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La filière céréalière en Algérie

vendredi 17 septembre 2004, par Hassiba

En Algérie, par la bonne grâce du ciel, la production céréalière a évolué ces deux dernières années dans des proportions jugées appréciables.

Elle a atteint 42,7 millions de quintaux, dont sept millions en blé tendre en 2002-2003, et 40 millions de quintaux, dont 7,9 millions en blé tendre, en 2003-2004, note A. Assabah, directeur de la régulation et de développement des produits agricoles au ministère de l’Agriculture. La production locale en blé, comme celle d’autres produits pluviaux, est aléatoire.

Elle tourne aujourd’hui autour de 30 millions de quintaux, en moyenne annuellement. Pas assez pour couvrir tous les besoins de consommation nationaux. Aussi l’Algérie recourt-elle à l’importation de céréales. En moyenne, elle en importe pour six cent millions de dollars, par an. Autrefois sous le monopole de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC), le marché des céréales a été ouvert aux privés à la fin des années quatre-vingt.

Prix négocié
Le privé négocie ses prix à l’importation des céréales, comme le fait l’OAIC, sur les marchés internationaux, mais avec une marge dont ne dispose pas l’office interprofessionnel, celle de pouvoir se soustraire à certaines conjonctures défavorables, comme c’était le cas l’année dernière. Le privé s’est, en effet, soustrait aux pressions sur le blé tendre affecté par la rouille jaune. Résultat, des importations en moins en la matière, et une envolée des prix de la farine panifiable, indique-t-on. Cette défection, conjuguée à d’autres facteurs, est ainsi à l’origine de la levée de boucliers provoquée par les boulangers, ces derniers mois. Ceux-ci estiment qu’ils ne rentrent pas dans leurs frais, le coût de revient de la baguette du pain ayant substantiellement augmenté. La suite du mouvement de contestation des boulangers, on la connaît. Elle s’est terminée par l’installation d’une commission de travail mixte chargée de trouver des formules à même d’apaiser la colère des « confectionneurs » de pain. La tutelle leur a promis une reconstitution de la marge, par une réduction d’impôt, entre autres. Opaque qu’elle est, l’attitude des importateurs privés dont il est question n’a cependant pas fait réagir les minotiers, leurs partenaires clés. C’est l’OAIC qui a suppléé aux quantités de blé tendre dont ils avaient besoin. La loi ne les oblige-t-elle pas à remplir leur mission d’importation, quelles que soient les conjonctures ? La loi n’est pas toujours la bonne solution, nous explique le directeur de la régulation et du développement des produits agricoles.

Et les Eriad, des entreprises publiques, dont certaines sont en proie à d’énormes difficultés ? Les Eriad n’ont pas été suffisamment préparées à l’ouverture du marché, à la nouvelle conjoncture, même si Eriad Sétif en est sortie revigorée, un cas de réussite, estiment certains.

Les Eriad et la privatisation
De peur qu’elle disparaisse, selon l’avis des autorités chargées de la privatisation, la branche des Eriad, on s’en souvient, a été proposée à la vente, en 2001, dans un vaste programme de restructuration du secteur public. En tout, cinq entreprises régionales de produits alimentaires ont été promises à la liquidation. Le programme élaboré au temps de Noureddine Boukrouh, alors ministre de la Participation et de la Coordination des réformes, s’étend à d’autres sociétés dans l’agroalimentaires comme le groupe GIPLAIT, l’ENCG (corps gras), l’Enasucre (raffinage de sucre) et l’ensemble Boissons-Jus-Conserves. Il était question que toutes ces entités passent sous contrôle privé. L’opération a tourné court, à la grande joie des syndiqués de l’UGTA, qui ne voulaient pas entendre parler de privatisation. Les Eriad ne sont-elles pas malades de la filière céréalière ? Vont-elles échapper à la privatisation, nouvelle version, en cours de préparation ?

Dans un document de recherche de doctorat, l’universitaire Adli Z. analyse que la faiblesse de la céréaliculture algérienne pose la problématique de l’intégration au sein de la filière « blés ». Il soutient que, dans une économie administrée, les entreprises de transformation, en l’occurrence les ERIAD, « ne jouent aucun rôle dans la diffusion du progrès technique, la promotion de la qualité et l’intégration agro-industrielle qui auraient pu accroître la productivité dans cette filière et, partant, abaisser les coûts de production. » Parce qu’il y a eu des politiques d’approvisionnement alimentaire basées sur « le recours systématique aux marchés mondiaux, les exploitations céréalières se retrouvent déconnectées de ces entreprises censées les stimuler en répercutant vers eux l’accroissement de la demande du marché interne, et confrontées à une crise profonde ».

Celle-ci, souligne-t-il, a été de surcroît aggravée par certaines mesures, liées à la mise en œuvre du plan d’ajustement structurel initié au début des années quatre-vingt-dix, telles que l’augmentation des prix des intrants industriels qui a contribué à restreindre leur utilisation par les exploitations. L’absence de prise en charge du risque climatique a ainsi accentué le risque de déficit induit par les dépenses d’intensification et a amené les agriculteurs à développer des stratégies défensives de leurs revenus centrées sur l’extension des processus de production, la valorisation des sous-produits de la céréaliculture par le biais de l’élevage ovin. Les stratégies ainsi développées par les agriculteurs heurtent autant les stratégies mises en œuvre par l’Etat que celles des ERIAD. Ces dernières auraient intérêt à assurer un approvisionnement à partir de la production locale de grains, spécialement quand il s’agit du blé dur pour lequel le marché mondial reste étroit.

537 millions de dollars en soutien à la filière céréalière
Les politiques d’intensification de la céréaliculture mises en application récemment par l’Etat constituent-elles une réponse adéquate à cette situation de crise ? Une problématique posée dans le document en question où il est expliqué que les nouvelles politiques menées par l’Etat sont orientées de manière prioritaire vers le segment de la production céréalière qui fait l’objet, depuis 1998, d’incitations publiques importantes financées sur des fonds publics. L’argent de l’Etat assure le financement d’un Programme d’intensification de la céréaliculture (PIC) dans les zones potentielles de production. Cette option a été reconduite dans le cadre du PNDA.Elle implique une série de mesures comme le soutien à la mise en œuvre des itinéraires techniques pour l’intensification de la production céréalière, la protection des revenus des agriculteurs par la stabilisation des prix à la production et l’instauration d’une prime à la collecte des blés (570 et 770 DA respectivement pour les blés dur et tendre livrés aux organismes de stockage, le soutien aux investissements dans la perspective de la modernisation des exploitations agricoles, la réduction des taux de crédit pour la mécanisation des labours et la systématisation des préfinancements entre les agriculteurs et les CCLS pour l’achat des intrants industriels.

Cette politique a-t-elle produit les effets attendus ?
L’analyse faite par ce chercheur sur la période allant de 1998 à 2000 montre que cette démarche n’a pas eu un impact significatif sur la sphère de la production céréalière. Exception faite d’une amélioration substantielle des volumes de blés collectés, les superficies dédiées à la culture des blés ont baissé significativement, alors que les rendements et la production en blés ont évolué de manière erratique. La conséquence en a été un accroissement des importations et une baisse de la part des blés locaux collectés dans l’approvisionnement du marché interne. Ces résultats préliminaires suggèrent la persistance des contraintes ayant entravé l’essor de la production céréalière locale au cours de la période antérieure.

Et l’une des premières contraintes, nous l’avons vu, réside dans la faiblesse de la politique agricole dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle reste fort indigente puisque, à l’exception de l’instrumentation des aides publiques, elle néglige, voire évacue, la nécessité de procéder à des réformes profondes des structures foncières, du secteur de la recherche agronomique et des politiques de financement des exploitations agricoles. Au plan institutionnel, rien de significatif n’a été entrepris dans le sens de la structuration des espaces de concertation et de l’édification d’institutions de coordination et d’évaluation des politiques céréalières projetées. L’Etat a accordé en 1999, 195 millions de dollars en soutien à la filière céréalière. Ce montant est passé à 537 millions de dollars en l’an 2000, ce qui représente un taux d’accroissement de 175 %.

L’essentiel de ces soutiens a été alloué aux primes de collecte. L’appui accordé par l’Etat au secteur agricole n’est pas une spécificité propre à l’Algérie. On la trouve non seulement dans les pays à économie en transition mais aussi dans des pays libéraux exportateurs de céréales. Les subventions agricoles dans l’UE ont été jugées tellement colossales qu’elles ont posé de sérieux problèmes à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’Algérie en négociation avec cette institution multilatérale essaye de placer la barre plus haut pour protéger son secteur agricole. Y réussira-t-elle ?

Par Youcef Salami, La Tribune