Accueil > ECONOMIE > N. Boukrouh : « L’accession à l’OMC vise la modernisation de notre économie »

N. Boukrouh : « L’accession à l’OMC vise la modernisation de notre économie »

jeudi 19 août 2004, par Hassiba

Noureddine Boukrouh, ministre du Commerce en Algérie dans un entretien à la revue Interview.

L’Algérie est en pleine négociation en vue de son adhésion à l’OMC. Quelle approche faites-vous du sujet ?
L’accession de notre pays à l’Organisation mondiale du commerce n’est pas une fin en soi. Elle constitue un élément déterminant de notre stratégie visant la modernisation de notre économie et la poursuite de notre développement. Il s’agit pour nous de parachever les réformes en cours, de construire un appareil de production compétitif et efficace, et d’installer un système de gestion débarrassé des rigidités bureaucratiques. L’intégration de notre économie dans le marché international permettra également la modernisation de notre politique commerciale car elle constitue une opportunité à saisir en termes de maîtrise des règles et mécanismes du commerce international, d’autant plus que ces règles sont universelles, et que ce sont ces mêmes règles qui régissent les relations commerciales dans les ensembles régionaux auxquels nous appartenons naturellement (zone de libre échange avec l’UE, zone de libre échange arabe, association européenne de libre échange, UMA), même si notre adhésion formelle à ces espaces a tardé ou tarde à se faire. Cette modernisation et cette libéralisation de la sphère économique sont conduites au bénéfice de nos entreprises qui évolueront dans un environnement assaini, transparent, sûr et prévisible, leur permettant de s’inscrire dans une dynamique de croissance, de diversification et de conquête de parts de marchés extérieurs.

En effet, si l’adhésion à l’OMC signifie la négociation de l’accès à notre marché pour les pays membres, elle implique également l’accès des biens et services nationaux aux marchés de ces pays. Ceci est essentiel, même si nous regardons l’OMC actuellement avec les yeux de producteurs débutants, inquiets d’abord pour leurs parts de marché chez eux, sur leur marché local. Il faut également noter que l’accession à l’OMC va bénéficier aux 30 millions de consommateurs algériens qui auront un choix plus diversifié de produits et services à la faveur d’un cadre de saine et loyale concurrence, synonyme d’une meilleure qualité, d’un meilleur coût et donc d’un meilleur pouvoir d’achat.

Même les inputs des entreprises locales baisseront, ce qui augmentera leur compétitivité. Enfin, je dois rappeler que nous sommes un des rares pays au inonde à n’adhérer à aucune organisation internationale spécialisée, en tout cas de celles qui pèsent sur l’économie mondiale. C’est en soi un fait anormal. A titre d’exemple, 41 pays africains, parmi lesquels les PMA, sont déjà membres de l’OMC et la plupart d’entre eux appartiennent à des zones de libre échange régionales et à des zones monétaires.

Le marché informel pénalise les efforts des opérateurs nationaux. Quelles sont les mesures prises pour mettre un terme à cette situation ?
Actuellement, c’est tout un ensemble d’entreprises qui subit la pression du marché informel sur le double plan de la rupture des conditions de transparence, élément essentiel dans le jeu de la concurrence, et des pratiques déloyales, dont la première d’entre-elles est liée à la fiscalité. En effet, en s’affranchissant des obligations générales mises à la charge de tous les professionnels, les acteurs du marché informel perturbent le marché en se plaçant dans une situation anormalement favorable vis-à-vis des concurrents. Un recensement a permis de dénombrer plus de 700 marchés informels couvrant près de 2,7 millions de m2 où activent plus de 100 000 intervenants. Il y a lieu de préciser que cette population est composée essentiellement de jeunes chômeurs et d’anciens employés d’entreprises publiques dissoutes. Ces marchés se répartissent en marchés quotidiens et hebdomadaires pour respectivement 70 et 30%. Leur fonctionnement se caractérise par un certain nombre d’anomalies et de dysfonctionnement connus de tous et qu’il est inutile de rappeler.

De plus, l’attitude souvent passive des autorités locales et la faible assistance des services de sécurité lors des opérations de contrôle annihilent les efforts déployés par nos services pour l’assainissement et l’encadrement des marchés recensés. Malgré ce constat, les services du ministère du Commerce ont été instruits à l’effet de persévérer dans la contribution à l’insertion de ces espaces dans un cadre organisé par la sensibilisation des parties concernées (APC, daïras, services des impôts, associations professionnelles). C’est ainsi que ces actions se sont soldées par la réinsertion dans le circuit légal de 8 000 intervenants qui ont bénéficié de locaux commerciaux ou de carreaux de vente et de leur inscription au registre du commerce. Par ailleurs, les différentes enquêtes sectorielles ainsi que l’observation du fonctionnement du marché montrent que les activités informelles concernent la plupart des secteurs économiques et, en particulier l’agriculture, l’industrie manufacturière, les services, les devises convertibles et le commerce extérieur.

Ces marchés propices à une expression positive de la concurrence fonctionnent pourtant en dehors des règles de transparence et de fluidité de l’information, caractéristiques essentielles d’une économie de marché. Le marché informel est surtout présent sinon dominant dans les circuits de distribution par la multiplication d’intermédiaires et de mandataires et par la constitution de réseaux informels de revente de produits, même en accaparant sans autorisation le domaine public. Pour dépasser cette situation préjudiciable à l’économie nationale, le ministère du Commerce a engagé un train de réformes législatives visant l’assainissement de l’environnement économique pour restituer au marché son véritable rôle. Cette réforme s’articule autour des principaux textes de lois relatifs à la concurrence, dont l’objectif est la promotion et la protection du marché ; aux pratiques commerciales visant à instaurer la loyauté et la transparence dans les transactions commerciales, au registre du commerce et aux conditions d’exercice des activités commerciales pour renforcer le principe constitutionnel de liberté de commerce et d’industrie, facilitant notamment l’obtention du registre du commerce. Il reste que l’assainissement de l’environnement économique et la résorption de la sphère informelle n’est pas uniquement l’affaire des services du ministère du Commerce. D’autres parties interviennent aussi dans cette opération et c’est la conjugaison des efforts de tous qui permettra graduellement de revenir à une situation normale.

Les indicateurs macroéconomiques fondamentaux qui placent le pays à l’abri des retournements conjoncturels favorisent les investissements. Qu’en pensez-vous ?
Certes, les indicateurs macroéconomiques favorisent en partie les investissements, mais cela ne suffit pas car l’environnement économique, social et politique du pays constitue une des conditions essentielles pour assurer leur réalisation. En effet, l’investisseur minimise le risque au maximum, l’investissement étant lui-même un pari sur l’avenir. Il a donc besoin d’un pays stable politiquement qui lui assure la pérennité de son investissement avec le transfert des gains réalisés et éventuellement du capital investi et d’un environnement économique stabilisé qui lui permet d’inscrire son projet dans le long terme. Ces deux conditions doivent être complétées par un cadre législatif et réglementaire incitatif qui attire les investisseurs. Pratiquement tous les pays offrent des facilitations et des conditions favorables pour l’implantation des entreprises et pour la réalisation de projets d’investissement sur leur territoire.

Selon le CNES, le plan de soutien à la relance économique, grâce à l’épargne financière, vise à combattre la pauvreté et l’exclusion sociale. Quel est votre commentaire ?
En effet, le plan de soutien à la relance économique, par les moyens financiers conséquents mobilisés pour la réalisation de nombreux projets, vise à améliorer les conditions de vie des populations.
Il ambitionne également de combattre la pauvreté et l’exclusion sociale car il contribue dans une large mesure à la satisfaction de leurs besoins essentiels, notamment par la mise à leur disposition d’infrastructures de communications et de télécommunications, de santé publique, d’hydraulique et de logements.

Cependant, les intervenants de cette grande entreprise devront faire preuve de beaucoup de rigueur et de sérieux dans le suivi et la réalisation de tous ces projets envisagés qui peut faire renaître l’espoir chez le citoyen.

Quelle sera votre conclusion, monsieur le ministre ?
Pour conclure, je dirai que le choix d’une économie de marché libre et ouverte sur l’extérieur impose de nouvelles responsabilités au ministère du Commerce.
Ces nouvelles responsabilités n’ont plus rien à voir avec celles longtemps exercées par le passé et qui consistaient à gérer le monopole de l’Etat sur le commerce extérieur et à administrer le commerce intérieur. Au ministère du Commerce, nous avons désormais la volonté de nous mettre au service de l’ouverture de notre économie au commerce international et à la coopération économique ; des entreprises ; des consommateurs et des citoyens. L’ouverture de notre économie sur le commerce international nous impose au moins deux exigences : conduire à bien, dans les meilleurs délais et aux meilleures conditions possibles, le processus d’accession de notre pays à l’OMC.
Cette accession implique la mise en conformité de notre réglementation, la rénovation de notre dispositif d’appui aux exportations hors hydrocarbures. Il s’agira de mettre en place une nouvelle politique plus réaliste d’appui aux exportations et de diversification de nos revenus extérieurs.

Nous mettre au service des entreprises, c’est soutenir leur développement et leur compétitivité en procédant à l’assainissement et à l’allégement du cadre réglementaire relatif à la création et au fonctionnement des entreprises ; en veillant à renforcer la concurrence et la transparence sur le marché des biens et services. Enfin nous mettre au service de consommateurs et des citoyens c’est, en premier lieu, améliorer le cadre juridique relatif à la qualité de produits et à la protection de consommateurs ; en second lieu, renforcer la communication et l’information relative à la qualité des produits et aux droits des consommateurs. C’est une mission de pédagogie citoyenne que nous devons promouvoir en mobilisant et en renforçant la communication avec les associations des consommateurs ; en troisième lieu, renforcer la présence du ministère du Commerce sur le terrain et rendre plus efficace notre action de contrôle économique et répression des fraudes pour réduire les pratiques illégales et le commerce informe qui, je le rappelle, portent atteinte aux intérêts de l’Etat, à la sécurité et à la santé des consommateurs.

Par la revue Interview, La Nouvelle République