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Les comptes à faire peur du déficit américain

lundi 18 avril 2005, par nassim

Devant l’ampleur du déficit américain, le G7, le FMI et la Banque mondiale n’hésitent plus à envisager un scénario de crise.

C’est un peu comme si les grands argentiers de la planète avaient soudain réalisé l’ampleur de la menace. La profondeur abyssale des déficits américains ressemble à une bombe économique à retardement. Impossible de prévoir le moment de la déflagration, mais, si elle n’est pas désamorcée à temps, elle finira par exploser. Au point de gripper la croissance mondiale. Réunis ce week-end à Washington, en marge des assemblées de printemps de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), les ministres des Finances des sept pays les plus riches (G7) se forcent à être confiants, garantissant une croissance mondiale de 4,3 %, après 5,1 % l’an passé. Mais ils n’hésitent plus à évoquer les menaces qui pèsent sur cette croissance. Notamment lorsqu’ils parlent des déficits commerciaux des Etats-Unis qui ont atteint le chiffre record de 666 milliards de dollars (5,7 % du PIB américain).

Flexibilité. « Si les politiques économiques ne s’adaptent pas pour réagir à ces déséquilibres, nous courons le risque d’une correction abrupte des marchés à un moment où, pour diverses raisons, la confiance pourrait s’évaporer », a déclaré samedi Rodrigo Rato, le directeur général du FMI. Certes, ce dernier a évoqué une croissance européenne ou japonaise trop atone, insistant sur le fait que ces pays devraient engager des réformes structurelles pour introduire toujours plus de flexibilité. Mais jamais le patron du FMI n’avait tant insisté sur la situation économique américaine. Même la Banque mondiale estime que les Etats-Unis ne pourront vivre indéfiniment à crédit. « La correction a déjà commencé, souligne un haut fonctionnaire européen. La chute du dollar face à l’euro en est un premier signe. En un an, l’euro est passé de 1 dollar à plus de 1,30. La dégringolade est telle que les produits made in USA bénéficient d’un discount de plus de 30 %. »

Jusqu’ici, les Etats-Unis ont fait financer leur croissance par le reste du monde. Comment a fonctionné cette exception économique ? Petit retour en arrière. A la fin des années 90, les Etats-Unis vivent au rythme de la « nouvelle économie ». Et le monde entier veut profiter d’une économie qui produit des taux de rendement hors normes. Mais, en 2001, ceux qui avaient placé leur argent à Wall Street déchantent. Les Etats-Unis n’ont pas inventé le mouvement perpétuel de la croissance. Pire : ils assistent à l’éclatement de la bulle Internet. Et au coup de frein radical qui suit le 11 septembre 2001. Les scandales financiers (WorldCom, Enron) achèvent le tableau noir.

Bons du Trésor. Pour relancer la machine, l’administration Bush met en place un programme massif de réduction d’impôt et un accroissement des dépenses publiques. Une politique fiscale qui creuse le déficit budgétaire, sur fond de déficit extérieur. Les spécialistes parlent alors de « déficits jumeaux ». Parallèlement, depuis 2001, l’Etat émet des bons du Trésor américains pour financer son déficit budgétaire. Les banques centrales asiatiques ­ dont les caisses regorgent de dollars accumulés grâce aux exportations ­ achètent ces bons. Selon le Trésor américain, le Japon détenait, en 2004, 720 milliards de dollars de bons du Trésor, soit un tiers de la dette américaine.

Or, que se passerait-il si la Chine, le Japon ou d’autres pays décidaient de rééquilibrer leur portefeuille au profit de l’euro ? C’est cette question que commencent à se poser de nombreux experts. Dans la version la plus catastrophique, le billet vert continuerait sa glissade, quand l’euro lui continuerait à grimper sous l’effet d’une demande monétaire plus forte. Paul Krugman, l’un des économistes américains les plus écoutés, a déjà noté un fléchissement des flux de dollars vers les Etats-Unis.

Or, pour maintenir son train de vie, l’Amérique sera tentée d’augmenter les taux d’intérêt des bons du Trésor ou du dollar afin de les rendre plus attractifs. Ce que le patron de la Banque centrale américaine a déjà fait cinq fois en deux ans.

Cigales et fourmis. « Le résultat serait catastrophique pour les économies développées. Mais surtout pour les pays en développement, dont la dette est libellée en dollars et à taux variables », confiait récemment François Bourguignon, l’économiste en chef de la Banque mondiale. Les plus optimistes estiment que ce scénario catastrophe est avant tout théorique. Les Etats-Unis expliquent que l’accumulation de déficits n’est pas seulement due aux cigales américaines. C’est aussi l’oeuvre des fourmis européennes et japonaises qui ne consomment pas assez américain.

Par Vittorio DE FILIPPIS, liberation.fr