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Avec MG-Rover disparaît un empire centenaire

samedi 9 avril 2005, par Hassiba

« GAME rOVER ! » La manchette attribuée à un tabloïd anglais il y a une bonne vingtaine d’années risque de rependre du service outre-Manche. Dans le grand rallye de l’industrie automobile, Rover est souvent sorti de la route, tout en parvenant à chaque fois à revenir dans la course.

Cette fois, pourtant, la situation semble plus grave. L’ultime survivance de l’ancien empire British Leyland, à peine centenaire, a toutes les chances de disparaître corps et âme. Les « historiens » ergoteront afin de savoir s’il faut choisir la première bicyclette, la première moto ou la première voiture sortie des usines de Coventry pour dater la naissance de l’entreprise. Dater sa disparition risque d’être moins compliqué.

Retracer l’histoire de la marque revient quasiment à revivre les grandeurs et les décadences de l’économie britannique. De la nationalisation du groupe en difficulté à la privatisation de British Leyland sous les années Thatcher, le groupe a été chahuté comme un bouchon au fil de l’eau.

De l’éclatement des marques à l’internationalisation, de mariages forcés en fiançailles rompues, Rover a cherché son salut aux quatre coins du monde. Avec des alliés américains, européens et même japonais, le constructeur britannique s’est associé en Inde avec Tata (pour la CityRover) avant de négocier en Chine avec Brilliance d’abord, puis avec Saic... Le constructeur britannique a aussi tenté de survivre avec le coréen Daewoo ou le malais Proton.

L’évolution du groupe correspond donc à un véritable jeu de piste. En 1966, la marque est rachetée par le constructeur de camions Leyland. Il fusionne, deux ans plus tard, avec BMC, propriétaire des marques Austin, Morris, MG et Jaguar. Ce n’est pas tout. Le groupe Leyland, qui a entre-temps racheté la marque Triumph, fait de Rover son label haut de gamme. En 1975, British Leyland, en proie à des difficultés financières, est nationalisé.

Rover innove alors en entamant un partenariat avec le japonais Honda. Cette alliance inquiète beaucoup les constructeurs occidentaux, notamment les Français et les Italiens. La firme nippone insuffle un nouvel esprit, développe des modèles de milieu de gamme modernes et fiables.

Mais, fixé sur sa politique de privatisation, le gouvernement Thatcher démantèle British Leyland : Jaguar et Daimler sont cédés à Ford, les bus Leyland à Volvo, les camions Leyland à DAF. Londres essaie de séduire General Motors mais finit par confier le reste du groupe à British Aerospace en 1986.

Honda monte progressivement dans le capital. Se produit alors - on est en 1994 - un nouveau coup de théâtre pour l’ensemble de l’industrie automobile européenne : British Aerospace vend le constructeur britannique à BMW. Préférence pour une solution européenne ? Sans doute. Souhait des Japonais de ne pas prendre le contrôle financier de Rover ? Peut-être.

Après six années d’efforts, la tentative de diversification menée par BMW pour devenir un constructeur généraliste va tourner au cauchemar. Dans l’affaire, l’entreprise bavaroise va perdre 4,1 milliards d’euros. L’addition aurait pu être encore plus corsée si BMW n’avait pas revendu Land Rover à Ford pour 3 milliards. Le deuxième constructeur américain donnera ainsi (avec Range-Rover) une gamme tout-terrain à l’ensemble du Premium Automotive Group (Jaguar, Aston-Martin, Volvo).

BMW jette l’éponge. Phoenix, un consortium financier emmené par John Towers, ancien directeur général de Rover, et soutenu par les syndicats, remporte la mise pour 10 livres sterling (14 euros). L’ancien propriétaire allemand accorde de surcroît 500 millions de livres de dot (714 millions d’euros) sur trois ans. La somme sera utilisée avec la plus grande parcimonie.

Si sur le plan financier la situation de MG-Rover s’améliore, les résultats commerciaux se dégradent. « Le problème pour Rover, ce n’est pas de fabriquer des voitures. Ils en ont la capacité et leurs voitures ne sont pas mal », déclarait il y a quelques années Nick Matthews, un expert britannique du département industrie manufacturière de l’université de Warwick. « Leur problème, c’est que tous les concurrents sortent de nouveaux modèles vraiment innovants alors que chez eux il n’y a plus de nouveaux produits. »

L’échec de Rover coûtera sa place à Bernd Pieschetsrieder à la tête de BMW. La création de la marque Mini sera en revanche un succès. Ferdinand Piëch, le président de Volkswagen, qui a eu le temps d’apprécier la pugnacité et les talents de négociateur de l’ancien numéro un de BMW lors de la bagarre pour la prise de contrôle de Rolls-Royce, ne lui en tiendra pas rigueur. Il embauchera Pichetsrieder et le désignera comme dauphin.

Avec cette chronique d’une faillite annoncée, l’industrie automobile britannique autrefois si florissante risque désormais de se limiter à ce que les Anglais appellent la « Cottage Industry » et ses marques artisanales...

Par Charles Gautier, lefigaro.fr