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L’administration complice dans les spéculations foncières

jeudi 24 juin 2004, par Hassiba

En léguant la gestion des affaires publiques aux directions exécutives communales (DEC), après la dissolution des APC de l’ex-FIS durant les années 1990, les autorités ont cru bien faire. Cependant, la gestion des DEC s’est avérée catastrophique sur plusieurs plans notamment dans la gestion du foncier.

C’est durant cette période que les scandales, les affaires fumeuses et les plus gros dossiers liés à la mafia du foncier éclateront au grand jour et ne cesseront de défrayer la chronique. En effet, durant les années 1990, ce trafic atteindra son apogée. Il sera favorisé par la dégradation de la situation sécuritaire et l’absence de l’Etat, occupé dans la lutte acharnée contre le terrorisme. Cette période de troubles n’a pas tardé à être exploitée par les responsables et gérants qui trouvent dans l’anarchie le climat idéal pour « faire des affaires » et engranger des bénéfices.

Rentabilisation de la fonction

Commis de l’Etat et leurs complices avaient donc tout le loisir de faire du trafic foncier leur activité lucrative « favorite ». Non satisfaits de se servir les premiers (lots de terrain, locaux, logements sociaux...) et de faire profiter de façon abusive leurs proches, ils se sont enrichis sur le dos du simple citoyen, accaparant les richesses du pays et amassant des fortunes colossales. Parmi les communes dont la simple évocation suffit à nous replonger dans les plus sombres dossiers liés au trafic du foncier et autres affaires de prédation, on peut citer Bab Ezzouar, Dar El Beïda, Dely Ibrahim, Birkhadem, Baba Hassen, Chéraga, Bouzaréah, Gué de Constantine... pour ne parler que des communes connues pour avoir d’importantes réserves foncières en terrains et terres agricoles. En fait, aucune APC n’échappe à ce phénomène. Selon un ancien élu à l’APC de Bab Ezzouar, qui a préféré garder l’anonymat, « cette mairie a été et continue d’être le cœur du trafic du foncier ».

Parmi l’une des scabreuses affaires, il évoque le détournement de terres agricoles durant les années 1990 au profit des élus et de leurs proches. « L’ancien DEC de Bab Ezzouar s’est emparé, en 1995, de plusieurs assiettes foncières », dont celle du site dénommé « Douzi », qui figure parmi les terres agricoles détournées sans le désistement des fellahs, « et avec l’accord du chef de daïra et de l’ancien wali d’Alger ». « Des doubles, triples voire quadruples décisions ont été attribuées », ajoute-t-il. « Plusieurs années après, il aura fallu une décision de justice pour geler les constructions sur ce site et éviter un véritable massacre. » Aujourd’hui encore, cette situation risque de dégénérer. Les bénéficiaires se sont tout simplement fait « arnaquer », bien qu’en possession de décisions en bonne et due forme. En effet, il s’est trouvé que plusieurs personnes se sont vu attribuer le même lot de terrain. « La justice devrait trancher dans les prochains jours avant que ce conflit ne prenned’autres proportions », explique-t-on. Selon notre interlocuteur, « les anciens élus ont gardé le pouvoir de distribuer, d’établir des décisions d’attribution et de les revendre ». Ils ont toujours leurs « rabatteurs » dans les agences immobilières, chez les notaires, dans les APC... et le gâteau est partagé entre complices. Il faut savoir que le prix réel du lot de terrain d’une superficie de 120 à 160 m2 est de 9 millions de centimes alors que les revendeurs le cèdent à 400 millions. Bien sûr que chacun a sa « tchipa » (pot-de-vin) et tout le monde y trouve son compte, sauf le citoyen qui se retrouve privé de tous ses droits, jusqu’à celui d’avoir un logement décent. Notre interlocuteur rappelle aussi qu’à l’époque des DEC, l’APC de Dar El Beïda a attribué de façon « frauduleuse » 21 000 lots de terres agricoles qui servent aujourd’hui à la construction de façon anarchique et sans aucun contrôle des fameux locaux commerciaux du Hamiz. Les bénéficiaires de ces assiettes foncières sont des personnes venues de l’intérieur du pays. Les DEC ont complètement « bousillé » Bab Ezzouar et Dar El Beïda durant les années 1990 avec la complicité de fonctionnaires haut placés des services de sécurité, ajoute-t-il. « C’est ainsi que la région du Hamiz s’est retrouvée aujourd’hui entre les mains de ces personnes influentes », poursuit-t-il. « Aujourd’hui encore, même si la cession de lots de terrains est bloquée, conformément à la réglementation en vigueur, la vente, explique notre interlocuteur, se pratique encore, discrètement, avec la complicité de notaires, d’agences immobilières qui usent de documents antidatés, de fausses décisions, de promesses de vente. » La corruption bat son plein et mine l’administration, tous services confondus. Les personnes influentes, qu’elles soient commis de l’Etat, ministres, députés, sénateurs... tous profitent de leur statut pour acquérir et faire bénéficier les leurs de biens immobiliers, toutes formules confondues. Du logement participatif au logement social, en passant par l’acquisition de locaux commerciaux, de terrains et de terres, jusqu’à l’AADL, la dernière formule de location-vente de logements, tout y passe.

Des exemples édifiants

La commune d’El Biar, bien que saturée en termes de foncier, a connu durant les années 1990 des cas de détournement abusif de terrains. Selon Lyes Sahbi, élu FFS, la seule assiette foncière restée disponible, communément appelée « forêt des Moudjahidine », située sur le boulevard du 11 Décembre, d’une superficie de 19 000 m2, a été récupérée en 1980 par l’APC sur la base d’un arrêté. Durant la période de la DEC, de 1992 à 1995, ces 19 000 m2 se sont vu réduire à 4 000 m2. Cette assiette servait, entre autres, de parking provisoire où stationnaient des camions de l’entreprise de wilaya NetCom. Mais jusqu’au 15 septembre 2003, il ne restait plus un mètre carré de disponible sur les 4 000 et ce, après qu’une décision, tombée comme un couperet, eut été prise à l’insu de l’APC pour l’édification du siège du Conseil constitutionnel. Les services de la wilaya et ceux du Conseil constitutionnel ont accaparé cette assiette.Autre affaire, celle liée au complexe sportif d’El Biar. Afin de rentabiliser ce complexe construit durant les années 1980, la mairie a procédé à sa location à la Sonatrach, puis à l’APSI, devenue ANDI. Cette dernière était liée à l’APC d’El Biar par un contrat de location devant expirer le 31 décembre de l’année 2003.

Cependant, le 4 septembre de la même année, bien avant l’expiration du contrat, l’ANDI a déménagé sans remettre les clés, sur ordre du ministère de la Justice. L’édifice a été occupé illico presto par la direction pénitentiaire relevant du ministère cité ci-dessus. Tout cela sans que l’APC d’El Biar soit mise au courant. Ce squattage s’est fait, il faut le dire, à l’insu de la mairie et du wali d’Alger. Notre interlocuteur explique, par ailleurs, que depuis l’avènement de la nouvelle assemblée communale en 2002, la commune d’El Biar n’a bénéficié d’aucun quota de logements sociaux. Durant le précédent mandat, El Biar n’a obtenu que 50 unités pour une demande de 6 000 logements. C’est l’une des mairies les plus lésées, bien qu’elle soit l’une des plus peuplées. Tout ce qui est bâti dans cette commune est l’héritage du colonialisme. Evoquant les résidences d’Etat, M. Sahbi dira que l’accaparement de ces lieux, notamment au niveau de Poirson, par des personnes haut placées s’est fait de manière ostentatoire durant le règne du parti unique. Attribuées au départ sous couvert de résidence d’Etat, d’immenses villas ont été cédées au dinar symbolique ces dernières années. Autre cas de dilapidation de biens de l’Etat, ajoute-t-il, l’attribution par les DEC des terres relevant des Habbous, situées sur le nouveau boulevard au niveau du Val d’Hydra, à de hautes personnalités politiques et leaders politiques. Alors qu’à quelques mètres de là, se trouve le fameux centre de transit la Caserne, où pas moins de 200 familles « locataires des Habbous » souffrent depuis plus de 40 ans.On ne parlera pas du vieil aqueduc, un objet patrimonial, qui, déjà caché à la vue par les immenses bâtisses, risque de disparaître purement et simplement sans que personne s’en rende compte...

Outre les élus, fonctionnaires et commis de l’Etat, on trouve aussi au sein de ce lobby des privilèges nombre d’organisations syndicales et d’associations « fantoches » de quartiers ou de centres de transit créées dans le seul but de profiter d’une situation donnée. Durant cette dernière décennie, ce type de phénomène a pris de l’ampleur. Le statut de syndicaliste est devenu un moyen de bénéficier de privilèges, estime une enseignante à l’Institut audiovisuel d’Ouled Fayet qui évoque le cas du syndicat d’entreprise du secteur de la formation professionnelle. « Les syndicalistes essayent de profiter au maximum de leur statut pour bénéficier de logements de fonction. Ils sont d’ailleurs les seuls à en profiter, eux et leurs amis », affirme-t-elle. Un avis partagé par des fonctionnaires d’une banque. « Les syndicalistes ne s’occupent que de leurs affaires, pas des problèmes des travailleurs. Leurs affaires se situent entre autres autour des logements, des missions et des stages à l’étranger. »

Par Amel Bouakba, latribune-online.com