membre de la commission logement au barreau de Seine-Saint-Denis et présidente de l’Association droits & habitats.

    « Il y a un durcissement de l’ensemble de la chaîne, avec une logique beaucoup plus répressive,décrit Éric Constantin, directeur de l’agence Île-de-France à la Fondation pour le logement des défavorisés. Le travail social est important quand il faut apporter des éléments au juge pour demander un délai. Mais ce travail prend du temps : il faut étudier la dette de la personne, les aides dont elle peut bénéficier, etc. Là, les délais deviennent trop courts pour tout cela. »

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    Une personne qui n’avait pas reçu son titre de séjour à temps et qui perdait par conséquent son emploi et ne pouvait plus payer son loyer obtenait en général un sursis. Ce n’est plus le cas.

    Tous insistent sur la moindre prise en compte des critères de vulnérabilité pour surseoir à une expulsion. « Là, c’est vraiment le jour et la nuit », estime l’avocate Anne Caillet, citant le récent cas d’un client atteint d’une maladie grave, avec des enfants mineurs reconnus Dalo. « Il peut être expulsé du jour au lendemain. Le juge a davantage regardé le préjudice pour le propriétaire, un médecin à la retraite. C’est vraiment la nouvelle tendance de porter beaucoup plus d’attention aux propriétaires qu’aux locataires. »

    Un « acquis » du bref passage au ministère du logement de Guillaume Kasbarian, qui n’avait cessé de se présenter comme le héraut des propriétaires face aux locataires indélicats. « Aujourd’hui, on a le sentiment que c’est le droit de propriété qui prévaut sur tout »,acquiesce Éric Constantin. Manifestement plus que les « atteintes à la dignité humaine ».

    Contactée sur le sujet, la préfecture de Seine-Saint-Denis n’a pas donné suite.

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    C'est un peu partout. Pas mal de français sont plus pauvres qu'avant. Les gilets jaunes c'est à partir de 2017.

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    • #3
      La saturation du parc locatif et l'engorgement des structures d’hébergement rendent plus faciles les expulsions dites « sèches » dans le logement social. À l’inverse, dans le secteur privé, les petits propriétaires doivent souvent patienter des années, à leurs propres frais, avant de pouvoir récupérer leur bien occupé par un squatteur ou un locataire qui ne paie plus. Dans ces situations, la justice semble faire preuve de davantage de souplesse envers les bailleurs sociaux que vis-à-vis des propriétaires particuliers, pourtant souvent plus vulnérables face aux impayés.
      Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

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