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Analyse du Mouvement syndical autonome en Algérie

mardi 30 novembre 2004, par Hassiba

En Algérie, cinquante trois syndicats autonomes activent aujourd’hui dans le secteur de la Fonction publique et le secteur économique public, dans le cadre des loi 90-14 et 90-02 issues de la Constitution de 1989.

Ce sont en majorité des syndicats de corporation : fonctionnaires de l’administration, enseignants, médecins, pilotes, officiers de la marine marchande, techniciens de la maintenance aérienne, contrôleurs de la navigation aérienne, comptables, inspecteurs de travail, inspecteurs des impôts, contrôleurs des prix...

Certains syndicats (1) parmi les 53 ont marqué l’histoire sociale de l’Algérie par leur lutte et leurs acquis durant ces 15 dernières années. Ils sont devenus des vecteurs axiaux du mouvement syndical en Algérie et ont créé de nouvelles pratiques syndicales dans le champ syndical qui était dominé depuis l’indépendance jusqu’en 1989 par le syndicat Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Pourtant, notre pays vit une situation inédite en ce qui concerne le partenariat social et le dialogue social. En effet, le pouvoir ne reconnaît aucun de ces 53 syndicats comme partenaire social dans les faits ! L’unique partenaire social reconnu reste l’UGTA, même quand elle ne fait pas la grève et même quand elle n’a plus de représentativité dans certains secteurs de la Fonction publique et du secteur public économique. C’est toujours vers elle que se dirige le pouvoir même pour lui annoncer les acquis arrachés par les syndicats autonomes lors de leurs mouvements de grève !

Plus grave, le dernier communiqué du Conseil de gouvernement du 20 octobre 2004, concernant la grève des médecins spécialistes, et la circulaire du 5 octobre 2004 (2) signée par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale et le directeur général de la Fonction publique sont venus remettre en cause le droit de grève et les libertés syndicales garantis par la Constitution de 1989. Cette remise en cause du droit de grève et des libertés syndicales ont commencé en octobre 2003, quand le pouvoir en violation de la Constitution et des lois sociales du pays avait refusé de délivrer l’accusé d’enregistrement pour les deux principaux syndicats de l’enseignement secondaire : le Conseil des lycées d’Alger (CLA) et le Conseil national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (Cnapest).

Ces deux syndicats ont mené durant l’année scolaire 2003/2004, la plus longue grève dans le secteur de l’éducation nationale depuis l’indépendance, qui a mobilisé 60 000 enseignantes et enseignants, qui a duré plus de trois mois et qui s’est terminée par un acquis considérable : une augmentation des salaires de 30% des enseignants du secondaire. Le non-respect des lois sociales, par la direction de l’Enmtv, lors de la grève du syndicat Snommar au mois de juin 2004, et par le ministère de la Santé lors la grève du Snpssp, qui a démarré le 18 octobre 2004, est venu malheureusement confirmer cette remise en cause d’acquis démocratiques arrachés grâce aux sacrifices des jeunes en octobre 1988, comme le droit de grève et les libertés syndicales. L’échec de la bipartite qui s’est tenue, les 14 et 15 octobre 2004, entre le gouvernement et le syndicat UGTA, sur fond de grèves menées par les syndicats autonomes dans divers secteurs de la Fonction publique (et qui se poursuivent aujourd’hui dans le secteur de la santé) a montré d’une façon éclatante que la paix sociale dans le secteur de la Fonction publique ne peut être négociée qu’avec les syndicats autonomes représentatifs et en répondant aux revendications socioprofessionnelles de leurs adhérentes et adhérents.

Comment expliquer le refus du pouvoir de reconnaître dans les faits les syndicats autonomes et le pluralisme syndical ? Quelle est l’histoire du syndicalisme autonome en Algérie ? Quels sont les apports de ce syndicalisme autonome dans les luttes sociales ? Comment le mouvement syndical autonome va-t-il s’opposer à la remise en cause des acquis syndicaux ? Peut-il constituer dans le futur une alternative historique pour la formation d’une deuxième centrale syndicale ?

I) Brève histoire de l’autonomie syndicale en Algérie
Dès l’indépendance, la question de l’autonomie syndicale vis-à-vis du pouvoir va se poser au niveau de l’UGTA et de l’Ugema (3) qui va devenir L’UNEA historique (4) après son 4e congrès tenu à Alger le 23 août 1963. Le pouvoir va mener une lutte implacable contre les syndicalistes de l’UGTA qui défendaient le principe de l’autonomie syndicale par rapport à l’ex-parti unique FLN d’avant octobre 1988. Lors du congrès de 1963 de l’UGTA qui s’est tenu à la Maison du peuple, l’ex-parti unique a tenté un vrai coup de force contre l’autonomie du syndicat UGTA. En effet, des militants de ce parti, venus par camions, vont envahir la salle du congrès au moment du déjeuner et les dirigeants de l’ex-parti unique imposeront à la tête de l’UGTA des syndicalistes « élevés et nourris » dans les serres de l’ex-parti unique.

Pour l’UNEA historique, le pouvoir aura beaucoup de mal à la « normaliser » (5). En effet, de 1963 au 18 janvier 1971, (date de sa dissolution par le régime du président Houari Boumediène, après une répression féroce par la police politique), les militantes et militants de L’UNEA historique vont défendre farouchement l’autonomie de leur organisation. Ni la féroce répression de la police politique en 1965, en 1968 et en 1971 qui s’est traduite par les arrestations de militants, torture et enrôlement de force dans les rangs du service national ni les nombreux coups de force des militants de l’ex-parti unique n’auront raison de la détermination des militants de l’UNEA historique à défendre l’autonomie de leur syndicat. Les luttes et les sacrifices des militantes et militants de l’UNEA historique ont permis l’enracinement de l’idée de l’autonomie syndicale à l’université, elle sera reprise par les comités étudiants autonomes de 1976 à 1989 sur les campus et par les membres fondateurs des syndicats autonomes à partir de 1989 au niveau de la société.

II) L’émergence des syndicats autonomes sur la scène sociale
Les luttes du mouvement syndical étudiant vont être l’élément fondateur du syndicalisme autonome algérien qui émergera après la promulgation de la Constitution de 1989 et des lois sociales 90-14 et 90-02. Car les cadres syndicaux des syndicats autonomes représentatifs étaient militants ou dirigeants dans le mouvement syndical étudiant des années 1970 et 1980. Il faut rappeler pour la mémoire historique, que c’est le sacrifice des jeunes en octobre 1988 qui va émettre la formation des syndicats autonomes à partir de 1989 grâce à la Constitution de 1989 qui consacre le pluralisme syndical et aux lois sociales 90-14 et 90-02. Face à la détérioration dramatique de leur condition de vie, à leur paupérisation, différentes corporations (fonctionnaires de l’administration, médecins, enseignants, pilotes, officiers de la marine marchande) vont créer leur syndicat pour défendre leurs revendications socioprofessionnelles. Le concept d’autonomie veut dire « autonome vis-à-vis de l’UGTA et du pouvoir ».

Mais c’est l’épreuve du terrain qui va montrer, au fil des années, que sur les 53 syndicats crées depuis 1989 à ce jour, seuls les syndicats qui sont : le Snapap, Snpsp, Ssnpssp, Snpdsm, Snmasm, SPLA, Sntma, Snpca, Snommar, Satef, CLA, Cnapest et le CNES ont réussi à durer, à renouveler la pratique syndicale, et ils partagent (en partie ou totalement, cela dépend de l’histoire du syndicat considéré) une identité syndicale constituée par les éléments suivants :
 Pratique syndicale collective et solidarité syndicale ; élaboration d’un programme d’action et d’une ligne syndicale démocratique et revendicative ; alternance démocratique à la direction du syndicat ;
 visibilité et engagement dans les luttes syndicales : grèves, sit-in, marches... ;
 allie les revendications socioprofessionnelles et les revendications sociétales (lutte pour la liberté de la presse et la liberté d’expression, soutien aux familles des disparus, lutte pour une justice indépendante, etc.)
 obtention d’acquis considérables en matière de salaires, de logements et d’amélioration des conditions de travail.
 respect du choix civique des adhérentes et des adhérents lors des consultations électorales, c’est-à-dire aucune consigne de vote n’est donnée aux adhérents - lors de l’élection présidentielle, des élections législatives et des élections locales.

L’expérience de ces 15 années d’activité et de luttes des syndicats autonomes représentatifs a permis une décantation, et elle a aussi permis de montrer que l’autonomie syndicale aujourd’hui signifie avant tout une ligne syndicale démocratique et revendicative. La récente crise du syndicat Cnapest lors des deux journées de grève des 5 et 6 octobre 2004 a montré que les meilleurs défenseurs de la ligne syndicale démocratique et revendicative sont les adhérentes et adhérents à la base. Cette réaction énergique de la base du Cnapest a montré qu’un syndicat autonome appartient à ses adhérentes et adhérents et que le temps des apparatchiks de l’appareil syndical est révolu à jamais. Il faut signaler aussi que la ligne syndicale démocratique et revendicative peut se retrouver aussi dans certaines fédérations de l’UGTA, comme le SETE de Béjaïa et de Tizi Ouzou (FNTE : Fédération nationale des travailleurs de l’éducation), elle a existé dans la coordination syndicale de Bab El Oued de l’éducation affiliée à la FNTE dans les années 1990 et qui formera plus tard le CLA. On peut aussi citer l’exemple du syndicat des parapétroliers de l’UGTA des années 1990 quand il avait à sa tête des syndicalistes comme M. Bouderba et M. Nadji, qui menèrent une grande grève en 1996 autour des revendications socioprofessionnelles. On peut aussi citer la fédération des cheminots de l’UGTA qui se bat depuis des années pour la sauvegarde d’un service public ferroviaire. La récente grève nationale des travailleurs de la santé, qui a paralysé les hôpitaux durant deux semaines au mois d’octobre 2004, sous l’égide de la FNTS (Fédération nationale des travailleurs de la santé, affiliée à l’UGTA), est venue montrer que seule une ligne syndicale revendicative est capable de mobiliser les travailleurs.

III) Apports du syndicalisme autonome dans les luttes sociales : étude du cas du syndicat CNES (6)
Les apports du syndicat CNES aux luttes sociales et au mouvement syndical autonome sont contenus dans son histoire caractérisée par sa lutte acharnée pour la défense de son autonomie, sa ligne syndicale démocratique et revendicative, son fonctionnement démocratique qui est sa principale force (toutes les décisions stratégiques sont prises par les AG d’adhérents et le Conseil national est la plus haute instance entre deux congrès), par une direction collective appelée coordination nationale composée de trois membres (lors du dernier congrès tenu les 21/22/23 janvier 2004, le statut a été revu et le poste de coordonnateur national n’est plus une instance syndicale), ses acquis socioprofessionnels (salaires, logements, défense du métier) et sa capacité à allier les enjeux corporatistes et les enjeux sociétaux. (A suivre)

Notes
 1) Snapap (Syndicat national autonome du personnel de l’administration publique) ; SNPSP (Syndicat des praticiens de santé publique) ; Snpssp (Syndicat des praticiens spécialistes de santé publique) ; Snpdsm (Syndicat national des professeurs et docents en sciences médicales) Snmasm (Syndicat national des maîtres assistants en sciences médicales) ; SPLA (Syndicat des pilotes de ligne d’Air Algérie) ; Sntma, ( Syndicat national des techniciens de la maintenance aérienne), Snpca (Syndicat national du personnel du contrôle aérien), Snommar (Syndicat national des officiers de la marine marchande), Satef (Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation), CLA (Conseil des lycées d’Alger) ; Cnapest (Conseil national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique) ; CNES (Conseil national des enseignants du supérieur).

 2) La circulaire du 5 octobre 2004 est venue abroger la circulaire du 25 novembre 1998, et elle stipule que les journées de grève ne seront pas payées, sans préciser le nombre de jours par mois. Cette circulaire n’a pas été négociée avec les partenaires sociaux et ne tient pas compte de la spécificité du métier de l’enseignant. Les journées de grève non payées pour un enseignant ne seront jamais rattrapées, y compris les journées de grève durant les examens ou celles des soutenances de mémoires de fin d’études ou de thèses !

 3) Ugema : Union générale des étudiants musulmans algériens, créée à Paris en avril 1955 par des étudiants algériens (militants du FLN). La section d’Alger de l’Ugema lancera le 19 mai 1956 l’appel à la grève générale, et ses adhérents rejoindront en masse les maquis de l’ALN.

 4) UNEA historique : Union nationale des étudiants algériens, j’utilise le qualificatif historique pour la distinguer de l’UNEA actuelle qui a été créée après l’ouverture démocratique de 1989 par des étudiants proche de l’ex-parti unique FLN. L’UNEA actuelle est une organisation de masse de l’ex-parti unique FLN. Cette appropriation abusive d’un sigle historique n’a jamais soulevé la moindre contestation ou protestation de la part des anciens militants de l’UNEA historique.

 5) Parcours d’un militant de l’UNEA, Houari Mouffok éditions Laphomic, 2000. 6) Voir l’article de Teyssir Sidi Abdelkader « le syndicat CNES : construction d’un syndicat autonome et démocratique », paru dans le quotidien El Watan des 27 et 28 juillet 1997.

Par Farid Cherbal, El Watan.com