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Extrait de Rupture de Claire Marin

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  • Extrait de Rupture de Claire Marin

    Il faut parfois rompre pour « se sauver », c’est-à-dire à la fois fuir et sauver sa peau, se sauver en
    rompant avec ce qui menace ou empêche d’exister. Cela peut être les autres, mais aussi parfois soi-
    même, qui me censure, me bride. Il faut alors créer, par la rupture, les conditions d’apparition et de
    réalisation de soi. Rompre pour révéler la personne que l’on veut être, pour exister en première
    personne et non plus comme une marionnette ou un fétiche. Assumer son identité dans ce qu’elle peut
    avoir de dérangeant, de décevant ou d’impossible au regard des autres et particulièrement des proches.
    Faire le pari d’un devenir autre, dont les conditions d’émergence exigent la rupture.
    Mais que se passe-t-il lorsque la rupture est involontaire, subie, vécue sur le mode de l’accident, de la
    catastrophe ou de la tragédie ? Ce que l’on nomme parfois des « parenthèses de l’existence » – la
    maladie, la dépression, le deuil – n’en sont pas ; elles engendrent le plus souvent une modification
    profonde de la manière de penser et de vivre. Elles sont en elles-mêmes un principe de rupture, que je
    peux reconnaître, revendiquer, dans l’optique d’une nouvelle vie, comme si cette épreuve du feu m’avait
    purifié, débarrassé des scories de l’existence, mais que je peux aussi nier et refermer comme une
    expérience sans conséquence. Dossier clos, affaire classée sans suite. Mais la faille que le drame a fait
    apparaître continue de s’élargir en silence et les fêlures de chacun sont les prémisses des ruptures à
    venir. L’enfant blessé fragilise l’adulte qu’il deviendra.
    Si certains événements provoquent les ruptures, peut-être n’en sont-ils que le déclencheur ou le
    prétexte ? La fêlure intime n’était-elle pas déjà là depuis longtemps, prête à se propager et à faire éclater
    l’unité du moi ?
    On évoque souvent le nouveau sujet qui surgit d’une rupture existentielle comme un diable hors de sa
    boîte. On parle de « renaissance », de « nouveau départ ». Les expressions ne manquent pas pour exalter
    cette seconde chance donnée au sujet d’être plus intensément ou plus authentiquement lui-même.
    Comme si la rupture permettait de s’approcher de soi, d’un soi véritable dont la société, la famille, le
    monde nous avait éloignés. Dans cette dialectique positive où la rupture nous révèle à nous-mêmes, il y
    a peut-être une illusion fondamentale. On suppose en effet qu’il existe quelque chose comme un « soi »,
    une identité vraie, celle de l’accomplissement, celle dans laquelle le sujet se réalise dans sa singularité,
    exprime son individualité, la déploie. Mais cette « nouvelle vie », cette métamorphose du sujet est-elle
    autre chose qu’une consolation, une reconstruction a posteriori nécessaire pour supporter le drame,
    pour donner un sens à l’absurdité de la mort, de la maladie, de l’accident ?
    L’idée de la rupture révélatrice présuppose l’existence d’une esquisse d’être, d’une essence à actualiser,
    d’une vocation, d’une destinée. La rupture me permettrait d’atteindre le cœur de mon identité, dans la
    mise à l’épreuve. La douleur aurait un sens et chacun d’entre nous une identité propre. Mais suis-je
    autre chose que ces ruptures elles-mêmes ? Ne suis-je pas seulement l’effet d’accidents, de hasards,
    modelés par le monde extérieur ? N’est-ce pas la somme de ces petites ruptures incessantes et
    inaperçues qui me font devenir tel que je suis ? Nous serions alors plus « rompus » que « rompant »,
    passifs et subissant les fractures de nos existences qui redessinent nos vies.
    Mais qu’est-ce qu’être rompu ? Suis-je seulement passif quand je subis ce coup, quand je supporte cette
    déchirure ? Suis-je si faible quand j’endure ? Le dictionnaire est ici plus précieux que les ouvrages de
    développement personnel. Il nous rappelle que l’on est aussi « rompu à ». Quelque chose en nous
    résiste à l’anéantissement dans l’épreuve de la rupture. L’être « rompu à » découvre sa puissance de
    résistance. Ce que je supporte dit quelque chose de ma force. Reste à comprendre pourquoi certains
    cèdent et s’effondrent sous la violence de l’arrachement là où d’autres s’étonnent de rester vivants,
    même amputés d’une partie de leur vie ? Qu’est-ce qui fait que je suis brisé ou au contraire renforcé par
    l’épreuve ? Que pouvons-nous faire de nos ruptures ? Et que font-elles de nous ?
    Après Nietzsche et Kierkegaard, faut-il encore penser la rupture ? Oui, sans doute, parce qu’elle a
    changé de forme, parce qu’elle est plus présente, parce qu’elle pourrait être la forme nouvelle ou à venir
    de notre existence, en général. Peut-être sommes-nous entrés dans une époque de la rupture ou un
    moment de rupture. Sur le plan écologique et donc économique et politique, il nous faut repenser de
    manière urgente nos façons de vivre, de communiquer, de nous déplacer, notre habitude de nous
    accaparer les richesses et cesser de nier l’épuisement des ressources auquel ce comportement nous
    conduit. Assumer la rupture serait alors la preuve de la maturité, face à la nécessité d’un changement
    vital, que ce soit sur le plan d’une existence individuelle ou de la survie collective. Elle exprimerait la
    prise de conscience de nos responsabilités. Mais il faut aussi intégrer intellectuellement l’idée d’un
    changement nécessaire, d’une catastrophe à venir et arrêter de croire à une permanence du monde, une
    recréation indéfinie de la nature. Accepter que la configuration n’est plus celle de la cyclité, mais que
    nous sommes face à un moment de rupture écologique. Cela demande de travailler sur notre tendance
    spontanée au déni face à la perspective des grandes ruptures que sont l’altération (altération de la nature
    ou des hommes) ou la perte définitive. Il faut affronter nos grandes peurs et réfléchir à une pédagogie
    de la rupture.
    Mais nous sommes aussi dans un moment de rupture, parce que celle-ci s’est inscrite depuis plusieurs
    décennies dans l’horizon quotidien, en s’articulant (trompeusement?) à une certaine idée de la liberté –
    ou du caprice et de l’inconstance : les couples tanguent, les familles se recomposent, comme dans un
    jeu de cartes, minimisant la douleur de la rupture et sa gravité. On pourrait se séparer dans le
    « consentement ». La rupture, devenue statistique banale, dirait quelque chose de l’individualisme et des
    revendications de chacun au « bonheur » et à l’« épanouissement ». Dans l’univers du travail, changer de
    paradigme, notamment sous l’influence des innovations technologiques, est devenu le critère d’une
    sorte de sélection naturelle. Le temps de publier cet ouvrage et les exemples que l’on pourrait donner
    de mutations technologiques seront déjà obsolètes. S’adapter, être flexible, nomade, sans attaches.
    Passer d’un schéma de compréhension à un autre. Inventer de nouveaux codes pour interpréter et
    surtout rentabiliser le monde. Mais aussi lâcher du lest, se débarrasser de ce qui nous ralentit, de ceux
    qui ne suivent pas le rythme. Les ruptures de notre époque sont sans pitié.

    Claire Marin, Rupture(s) (2019)

  • #2
    Interpellant !

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    • #3
      Très agréable à lire

      Merci du partage TGW



      Oui , la rupture s'avère souvent être "the solution"
      « Celui qui ne sait pas hurler , Jamais ne trouvera sa bande " CPE

      Commentaire


      • #4
        Pj
        Bonsoir
        🙂

        Je ressens plutôt le côté imposé de la "rupture" en tout domaine
        Elle devient la norme
        La pérennité devient une notion abstraite

        Les humains doivent abandonner la quête du toujours pour se concentrer sur le 1 jour
        Le 1er jour qui sera aussi le dernier 😉

        Commentaire


        • #5
          la rupture s'avère souvent être "the solution"
          premierJour,

          Reste à définir la nuance de rupture parmi celles évoquées par l'auteure.

          Commentaire


          • #6
            Ha Ha Ha tu veux dire ce concentrer sur PJ ?



            je relirais après le texte de Tiregwa





            En attendant Meilleurs voeux de santé de joie et de tout ce qui est bien pour vous toutes et tous

            Commentaire


            • #7
              Le 1er jour qui sera aussi le dernier ��
              Nessie

              Mais quel est donc cet aphorisme ?
              Explique moi si tu veux...

              Commentaire


              • #8
                Tiregwa

                Tentative de jeu de mots
                Tout devient éphémère
                Comme les Vanessas d'ailleurs

                Ne durant qu'un jour
                Le 1er devient le dernier

                Et clin d'oeil à PJ

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                • #9
                  Aloha,
                  J'attends ta contribution d'expert

                  Commentaire


                  • #10
                    Nessie,
                    Je suis de ceux qui pensent que ce qui est important dure et toujours... C comme qd on éternue

                    Ps : ce texte est un support de sujet...

                    Commentaire


                    • #11
                      Support de sujet de quoi ?
                      Ce texte traite un sujet
                      Chacun y lit ce qu'il veut
                      Ou comprend
                      Ou plutôt ce qu'il est capable de comprendre
                      On peut en réduire la portée
                      Ou mener la réflexion le plus loin possible

                      Et important
                      Cela ne veut rien dire en soi

                      J'adhère plutôt à la vision de cette Claire Marin que je ne connais pas

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                      • #12
                        Nessie,
                        voici ce qui est demandé

                        1. Vous résumerez le texte en 100 mots (+ ou – 10%) en faisant apparaître une double
                        barre tous les 50 mots et en indiquant le total à la fin de votre texte.
                        2. « Ce que je supporte dit quelque chose de ma force » : En quoi cette formule définit-
                        elle la force de vivre ? Analysez cette citation, expliquez-la, puis discutez-la à l'aide des
                        œuvres au programme.
                        bio de l'auteure
                        Né (e) à : Paris , le 14/11/1974. Biographie : Claire Marin est une écrivaine et philosophe française. Claire Marin est ancienne élève de l'ENS, docteur en philosophie et professeur agrégé au lycée Ionesco d'Issy-les-Moulineaux. "Hors de moi", son premier roman, reçoit le Prix Littéraire de l’Académie de Médecine et le Prix Jean Bernard.

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                        • #13
                          Merci
                          Mais je suis capable de trouver seule

                          Commentaire


                          • #14
                            Mon ami et frère Tiregwa



                            je n'ai jamais aimé les ruptures et les accidents

                            j'aime les transitions naturelles et douces

                            mais je discuterais cela

                            certains arrachent des feuilles ou accumulent moi je suis toujours émerveillé par l'imprévu et le continue qui en réalité est discontinu si l'on regarde bien

                            rupture, onde de choc ou boum dans la joie oui mais pas dans le drame

                            telle est ma perception ... certes lorsque cela s'impose à moi je continue ma vie avec ... je n'y peux rien mais je déteste les ruptures

                            Commentaire


                            • #15
                              je sais pas trop de quoi il s'agit

                              mais le peu que j'ai compris ...c'est qu'il y'a rupture et rupture

                              le première est bénéfique pour se reconstruire et prendre un nouveau départ , parce que c'est une délivrance quand le mal-être commence à s'installer

                              et rupture forcée
                              quand on a rien demandé , c'est le plus difficile a vivre , parce que c'est une part de nous qui meurt , quand il s'agit de surmonter un deuil

                              le premier est fructueux
                              et le second est dévastateur

                              et allah alam
                              "N'imitez rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient un singe." Victor Hugo

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