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Hawaii, paradis de rêve ou rêve américain ?

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  • Hawaii, paradis de rêve ou rêve américain ?

    Du soleil toute l’année. Une brise marine (non océanique !) rafraîchissante. Une humidité palpable mais supportable en raison d’un climat relativement bien épargné par la population des métropoles négligentes. Des palmiers défiant les lois de l’apesanteur en traversant le ciel, tout en se recourbant légèrement dans un signe magistral de soumission à la volonté toujours plus puissante de la nature.

    L’archipel polynésien des îles Hawaii, situé dans le Pacifique Nord, comprend huit îles principales toutes volcaniques (Niihau, Kauai, Oahu, Molokai, Lanai, Kahoolawe, Maui et Hawaii). Honolulu est la capitale de l’Etat, située dans l’île d’Oahu, avec 80% de la population. L’aéroport de Kona est modeste et se fond dans le décor. Tout ou presque est en bois. Aucune infrastructure superflue. On y entre et on y ressort plus vite qu’il ne faut pour le dire, car le but était manifestement d’éviter de perturber la nature.

    De l’agriculture au tourisme

    L’économie a longtemps été dominée par les plantations sucrières (et les activités militaires, nous y reviendrons). L’agriculture reste, à l’échelle des Etats-Unis, relativement importante. Ainsi Hawaii est-elle le premier producteur américain d’ananas et de papayes, et deuxième producteur de sucre de canne. Parmi les autres ressources agricoles figurent le café, les légumes et l’élevage (bovins, ovins). Les principaux secteurs industriels sont l’agroalimentaire (raffineries de sucre, jus de fruits, conserves), la confection textile, l’imprimerie et l’artisanat traditionnel. Mais ces secteurs sont en net recul au point que même les places touristiques sont quasiment dénuées de produits réellement locaux. Les activités agricoles connaissent un déclin important, car elles subissent de plein fouet la réduction de la superficie des terres arables et des quantités d’eau disponibles pour l’irrigation. Réduction provoquée par le développement constant du tourisme.

    Aujourd’hui, la nature est traversée par des routes. Longues à perte de vue. Peu de circulation et la vie s’écoule, fluide. Tellement fluide qu’on se demande si elle est réelle. En revanche, les voitures sont grosses, puissantes et américaines. Cela dit, elles roulent à une vitesse très raisonnable. La vitesse gâcherait le plaisir d’admirer la vue. Sans compter que les routes sont souvent à deux voies, difficile de doubler sans risquer un carambolage. Et on ne vient pas à Hawaii pour mourir dans un stupide accident de la circulation. Au bout de la route, des hôtels. Des hôtels et encore des hôtels. Il y en de toutes sortes. Les adeptes du luxe et des constructions massives, style colonial ou ultra moderne, des chambres climatisées avec télévision câblée et connexion haut débit, des piscines aux formes design et de toutes les commodités possibles et inimaginables sont servis. Pour les partisans du pittoresque, des bungalows typiques aux toits chinois, tous revêtus en bois, sont disponibles. Ils sont blottis au cœur d’une végétation dense et luxuriante. Pas de télévision ni d’électronique. Comme musique de fond, le bruit des vagues pour s’endormir et la symphonie d’une bande d’oiseaux dès le lever du jour. Même la consommation d’électricité est rationalisée. Hawaii a fait un choix. Celui du tourisme. L’activité économique la plus importante aujourd’hui. En chiffres, elle rapporte plus de 10 milliards de dollars par an, soit plus de 50% des revenus de l’Etat. Les principaux sites sont les zones touristiques de Waikiki sur l’île d’Oahu, le Parc national des volcans d’Hawaii sur l’île d’Hawaii et le Parc national d’Haleakala sur Maui.

    C’est pourquoi, à Hawaii, les gens sont beaux, bronzés et de bonne humeur. Le code vestimentaire est short, tongs et lunettes de soleil. On peut être jeunes ou déjà en retraite, en couple ou en famille. On est généralement grands et blonds, mais les Chinois et les Japonais ne sont pas insensibles aux charmes de l’île. Chaque matin, les vacanciers prennent, les pieds dans l’eau salée ou chlorée, un petit déjeuner de 2 000 calories, puis vont lézarder au soleil pour les brûler, en attendant le déjeuner. A Hawaii, on dîne tôt au soleil couchant, des mets délicats venus du bout du monde. Ces terres sombres et brûlées retiennent à la peinture blanche les prénoms des amoureux gravés sur les pierres. Ils sont venus se marier pour le meilleur et le pire. Le pire, bien sûr, viendra après Hawaii, car les couples ne se disputent pas au paradis des amoureux. Presque tous les jours, une union est célébrée sur la plage, avec l’océan et les tortues géantes comme témoins. On peut aussi venir de loin sans pour autant faire partie de cette catégorie de promeneurs avançant au rythme de la musique hawaiienne. Dans ce cas, on vient des Philippines, d’Indonésie et d’ailleurs. On vient travailler. «Hawaii, c’est bien pour se faire de l’argent», conclut un chauffeur de taxi philippin qui ne chôme pas. L’argent qu’il gagne ne lui permet pourtant de rejoindre sa famille restée au pays qu’une fois tous les trois ans.

    Chercher l’Hawaiien à Hawaii

    Hawaii, c’est aussi la musique. Une musique reconnaissable entre cent, car ancrée dans le subconscient comme un souvenir d’enfance. Cette musique flottante, accompagnée de voix féminines et masculines entremêlées. Douces ou doucereuses ? Pas une note plus haute que l’autre. Tonalité d’une constance déconcertante pour les adeptes de rythmes soutenus et de chansons à texte. La musique flotte, glisse, ondule comme les vagues paresseuses de l’Océan. Peut-on évoquer la maladie, la mort, la guerre ou juste la solitude avec une musique aussi doucereuse et des voix aussi doucettes ? Question totalement hors de propos ! Que ferait une musique aux pointes aiguisées comme une épée sur une terre ronde et recourbée ? La musique, l’âme du peuple, aurait pourtant bien des choses à dire, à réclamer et à rejeter. Car l’une des premières questions qu’un nouveau débarqué peut se poser en arrivant à Hawaii est : «Où sont les Hawaiiens ?» Cette question implique deux types de réponse : celle des historiens qui expliquent la réalité et celle des chiffres qui la révèle sans ménagement. Nous sommes à Hawaii, soyons positifs, et commençons par la première. L’histoire d’Hawaii est une histoire de brassage, d’émigrations et de migrations millénaires. Pour l’histoire, ces îles ont été habitées initialement par les Austronésiens, considérés comme les premiers navigateurs de l’histoire de l’humanité. Vers le XVe siècle av. J.-C., un mouvement mène des Philippines en Nouvelle-Guinée et au-delà, aux îles du Pacifique. Il y a 5 000 ans, des habitants du littoral de la Chine du Sud, cultivateurs de millet et de riz, commencent à traverser le détroit pour s’installer à Taïwan. Vers le IIe millénaire av. J.-C., des migrations ont lieu de Taïwan vers les Philippines, puis des Philippines vers Célèbes et Timor et les autres îles de l’archipel indonésien. Un peu plus tard, il y a 1500-2000 ans, ce sont des Polynésiens qui s’installent en provenance des îles marquises. Et l’histoire des mouvements a continué.

    Le langage des chiffres n’arrondit pas les angles.


    Le recensement fédéral de 2000 révélait qu’Hawaï comptait 1,2 million d’habitants. La composition ethnique se présentait comme suit : 33% de Blancs (Américains ou Européens), 22% de Japonais, 15% de Philippins.
    Les Hawaïens arrivent en 4e position avec 12%, suivent les Chinois avec 6% et, enfin, 10% englobant d’autres ethnies d’origine polynésienne, portoricaine, coréenne, sud-américaine, pakistanaise, vietnamienne, etc. Les Hawaïens de souche sont appelés «Native Hawaiians», ce qui rappelle le triste sort réservé aux natives Americans, terme qui désigne les Indiens, lesquels se résument à vivre dans des réserves alcooliques ou dans la société américaine déculturée. Les Hawaïens polynésiens d’origine comptent officiellement pour 12% de la population (138 742 personnes), mais seulement 8 000 -soit moins de 1% de la population-d’entre eux, sont considérés comme des «Hawaïens purs» («pure Hawaiians»), les autres étant des métis (environ 11%). Mais brassage signifie-t-il dilution, notamment celle de la langue ?

  • #2
    La langue autochtone d’Hawaï, l’hawaïen appelé Olelo Hawai‘i, tend à se réduire comme peau de chagrin. Il s’agit d’une langue polynésienne de la famille austronésienne étroitement reliée au marquisien, proche du tahitien et du maori. Le gouvernement de Hawaii reconnaît deux langues officielles depuis 1978 : l’anglais et l’hawaïen. C’est la seule langue vernaculaire aux Etats-Unis d’Amérique à avoir un caractère officiel. Avant cette date, il était illégal d’apprendre l’hawaïen dans les écoles publiques de l’île, sauf en tant que langue étrangère. Bien qu’elle soit actuellement enseignée et que des mesures de protection aient été mises en place, cette langue est quasiment menacée d’extinction. Et, malgré ces quelques efforts, la réalité est là. Implacable. Au recensement de 1970, quelque 17 000 insulaires disaient avoir l’hawaïen comme langue parlée au foyer lorsqu’ils étaient enfants. En 1990, ils étaient moins de 1 000. Aujourd’hui, seules les personnes âgées de plus de 60 ans et les habitants de l’île Niihau (230 personnes) la parlent encore. Cette exception a une raison : l’île de Niihau est une propriété privée, dont les propriétaires n’y admettent que les habitants de l’île, les anciens résidents et les descendants des ancêtres hawaïens. Les insulaires y parlent une variante dialectale de l’hawaïen. Pour le reste, 73,3% des Hawaïens pratiquent l’anglais comme langue maternelle. L’île d’Oahu est celle qui compte aussi le plus grand nombre de langues immigrantes, notamment le chinois et le japonais. Les autres langues sont, outre les langues polynésiennes (7,9%), le filipino (5,7%), le japonais (4,9%), le chinois (2,9%), l’espagnol (1,6%) et le coréen (1,6%). Les Hawaïens qui utilisent encore ces langues immigrantes sont ceux de la première et de la deuxième génération ; ceux de la troisième génération ont généralement abandonné la langue de leurs ancêtres pour n’utiliser que l’anglais.

    De Hawaii aux Etats-Unis

    A Hawaii, on ne parle pas de guerre ou de misère. Seules les annonces qui fusent toutes les cinq minutes à l’aéroport vous extraient de la béatitude hawaiienne. Elles vous rappellent que vos bagages peuvent être fouillés à tout moment et qu’ils doivent impérativement demeurer sous le strict contrôle de leurs propriétaires. Durant les quelque trente secondes que dure l’annonce, Hawaii redevient membre à part entière des Etats-Unis. D’autant que les îles Hawaii abritent une importante base militaire américaine dans le Pacifique, avec notamment la base navale de Pearl Harbor, près de Honolulu. Pour simple rappel, Hawaii est un pivot essentiel de la défense américaine dans le Pacifique et a pris une importance stratégique capitale au lendemain de la Première Guerre mondiale, au fur et à mesure que s’est aggravée la rivalité américano-japonaise. Le développement des infrastructures économiques, maritimes et aériennes, et l’utilisation de l’île comme base militaire ont ensuite assuré la prospérité de Hawaii. De façon plus conjoncturelle, Hawaii redevient aussi partie prenante d’un Etat en guerre. En guerre en Afghanistan, en Irak, contre le terrorisme et les groupes radicaux en Somalie, au Sahel, au Pakistan… Mais c’est si loin. Car, à Hawaii, on ne parle pas de choses qui fâchent et on n’est jamais fâchés. Même les oiseaux le savent. Ils s’approchent de vous, vous regardent en attendant leur part de bonheur.

    L’histoire donne pourtant quelques raisons d’être fâchés. La façon dont l’influence et la domination des Etats-Unis se sont établies pourrait susciter bien des rancunes. Les Etats-Unis ont fait face à la concurrence de la France, de la Russie et de la Grande-Bretagne. Finalement, c’est l’influence des Américains, à travers le fruitier Dole Fruit Company (planteurs, commerçants, etc.) qui permet le coup d’Etat contre la dernière reine de l’archipel en 1893, Liliuokalani. Son image et son histoire sont symboliquement représentées sur les places publiques sans qu’il soit fait mention de la façon dont elle a été dépossédée. Un gouvernement provisoire est instauré. Malgré l’opposition de nombreux citoyens, le nouveau régime est contraint de demander l’annexion aux Etats-Unis, laquelle devint effective le 12 août 1898, soit à la fin de la guerre hispano-américaine. L’anglais est aussitôt proclamé l’unique langue officielle d’Hawaï. En 1894, le protectorat des Américains sur l’archipel se renforce et conduit à la proclamation d’une République de Hawaii. Véritable république bananière, relèvent les historiens. Sans surprise, celle-ci finit par être annexée au territoire américain le 7 juillet 1898 avec le statut de «territoire de Hawaii». Le pouvoir des planteurs s’arrête quand le droit de vote est accordé aux nombreux immigrés qui, dès le XIXe siècle, ont radicalement transformé la démographie de l’archipel. Ce n’est qu’en août 1959 qu’Hawaii devient le 50e et dernier territoire de l’Union à avoir accédé au statut d’Etat des Etats-Unis. Cette accession se fait grâce à un référendum dans lequel des milliers de soldats américains présents sur l’île avaient le droit de vote.

    Hawaii l’américaine : de la nature à la culture

    A part quelques exceptions mentionnées plus haut, tout ce qui est consommé sur l’île est importé. On cultive de moins en moins sur les terres volcaniques car, à Hawaii, les terres brûlées ne donnent pas plus de blé que le meilleur avril… Ces terres ont une autre fonction. Elles accouchent de résidences secondaires, de chaînes hôtelières ou de bases militaires. Elles produisent aussi des champs entiers de gazon verdoyant, de fleurs éclatantes blanches, jaunes, roses et rouges qui explosent comme un feu d’artifice. Mais le gazon est si vert qu’il faut le toucher pour s’assurer qu’il n’est pas l’enfant légitime du pétrole qu’Hawaii ne produit pas. Le blanc des Stephanotis est plus blanc que la plus pure des neiges qu’Hawaii ne verra jamais. Le jaune des Kahili Ginger est tellement éclatant que le soleil d’Hawaii paraît bien timide. Les Vanda Orchid rappellent le feu des volcans toujours en activité. Quant au rose des Dendrobium Orchid, il vous envoie des flashs aveuglants, remplaçant ainsi les néons que les Hawaiiens n’ont pas le mauvais goût d’utiliser…
    Finalement, car tout a une fin, surtout pour un séjour de cinq jours, Hawaii laisse un sentiment bizarre, contrasté. Un sentiment d’inachevé ou, au contraire, la sensation que tout est déjà complètement fait et surfait vous poursuit. Est-ce l’un des derniers coins du monde encore à l’état de nature ou le maillon d’une chaîne industrielle ? Les colliers souvenirs sont fabriqués en Chine, les coquillages viennent des Philippines, les fruits non bios sont importés par les grandes compagnies de l’agroalimentaire. Hawaii est si différente des Etats-Unis. Elle n’a, en apparence, rien à voir avec la côte Ouest, et encore moins avec la côte Est ou le Middle-Ouest. En même temps, Hawaii est tellement américaine. Américaine dans le sens où la nature est partout et nulle part. On la voit, mais on ne la ressent pas comme une nature vivante, mais comme un tableau. On la touche, mais on ne la sent qu’à travers des gants invisibles mais bien réels. Tout a l’air typique, mais tout ressemble à une reconstitution. Illusion brillante et mise en scène intelligente dont le cinéma américain a, depuis longtemps, le secret. Alors finalement, Hawaii, paradis de rêve ou rêve américain ?

    Par Louisa Aït Hamadouche , La Tribune

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