Terre des paradoxes, Djanet est troublante de beauté et ne demande qu’un peu d’intérêt et de compréhension. On ne sort pas indemne d’un voyage dans cette oasis paradisiaque. Mais les infrastructures touristiques manquent et la vie quotidienne est rythmée par l’inertie ; et le silence qui hante ses habitants leur pèse parfois, lorsqu’ils ne trouvent rien de distrayant, à part le désert immense et l’horizon plein de promesses.
Lorsqu’on écrit sur un voyage qu’on a entrepris dans des contrées lointaines et méconnues, il est très difficile de distinguer le superflu de l’essentiel, l’anecdotique de l’exemplaire, le futile du nécessaire, le pertinent de l’impertinent, l’intéressant du peu intéressant. Il faut peut-être commencer par le début. Par l’aéroport d’Alger, qui semblait si ordinaire, ce soir-là. Avec le cœur plein, une émotion vraie et un mini-complexe dit du blanc qui fait croire aux personnes qui en sont atteintes qu’elles peuvent changer les autres, en débarquant simplement dans leur vie et la chambouler. Nous avons traîné notre complexe et intolérance, jusqu’à Djanet, à quelque deux mille kilomètres de la capitale, du “centre du monde”, croyait-on. L’avion a atterri à deux heures du matin, donc impossible de constater ce qui nous attendait. La route vers l’hôtel Tadrart situé à Ifri (à trente kilomètres de l’aéroport) est longue, pas du tout éclairée et le froid pénètre les os. Le lendemain matin, c’est le choc ! C’est quasiment l’isolement, n’étaient les quelques habitations par-ci par-là et les dunes de sable. Une route traverse cette localité mais les voitures sont rares et les bus passent quand ils peuvent, et ne s’arrêtent presque jamais. Mais le choix est possible : on peut marcher à pied, faire du stop ou attendre qu’un bus passe par-là et qu’il ait l’obligeance de s’arrêter. En même temps, pour la dernière option, il ne faut pas être pressé, car l’attente peut être très, très longue. Nous avons tout de même réussi à arriver au centre-ville de Djanet, et notre première conception négative a commencé à changer, petit à petit. La ville est construite sur deux niveaux : en bas ce sont les commerces et certaines récentes habitations, et en haut, il y a les ksours : El-Mihane, Zelouaz et Adjahile, qui surplombent et entourent la ville. Le décor est magnifique, et nous n’étions pas encore au bout de nos surprises. Djanet est une ville du Sud, comme toutes les autres, avec ses cafés, ses habitations typées, ses habitants calmes et sereins, sa mairie, sa maison de jeunes, sa maison de la culture (dont la plupart ignorent l’existence) et son marché. Et puis il y a l’Office du parc national Tassili. Une bâtisse en plein centre-ville où nous avons été reçus, et où on nous a expliqué que le Tassili était le plus grand parc à ciel ouvert au monde, tout en nous rappelant l’histoire des sociétés humaines, passées ou implantées à Djanet. Nous nous acclimatons plus avec les lieux et les gens, qui restent toutefois un peu hostiles, envers nous. Compréhensible réaction, vu que notre quête première était de découvrir les spécificités de la région, et non l’humain qui l’emplissait de vie. Notre intérêt était quasiment folklorique et non axé sur l’humain. Et c’est là une erreur monumentale qui aurait pu nous être fatale. Mais la chance a été de notre côté, alors le séjour à Djanet s’est transformé grâce à de belles rencontres, notamment au marché, en une inoubliable expédition, en un voyage initiatique, une virée au paradis. Les gens rencontrés ont été extrêmement chaleureux et hospitaliers envers nous, à partir du moment où on a cessé de chercher à les changer ou à contester leur mode de vie. L’hostilité du début qui était pesante a disparu soudain, et les individus croisés à Djanet ont cessé de nous incommoder en arrêtant de s’exprimer avec nous en targui. Ils se sont ouverts à nous et nous ont fait part de leur vision du monde, de leurs contraintes et de leur mode de vie rude et dure, qui ne les incommode pas plus que cela, et ne les gêne absolument pas. Car ils sont nés dans cette nature et même si elle se montre parfois peu clémente, elle est la seule chose qui puisse contenir leur joie, leur peine, leur douleur et leur isolement.
De l’isolement
En effet, le désert est capricieux, la nature peu clémente et le quotidien est à la fois rude et éprouvant à Djanet. Ce qui frappe le plus le visiteur est que la vie semble avoir déserté cette oasis, pourtant si enchanteresse. Certaines bâtisses sont imposantes et ne concordent pas avec l’architecture de la ville, les gens y sont calmes, modérés mais on peut lire de la tristesse dans leurs yeux, et les jeunes sont à la fois perdus et désenchantés. Le mot “rien” prendrait tout son sens, si ces mêmes jeunes s’arrêtaient de rêver et de croire en la vie. Mais ils ne l’ont pas fait fort heureusement. “J’ai quitté l’école mais je veux que ma sœur fasse de hautes études. Elle est en terminale et passe le bac cette année, si elle l’obtient, elle partira loin d’ici, à la ville”, nous a confié Zahra, rencontrée alors que nous jouions les intrus, en débarquant à l’improviste, dans leur si chaleureuse demeure. Zahra n’aspire qu’à une seule chose, trouver enfin le prince charmant et démarrer une nouvelle vie pleine d’espoir, après avoir quitté, assez jeune, les bancs de l’école. En plus de l’inertie —décrite et explicitée dans la majeure partie des œuvres sur le désert — dont nous avons découvert et mesuré l’ampleur une fois dans les rues de Djanet, les activités culturelles manquent fatalement à la ville. Nabil Bali, qui marche sur les pas de son père Athmane Bali, emporté par une crue d’oued, nous a rapporté sa propre expérience, quant au manque de manifestations et d’infrastructures culturelles, lors d’une rencontre impromptue. Nabil nous a fait part de ses difficultés en tant que musicien à remplacer ou réparer des instruments. Pour cela, il doit faire le voyage jusqu’à Alger, puisque Djanet et quoique l’on pense, est carrément isolée. Loin de tout. La vingtaine à peine, un jeune de la région qui travaille à l’hôtel où nous logions, nous a fait part de son opinion sur l’isolement de Djanet, dans le cadre d’une discussion. “Il ne se passe jamais rien par ici. Lorsqu’on entend parler d’un concert en ville, on s’y rend mais ça s’arrête là”. Triste constat pour une ville qui a un réel potentiel touristique et qui peut drainer chaque année des milliers de touristes.
Mais est-ce cela qu’on veut faire de Djanet ? Veut-on promouvoir un tourisme de masse qui ferait perdre à la ville son cachet et transformerait les us et les coutumes de ses habitants en des pratiques folkloriques, dépourvues de sens et de profondeur. Peut-être faudrait-il promouvoir dans la région un tourisme culturel, et quoi de mieux que les festivals pour jouer ce rôle et accomplir cette mission possible, avec la volonté de tout un chacun. Mais parfois le rôle des festivals est réducteur. Et pour preuve, lorsque nous étions à Djanet, une fête de la Sbeïba a été organisée et nous y avons pris part. Mais cette célébration a perdu toute sa beauté en sortant de son cadre initial : la nature, le grand air. C’est par-là, une forme de stigmatisation, alors que la Sbeïba et d’autres rites et festivités des populations du Sud algérien, demeurent les moins folkloriques du Maghreb. Au Maroc par exemple, et comme nous l’a confié l’anthropologue Meriem Bouzid Sebabou, les célébrations ancestrales, des Touareg notamment, sont réduites à des pratiques folkloriques pour distraire les touristes. Cependant, la promotion du tourisme dans la région aura un rôle salvateur sur la population puisque cela créera entre autres de nouveaux postes de travail, dans une région inerte, où l’artisanat ne fait pas vivre son homme.
Lorsqu’on écrit sur un voyage qu’on a entrepris dans des contrées lointaines et méconnues, il est très difficile de distinguer le superflu de l’essentiel, l’anecdotique de l’exemplaire, le futile du nécessaire, le pertinent de l’impertinent, l’intéressant du peu intéressant. Il faut peut-être commencer par le début. Par l’aéroport d’Alger, qui semblait si ordinaire, ce soir-là. Avec le cœur plein, une émotion vraie et un mini-complexe dit du blanc qui fait croire aux personnes qui en sont atteintes qu’elles peuvent changer les autres, en débarquant simplement dans leur vie et la chambouler. Nous avons traîné notre complexe et intolérance, jusqu’à Djanet, à quelque deux mille kilomètres de la capitale, du “centre du monde”, croyait-on. L’avion a atterri à deux heures du matin, donc impossible de constater ce qui nous attendait. La route vers l’hôtel Tadrart situé à Ifri (à trente kilomètres de l’aéroport) est longue, pas du tout éclairée et le froid pénètre les os. Le lendemain matin, c’est le choc ! C’est quasiment l’isolement, n’étaient les quelques habitations par-ci par-là et les dunes de sable. Une route traverse cette localité mais les voitures sont rares et les bus passent quand ils peuvent, et ne s’arrêtent presque jamais. Mais le choix est possible : on peut marcher à pied, faire du stop ou attendre qu’un bus passe par-là et qu’il ait l’obligeance de s’arrêter. En même temps, pour la dernière option, il ne faut pas être pressé, car l’attente peut être très, très longue. Nous avons tout de même réussi à arriver au centre-ville de Djanet, et notre première conception négative a commencé à changer, petit à petit. La ville est construite sur deux niveaux : en bas ce sont les commerces et certaines récentes habitations, et en haut, il y a les ksours : El-Mihane, Zelouaz et Adjahile, qui surplombent et entourent la ville. Le décor est magnifique, et nous n’étions pas encore au bout de nos surprises. Djanet est une ville du Sud, comme toutes les autres, avec ses cafés, ses habitations typées, ses habitants calmes et sereins, sa mairie, sa maison de jeunes, sa maison de la culture (dont la plupart ignorent l’existence) et son marché. Et puis il y a l’Office du parc national Tassili. Une bâtisse en plein centre-ville où nous avons été reçus, et où on nous a expliqué que le Tassili était le plus grand parc à ciel ouvert au monde, tout en nous rappelant l’histoire des sociétés humaines, passées ou implantées à Djanet. Nous nous acclimatons plus avec les lieux et les gens, qui restent toutefois un peu hostiles, envers nous. Compréhensible réaction, vu que notre quête première était de découvrir les spécificités de la région, et non l’humain qui l’emplissait de vie. Notre intérêt était quasiment folklorique et non axé sur l’humain. Et c’est là une erreur monumentale qui aurait pu nous être fatale. Mais la chance a été de notre côté, alors le séjour à Djanet s’est transformé grâce à de belles rencontres, notamment au marché, en une inoubliable expédition, en un voyage initiatique, une virée au paradis. Les gens rencontrés ont été extrêmement chaleureux et hospitaliers envers nous, à partir du moment où on a cessé de chercher à les changer ou à contester leur mode de vie. L’hostilité du début qui était pesante a disparu soudain, et les individus croisés à Djanet ont cessé de nous incommoder en arrêtant de s’exprimer avec nous en targui. Ils se sont ouverts à nous et nous ont fait part de leur vision du monde, de leurs contraintes et de leur mode de vie rude et dure, qui ne les incommode pas plus que cela, et ne les gêne absolument pas. Car ils sont nés dans cette nature et même si elle se montre parfois peu clémente, elle est la seule chose qui puisse contenir leur joie, leur peine, leur douleur et leur isolement.
De l’isolement
En effet, le désert est capricieux, la nature peu clémente et le quotidien est à la fois rude et éprouvant à Djanet. Ce qui frappe le plus le visiteur est que la vie semble avoir déserté cette oasis, pourtant si enchanteresse. Certaines bâtisses sont imposantes et ne concordent pas avec l’architecture de la ville, les gens y sont calmes, modérés mais on peut lire de la tristesse dans leurs yeux, et les jeunes sont à la fois perdus et désenchantés. Le mot “rien” prendrait tout son sens, si ces mêmes jeunes s’arrêtaient de rêver et de croire en la vie. Mais ils ne l’ont pas fait fort heureusement. “J’ai quitté l’école mais je veux que ma sœur fasse de hautes études. Elle est en terminale et passe le bac cette année, si elle l’obtient, elle partira loin d’ici, à la ville”, nous a confié Zahra, rencontrée alors que nous jouions les intrus, en débarquant à l’improviste, dans leur si chaleureuse demeure. Zahra n’aspire qu’à une seule chose, trouver enfin le prince charmant et démarrer une nouvelle vie pleine d’espoir, après avoir quitté, assez jeune, les bancs de l’école. En plus de l’inertie —décrite et explicitée dans la majeure partie des œuvres sur le désert — dont nous avons découvert et mesuré l’ampleur une fois dans les rues de Djanet, les activités culturelles manquent fatalement à la ville. Nabil Bali, qui marche sur les pas de son père Athmane Bali, emporté par une crue d’oued, nous a rapporté sa propre expérience, quant au manque de manifestations et d’infrastructures culturelles, lors d’une rencontre impromptue. Nabil nous a fait part de ses difficultés en tant que musicien à remplacer ou réparer des instruments. Pour cela, il doit faire le voyage jusqu’à Alger, puisque Djanet et quoique l’on pense, est carrément isolée. Loin de tout. La vingtaine à peine, un jeune de la région qui travaille à l’hôtel où nous logions, nous a fait part de son opinion sur l’isolement de Djanet, dans le cadre d’une discussion. “Il ne se passe jamais rien par ici. Lorsqu’on entend parler d’un concert en ville, on s’y rend mais ça s’arrête là”. Triste constat pour une ville qui a un réel potentiel touristique et qui peut drainer chaque année des milliers de touristes.
Mais est-ce cela qu’on veut faire de Djanet ? Veut-on promouvoir un tourisme de masse qui ferait perdre à la ville son cachet et transformerait les us et les coutumes de ses habitants en des pratiques folkloriques, dépourvues de sens et de profondeur. Peut-être faudrait-il promouvoir dans la région un tourisme culturel, et quoi de mieux que les festivals pour jouer ce rôle et accomplir cette mission possible, avec la volonté de tout un chacun. Mais parfois le rôle des festivals est réducteur. Et pour preuve, lorsque nous étions à Djanet, une fête de la Sbeïba a été organisée et nous y avons pris part. Mais cette célébration a perdu toute sa beauté en sortant de son cadre initial : la nature, le grand air. C’est par-là, une forme de stigmatisation, alors que la Sbeïba et d’autres rites et festivités des populations du Sud algérien, demeurent les moins folkloriques du Maghreb. Au Maroc par exemple, et comme nous l’a confié l’anthropologue Meriem Bouzid Sebabou, les célébrations ancestrales, des Touareg notamment, sont réduites à des pratiques folkloriques pour distraire les touristes. Cependant, la promotion du tourisme dans la région aura un rôle salvateur sur la population puisque cela créera entre autres de nouveaux postes de travail, dans une région inerte, où l’artisanat ne fait pas vivre son homme.
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