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Les dessous du trafic d’embauche : Cas de la SONATRACH

mercredi 12 mai 2004, par nassim

Des cadres syndicalistes, au nombre de 9, ont créé, à partir du patrimoine de Sonatrach, une SPA chargée de la sous-traitance qui, tout en bénéficiant de tous ses marchés de gré à gré avec les différentes divisions de Sonatrach, a procédé au recrutement de quelque 1 500 personnes sur la base d’affiliations parentale et syndicale.

Ce dérapage dans le recrutement est écrit noir sur blanc dans les statuts même de cette entreprise. Deux mois après les dernières émeutes de Ouargla, la jeunesse locale, pour ne pas utiliser le terme d’autochtone, garde toujours sa vision pessimiste et fataliste sur la question de l’emploi.

Pourtant, on est au lendemain d’un important rendez-vous électoral où, généralement, un certain optimisme devrait régner durant une certaine période de grâce. À Ouargla, la wilaya capitale de l’industrie pétrolière du pays, la plupart des jeunes, qu’ils soient diplômés ou non, ont tenté un jour ou l’autre leur chance auprès des entreprises activant en amont et en aval de l’activité des hydrocarbures, en vain. Si au lendemain des évènements de mars dernier, beaucoup a été dit sur les boîtes d’intérim, le voile n’a pas été levé sur de véritables sociétés écrans vivant des mamelles d’une Sonatrach en quête d’un statut. L’une d’elle, El-Fath, est une société de droit privé, créée à partir des fonds et des biens de Sonatrach et dont les bénéfices renflouent chaque année les caisses du syndicat de Sonatrach, pourtant réputée, association à but non lucratif. Un grave abus que même les ex-Républiques communistes n’ont pas connu du temps de la dictature du prolétariat. Tout a commencé quand Mokdad Sifi était à la chefferie du gouvernement.

Il a pris une circulaire favorisant le délestage par les entreprises publiques de leurs activités secondaires au profit de sous-traitants afin de permettre à ces entités, régies par la commercialité, de se concentrer sur leurs métiers de base. Des dizaines d’entreprises sous-traitantes de l’activité para-hôtelière ont ainsi vu le jour, notamment dans le Sud du pays. Cette localisation se justifie par le fait que le Sud, à travers les hydrocarbures, est la seule région du pays enregistrant une croissance économique favorisant la création d’entreprises et d’emplois. Ainsi, en 1997, Sonatrach et dans le cadre de son redéploiement s’est délestée d’une partie de ses activités annexes en créant une autre entité économique autonome, la SPA El-Fath.

Cette entreprise de droit privé a bénéficié des dispositifs d’accompagnement prévus aussi bien par la réglementation que par les us en matière de délestage et d’essaimage.
Constituée en société par actions, ses statuts, adoptés lors de l’assemblée constitutive du 31 août 1997, stipulaient que la nouvelle entité a pour objet principal : “La prise en charge des ayants droit notamment issus du collectif des travailleurs de Sonatrach (décès, retraite, inactivité) et, dans la limite du possible, l’insertion des jeunes chômeurs, selon les possibilités d’emploi, dans les domaines de l’entretien, de la maintenance générale, des travaux liés aux espaces verts, du jardinage, de la maintenance des marchandises et des équipements, le transport des travailleurs, des marchandises et des équipements, l’hôtellerie d’une façon générale, et tout autre activité en relation avec l’objet social”.

Une préférence “syndicale”
Cette préférence pour “la famille syndicale” n’est donc pas le fruit du hasard. Elle découle des statuts de l’EMS El-Fath. Sonatrach, pour des raisons que seule une enquête poussée peut élucider, s’est délestée des activités, objet social d’El-Fath, au syndicat d’entreprise. De la société El-Fath, les jeunes Ouarglis ne se font pas d’illusions. “Il faudrait être le fils d’une personne très influente dans la région, ou avoir des relations très bien placées, pour pouvoir décrocher un poste de travail.” Du haut de ses 25 ans, Malek paraît en avoir 40, le visage sombre et ridé, une démarche nonchalante, il nous explique comment il a été, à de multiples reprises, refoulé des entretiens d’embauche. Las de faire du porte-à-porte, il déplore cette situation et commence à regretter ses cinq années d’études. “El-Fath ? C’est une boucle interminable. Un hna fi hna légalisé”, commente un ex-syndicaliste.
Des membres d’une même famille, sans qualification, venant du Nord où ils ont des affaires commerciales, occupent des postes que les jeunes chômeurs de la région briguent depuis longtemps.

Un cadre d’une institution locale, soucieux de préserver l’anonymat nous a fourni un document plutôt explicite qui porte la liste du personnel de ladite entreprise en affirmant que “les mêmes noms reviennent sans cesse sur cette liste”. En regardant de plus près ledit document, quelle ne fut notre stupeur lorsqu’on découvre que des familles de 5 membres au minimum et 11 au maximum travaillent dans la même entreprise. Plus grave, trois recrues portent le même nom que commissaire aux comptes qui ne devrait avoir aucun lien avec l’entreprise avec laquelle il est lié par un contrat d’audit externe. Interrogé sur cette façon d’opérer, notre interlocuteur rétorque : “Lorsque flen ouled flen vient vous dire : “Je viens de la part de...” on ne peut que céder à cette phrase magique qui, souvent, ouvre des portes à des personnes qui n’ont aucune qualification, mais qu’on engage quand même ala oudjeh bah oulah yemah (pour rendre service à son père ou à sa mère)...”

Des réflexes “ethniques”
Comment est-on arrivé à cette situation ? Des gens venus du Nord se permettent de recruter dans cette région du Sud sur des bases raciales et ethniques dans une Algérie qui garde encore les séquelles de la ségrégation coloniale. L’UGTA, 50 ans après Aïssat Idir, est accusée, à travers ses cadres, d’alimenter la xénophobie entre Algériens.
Juridiquement, El-Fath est une société commerciale constituée par acte notarié par devant notaire. Le jour de la constitution de la société, les 9 actionnaires représentant le propriétaire unique, l’UGTA, ont versé dans le compte de l’entreprise domiciliée dans une banque de Ouargla une somme de 1 500 000 DA. D’où est venu ce montant ? Après investigations, on a pu découvrir que cette somme a été puisée de la subvention affectée aux centres de formation de Sonatrach. Autrement dit, les travailleurs de cette entreprise ont côtisé pour financer une boîte privée.
Comme le délestage a ses justifications économiques, pourquoi ces 1 500 000 de dinars n’ont pas été comptabilisés comme avances de l’entité économique Sonatrach à El-Fath ?

Les 9 membres du conseil d’administration sont devenus représentants de l’employeur, l’UGTA. Or, une circulaire portant la référence n°40/SG/UGTA/03, datée du 22 février 2003, établie par le secrétaire général de l’UGTA, stipule qu’il est “interdit à tout fonctionnaire d’occuper ou de cumuler plusieurs responsabilités. Il est interdit à tout responsable syndical permanent d’être membre d’un conseil de surveillance ou membre d’un conseil d’admnistration d’une entreprise au titre de l’employeur”.
L’entreprise El-Fath a été créée selon les mécanismes du délestage. Ce dernier doit concerner aussi bien les activités que le personnel. Or, tous les membres du conseil d’adminisration d’El-Fath, réputés cadres syndicalistes, ont gardé leur poste bien rémunérés dans d’autres structures de la Sonatrach.

Lors des conseils d’administration, ces syndicalistes employeurs ont, devant eux, les deux représentants de droit des travailleurs (les véritables syndicalistes). C’est du flou, et quand le flou est entretenu, cela ne peut être inconsciemment. Avec l’affaire d’El-Fath, l’UGTA, est prise la main dans le sac. En effet, selon une source au sein d’El-Fath, “l’EMS El-Fath détenait jusqu’à ces derniers temps, le monopole auprès de Sonatrach”. Elle explique que “les contrats conclus avec les différentes branches de Sonatrach sont le fruit de pressions syndicales et face aux pressions du puissant syndicat, les responsables sont obligés de se soumettre”.

Au cours de notre enquête, on est tombé sur un document daté du 20 novembre 1999 sous le numéro 472/99-Hyd et émanant d’un des directeurs généraux adjoints de Sonatrach de l’époque qui demande aux directeurs régionaux (DPR, For) de recourir aux services de l’entreprise EMS SPA. “La coopérative EMS, pilotée par le syndicat national, active dans des domaines de mise à disposition de personnels pour des spécialités qui intéressent la branche hydrocarbures. Je vous demande de recourir aux services de l’EMS, autant de fois se peut (...). Les échos enregistrés à ce jour quant à la qualité de service sont fiables sans oublier que la tarification appliquée est compétitive”, lit-on dans la missive qui rattache à l’EMS El-Fath, au statut de société par actions, le qualificatif de coopérative. Une nuance de taille qui en dit long sur l’illégalité de la démarche.

source : Liberté