suite
Lorsque la première nouvelle de cette épouvantable défaite fut connue à Alger, la populace indignée vint assiéger, en hurlant, les portes de la Casbah, demandant la déposition du dey, sa mort, son supplice, car elle rendait responsable le chef de l’odjak du désastre de la journée. En même temps une multitude de janissaires, débouchant par les petites rues qui avoisinent la Casbah, chargés de têtes, d’armes et d’uniformes de soldats français, venaient demander le prix de leurs trophées. Mais les portes de la Casbah ne s’ouvrirent ni pour les mutins ni pour les faux braves; Ibrahim Aga, seul, fut introduit. C’était lui qui avait conseillé au pacha de laisser débarquer les Français, « afin que pas un seul d’entre eux ne retournât dans sa patrie. » Un rapport adressé par lui à son beau-père, et qui fut trouvé parmi les papiers de ce dernier, atteste cette rodomontade. « Ces infidèles écrivait-il, veulent, je crois, nous attaquer par terre. S’ils débarquent, ils périront tous. » Maintenant, le front bas et la rougeur au visage, ce farouche exterminateur venait rendre compte de sa délaite. Il aborda le dey avec la contenance troublée et inquiète d’un criminel qui comparaît devant son juge.
« Eh bien ! s’écria Hussein, d’une voix tremblante de colère, d’aussi loin qu’il aperçut son gendre, quelles nouvelles apporte notre invincible aga ? Les Français ont sans doute regagné leurs navires, à moins qu’il ne les ait précipités à la mer, ainsi qu’il nous l’a promis tant de fois. La Casbah sera-t-elle assez vaste pour contenir leurs dépouilles, et les bagnes assez grands pour enfermer tous les esclaves ? »
Terrifié par cette sanglante ironie, l’aga gardait un morne silence.
« — Parle donc ! Parle, lui disait le pacha. Est-il vrai que mon gendre, le généralissime de notre sainte milice, ait pris honteusement la fuite devant cette armée d’infidèles ?
— Eh que voulais-tu donc que je fisse? répondit enfin l’aga avec effort. Trois fois je me suis précipité avec rage contre ces chrétiens maudits, et toujours ils sont restés inébranlables. Par Allah ! Il faut qu’un puissant génie les protège, ou qu’on les ait ferrés les uns aux autres. »(En effet, l’aspect de nos lignes toujours compactes, que ne pouvaient rompre ni le feu des tirailleurs, ni les charges de la cavalerie, firent dire aux Arabes que le sultan de France avait enchaîné ses soldats pour les empêcher de prendre la fuite. Le dey lui-même partageait cette croyance.)
Loin de s’apaiser par cette excuse, la fureur du dey, jusque-là concentrée, éclata en terribles injures.
« Chien, esclave, poltron! s’écria-t-il avec rage, en s’élançant contre l’aga, et en lui crachant au visage ; va t-en, sors de ma présence, misérable. Si tu n’étais l’époux de ma fille, je te ferais à l’instant précipiter sur les ganches. » Ibrahim, atterré, s’inclina respectueusement et alla cacher sa honte au fond de sa villa mauresque, où il ne tarda pas à recevoir l’avis de sa grâce, obtenue par l’intercession de sa femme, toute-puissante sur l’esprit du dey.
Maîtres de la position de Staouëli, les Français s’empressèrent de la fortifier. Le général La Hitte avait résolu de concentrer sur ce point tout le matériel de siége nécessaire à l’attaque du château de l’Empereur; en conséquence, une route spacieuse fut ouverte pour relier le nouveau camp à la presqu’île de Sidi Ferruch ; des blockhaus et des redoutes, placés à de courtes distances, protégèrent à la fois le chemin et la station; enfin, un télégraphe, qui correspondait avec Sidi Ferruch et le vaisseau la Provence, compléta notre.
Prise de possession. L’absence du matériel de siège, de la cavalerie et des chevaux de trait, imposait au général en chef la plus grande circonspection. En pénétrant plus avant dans le pays, sans cavalerie et sans moyens de transports, il craignait que ses communications avec la presqu’île ne fussent coupées et que l’armée ne se trouvât exposée à manquer de vivres et de munitions.
Le 22 juin, l’artillerie de siège et tout ce qu’on avait embarqué sur la première et la seconde section du convoi était rassemblé dans la presqu’île, ainsi que les trois escadrons de cavalerie. Le 23, la troisième section, où se trouvaient les chevaux de parc, était en vue; mais une brise d’ouest et le courant, qui sur cette côte règne constamment dans la même direction, l’avaient poussée vers l’est et la tenaient à huit lieues du mouillage.
Ces retards rendirent de nouveau le courage aux Arabes. Ibrahim Aga, qui malgré sa défaite avait conservé le commandement en chef des forces algériennes, se remit à la tête des troupes régulières, rallia les Bédouins qui s’étaient dispersés après la bataille de Staouëli, et se disposa à reprendre l’offensive. Pendant quelques jours, ce ne fut que tirailleries et escarmouches continuelles, qui fatiguaient au dernier point nos soldats. Enfin, le 24 au matin, on vit les Turcs, au nombre de huit mille environ, escortés d’innombrables bandes de Bédouins, couronner les collines qui terminent à l’est la plaine de Staouëli, puis descendre en assez bon ordre, et présenter une ligne de bataille fort étendue. Dès que les premiers feux d’avant-poste furent engagés, le générai en chef, voulant faire cesser ce genre de combat dans lequel nos pertes étaient presque toujours égales sinon supérieures à celles de l’ennemi, ordonna au général Berthezène de se porter avec ses trois brigades et une batterie de campagne sur la route d’Alger. L’attaque de la droite fut confiée au général Damrémont ; le général Loverdo resta dans le camp avec les deuxième et troisième brigades de sa division.
Lorsque la première nouvelle de cette épouvantable défaite fut connue à Alger, la populace indignée vint assiéger, en hurlant, les portes de la Casbah, demandant la déposition du dey, sa mort, son supplice, car elle rendait responsable le chef de l’odjak du désastre de la journée. En même temps une multitude de janissaires, débouchant par les petites rues qui avoisinent la Casbah, chargés de têtes, d’armes et d’uniformes de soldats français, venaient demander le prix de leurs trophées. Mais les portes de la Casbah ne s’ouvrirent ni pour les mutins ni pour les faux braves; Ibrahim Aga, seul, fut introduit. C’était lui qui avait conseillé au pacha de laisser débarquer les Français, « afin que pas un seul d’entre eux ne retournât dans sa patrie. » Un rapport adressé par lui à son beau-père, et qui fut trouvé parmi les papiers de ce dernier, atteste cette rodomontade. « Ces infidèles écrivait-il, veulent, je crois, nous attaquer par terre. S’ils débarquent, ils périront tous. » Maintenant, le front bas et la rougeur au visage, ce farouche exterminateur venait rendre compte de sa délaite. Il aborda le dey avec la contenance troublée et inquiète d’un criminel qui comparaît devant son juge.
« Eh bien ! s’écria Hussein, d’une voix tremblante de colère, d’aussi loin qu’il aperçut son gendre, quelles nouvelles apporte notre invincible aga ? Les Français ont sans doute regagné leurs navires, à moins qu’il ne les ait précipités à la mer, ainsi qu’il nous l’a promis tant de fois. La Casbah sera-t-elle assez vaste pour contenir leurs dépouilles, et les bagnes assez grands pour enfermer tous les esclaves ? »
Terrifié par cette sanglante ironie, l’aga gardait un morne silence.
« — Parle donc ! Parle, lui disait le pacha. Est-il vrai que mon gendre, le généralissime de notre sainte milice, ait pris honteusement la fuite devant cette armée d’infidèles ?
— Eh que voulais-tu donc que je fisse? répondit enfin l’aga avec effort. Trois fois je me suis précipité avec rage contre ces chrétiens maudits, et toujours ils sont restés inébranlables. Par Allah ! Il faut qu’un puissant génie les protège, ou qu’on les ait ferrés les uns aux autres. »(En effet, l’aspect de nos lignes toujours compactes, que ne pouvaient rompre ni le feu des tirailleurs, ni les charges de la cavalerie, firent dire aux Arabes que le sultan de France avait enchaîné ses soldats pour les empêcher de prendre la fuite. Le dey lui-même partageait cette croyance.)
Loin de s’apaiser par cette excuse, la fureur du dey, jusque-là concentrée, éclata en terribles injures.
« Chien, esclave, poltron! s’écria-t-il avec rage, en s’élançant contre l’aga, et en lui crachant au visage ; va t-en, sors de ma présence, misérable. Si tu n’étais l’époux de ma fille, je te ferais à l’instant précipiter sur les ganches. » Ibrahim, atterré, s’inclina respectueusement et alla cacher sa honte au fond de sa villa mauresque, où il ne tarda pas à recevoir l’avis de sa grâce, obtenue par l’intercession de sa femme, toute-puissante sur l’esprit du dey.
Maîtres de la position de Staouëli, les Français s’empressèrent de la fortifier. Le général La Hitte avait résolu de concentrer sur ce point tout le matériel de siége nécessaire à l’attaque du château de l’Empereur; en conséquence, une route spacieuse fut ouverte pour relier le nouveau camp à la presqu’île de Sidi Ferruch ; des blockhaus et des redoutes, placés à de courtes distances, protégèrent à la fois le chemin et la station; enfin, un télégraphe, qui correspondait avec Sidi Ferruch et le vaisseau la Provence, compléta notre.
Prise de possession. L’absence du matériel de siège, de la cavalerie et des chevaux de trait, imposait au général en chef la plus grande circonspection. En pénétrant plus avant dans le pays, sans cavalerie et sans moyens de transports, il craignait que ses communications avec la presqu’île ne fussent coupées et que l’armée ne se trouvât exposée à manquer de vivres et de munitions.
Le 22 juin, l’artillerie de siège et tout ce qu’on avait embarqué sur la première et la seconde section du convoi était rassemblé dans la presqu’île, ainsi que les trois escadrons de cavalerie. Le 23, la troisième section, où se trouvaient les chevaux de parc, était en vue; mais une brise d’ouest et le courant, qui sur cette côte règne constamment dans la même direction, l’avaient poussée vers l’est et la tenaient à huit lieues du mouillage.
Ces retards rendirent de nouveau le courage aux Arabes. Ibrahim Aga, qui malgré sa défaite avait conservé le commandement en chef des forces algériennes, se remit à la tête des troupes régulières, rallia les Bédouins qui s’étaient dispersés après la bataille de Staouëli, et se disposa à reprendre l’offensive. Pendant quelques jours, ce ne fut que tirailleries et escarmouches continuelles, qui fatiguaient au dernier point nos soldats. Enfin, le 24 au matin, on vit les Turcs, au nombre de huit mille environ, escortés d’innombrables bandes de Bédouins, couronner les collines qui terminent à l’est la plaine de Staouëli, puis descendre en assez bon ordre, et présenter une ligne de bataille fort étendue. Dès que les premiers feux d’avant-poste furent engagés, le générai en chef, voulant faire cesser ce genre de combat dans lequel nos pertes étaient presque toujours égales sinon supérieures à celles de l’ennemi, ordonna au général Berthezène de se porter avec ses trois brigades et une batterie de campagne sur la route d’Alger. L’attaque de la droite fut confiée au général Damrémont ; le général Loverdo resta dans le camp avec les deuxième et troisième brigades de sa division.


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