« Un jour, des millions d'hommes quitteront l'hémisphère Sud pour aller dans l'hémisphère Nord. Et ils n'iront pas là-bas en tant qu'amis. Parce qu'ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire. » Houari Boumediene
Quelle plus belle phrase prophétique qui s'accorde parfaitement avec la situation des damnés de la Terre poussés à « s'évader » de chez eux fuyant la misère, le manque de perspectives. On a tout dit de Boumediene, qu'il fut un sanguinaire qui s'est débarrassé de tous ceux qui lui barraient la route pour prendre le pouvoir. Qu'il était planqué dans l'armée des frontières et qu'à l'ombre de son pouvoir, la corruption s'est développée et est devenue une science exacte.
Voilà trente-trois ans que Houari Boumediene est mort, un âge de raison qui n'a pas pour autant éteint la vindicte à son encontre et dans le même temps la fascination qu'il exerçait sur ceux qui ont travaillé avec lui. En fait, une analyse objective de son parcours ambivalent nous fait découvrir plusieurs personnages complexes. Comme tous les jeunes de son temps, Boumediene était nationaliste. C'était aussi un calculateur froid pour qui seul comptait le résultat, n'hésitant pas à reculer devant des solutions extrêmes telles que l'élimination physique des opposants.
Les points faibles sont nombreux : l'instauration du parti unique, la négligence de l'agriculture, l'abus avec les actions sociales qui tuent la production, la créativité, avec un monopole de l'Etat et la disparition totale du secteur privé, l'arabisation de l'Etat et l'adoption des idées nationalistes de Nasser, et l'ignorance d'une culture, tradition de son propre Etat, un Etat arabo-berbère.
Rendons justice : Boumediene avait institué le Service national, creuset du brassage de l'identité unique en son genre et qui permettait d'atténuer ce déséquilibre régional dont il tenait tant à atténuer les disparités criardes : « Nous devons créer, dit-il, un Etat qui ne disparaîtra pas avec le départ des hommes qui le gouvernent. » Les cigares cubains et le burnous en poils de chameau, c'est le seul luxe qu'il se soit permis. Il était animé par une profonde conviction, l'argent de l'État appartenait à la nation et ne devait pas être dilapidé... A sa mort, ses détracteurs ont découvert, avec étonnement, qu'il ne détenait aucun patrimoine immobilier, aucune fortune personnelle et que son compte courant postal était approvisionné à hauteur, seulement de 6000 dinars...
L'Algérie en 1965
Dans une contribution en 2008, j'avais imaginé un dialogue imaginaire et j'avais rapporté quelques confidences d'outre-tombe de Boumediene sur l'anomie actuelle du pays dans un environnement de plus en plus chaotique marqué par l'errance des pays arabes :
« L'Algérie est en ruine morale et est encore plus divisée que jamais. Le plus grave est qu'elle a perdu son âme, en perdant son identité. Mettez-vous dans la peau du nationaliste que j'étais et jugez-en plutôt : l'Algérie était à la fois menacée de l'intérieur par la division clanique et de l'extérieur par des pays, notamment par les appétits de nos voisins qui n'ont jamais accepté que l'Algérie soit aussi grande. (...)Pour faire court, j'avais le choix entre continuer à être « une colonie à distance de la France » sous une autre forme et être inféodée à l'Egypte, soit repartir à zéro et reconstruire les relations d'abord en mettant de l'ordre à l'intérieur, et il faut bien savoir que l'on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs. J'ai opté pour le développement à marche forcée, j'avais pour cela une équipe qui y croyait autant que moi ».(1)
« (...) Laissez-moi vous, continue Boumediene, rappeler et rappeler aux jeunes ce qu'était le pays, ce qu'était l'Algérie en 1965. Après la période euphorique de l'Indépendance, où le pouvoir se croyait tout permis en usant et en abusant de la démagogie le pays était plus exsangue que jamais. Que faire ? Pas d'argent ! Pas de cadres ! Pas de système éducatif ! Un pays profondément meurtri et déstructuré ! Un environnement international sans pitié. Il est vrai que l'aura de la Révolution faisait que l'Algérie avait suscité un respect et une admiration réels. Je vous rappelle que l'embryon d'industrie algérienne était tourné, avant l'Indépendance, vers la Métropole, l'Algérie c'était surtout le vin et dans les dernières années de la colonisation, le pétrole. La révolution industrielle, ce que l'on appelait les « industries industrialisantes », a permis la création de dizaines d'entreprises nationales, de dizaines de milliers d'emplois. On me dit qu'elles ont disparu ! Disparue la Sonitex avec le plus grand complexe d'Afrique qu'était Draâ Ben Khedda, disparue la Snvi qui fabriquait les cars-camions, disparue la Sonacome ! Vendu El Hadjar ! Dans quel monde vivons-nous où nous sacrifions nos défenses immunitaires pour l'inconnu et le bazar où l'affairisme le dispute au népotisme ! Nous ne savons plus rien faire par nous-mêmes. Nous payons avec les dernières gouttes de pétrole. Nous avons, en fait, basculé vers la métropole moyen-orientale dans ce qu'elle a de moins glorieux, le farniente, la fatalité et en définitive l'installation dans les temps morts par rapport aux changements spectaculaires que je constate dans les pays développés. (1)
« A l'indépendance poursuit Boumediene dans ce dialogue imaginaire, l'Algérie avait besoin de retrouver son identité, je ne pouvais pas endiguer un torrent qui a accumulé 132 ans de déni identitaire, il fallait « accompagner » le fleuve et, graduellement, le canaliser. Il est vrai que nos frères arabes ne nous ont pas envoyé des enseignants de qualité. 26 nations « formataient » l'imaginaire de nos enfants avec tous les dégâts collatéraux que nous (vous) subissons. La massification de l'enseignement était une étape incontournable. Il est vrai que certains de mes ministres n'ont pas su résister à la thèse de l'arabisation bâclée qui a démonétisé la langue. Il faut savoir que de 1965 à 1978, l'Algérie a eu en tout et pour tout près de 22 milliards de dollars de rente pétrolière et nous étions dépendants du pétrole pour une très faible part. Le tissu pétrochimique actuel date de cette époque ! Nous sommes bien contents d'avoir une capacité de raffinage de 22 millions de tonnes, la première d'Afrique ! Nous sommes bien contents d'avoir encore quelques complexes pétrochimiques miraculeusement épargnés malgré la furie du mimétisme de la mondialisation. Quand on voit ce qui a été fait du pays après mon départ, ne valait-il pas mieux continuer le développement à marche forcée plutôt que de manger la rente d'abord avec le PAP (Programme anti-pénurie) où on donnait l'illusion que l'Algérie était définitivement sortie de l'ornière du sous-développement. A mon tour de m'interroger : qu'avons-nous fait depuis ? (1)
« Kararna ta´emime el mahroukate » (Nous avons décidé la nationalisation des hydrocarbures) ! Par cette phrase, Boumediene annonçait à la face du monde que l´Algérie tenait en main son destin énergétique. En fait, écrit Luiz Martinez, ces critiques avaient peu de poids au regard de la dynamique du régime de Boumediene. Le succès de la nationalisation du secteur des hydrocarbures en 1970-1971 octroyait au régime les moyens financiers d'asseoir sa politique de développement. Ainsi, tout au long de la décennie 1970, le taux de croissance avoisinait les 7% et le taux d'investissement brut dépassait les 35% ! Cette croissance exceptionnelle faisait apparaître l'Algérie comme un « dragon » en Méditerranée...Dans la mémoire collective, cette décennie fait figure d'un âge d'or, d'une période où le devenir de l'Algérie était celui de l'émergence d'une puissance régionale, fondée sur un État fort et respecté, et d'une économie prospère tirée par le succès des « industries industrialisantes ». (2)
Le visionnaire et les mutations du monde
Il est incontestable que vers la fin de son règne, Boumediene avait été gagné au goût de l´action diplomatique. Il voulait donner à l´Algérie une place qu´elle n´avait jamais occupée auparavant sur la scène internationale. Le Sommet des Non-Alignés de 1973 a constitué une étape fondamentale qui a servi de tremplin. L´apothéose de ce redéploiement diplomatique fut, incontestablement, la participation de Boumediene, en avril 1974, à la session spéciale de l'Assemblée générale de l´ONU où il a prononcé un discours mémorable sur le Nouvel ordre économique international. Dans son fameux discours, il avertissait.
Quelle plus belle phrase prophétique qui s'accorde parfaitement avec la situation des damnés de la Terre poussés à « s'évader » de chez eux fuyant la misère, le manque de perspectives. On a tout dit de Boumediene, qu'il fut un sanguinaire qui s'est débarrassé de tous ceux qui lui barraient la route pour prendre le pouvoir. Qu'il était planqué dans l'armée des frontières et qu'à l'ombre de son pouvoir, la corruption s'est développée et est devenue une science exacte.
Voilà trente-trois ans que Houari Boumediene est mort, un âge de raison qui n'a pas pour autant éteint la vindicte à son encontre et dans le même temps la fascination qu'il exerçait sur ceux qui ont travaillé avec lui. En fait, une analyse objective de son parcours ambivalent nous fait découvrir plusieurs personnages complexes. Comme tous les jeunes de son temps, Boumediene était nationaliste. C'était aussi un calculateur froid pour qui seul comptait le résultat, n'hésitant pas à reculer devant des solutions extrêmes telles que l'élimination physique des opposants.
Les points faibles sont nombreux : l'instauration du parti unique, la négligence de l'agriculture, l'abus avec les actions sociales qui tuent la production, la créativité, avec un monopole de l'Etat et la disparition totale du secteur privé, l'arabisation de l'Etat et l'adoption des idées nationalistes de Nasser, et l'ignorance d'une culture, tradition de son propre Etat, un Etat arabo-berbère.
Rendons justice : Boumediene avait institué le Service national, creuset du brassage de l'identité unique en son genre et qui permettait d'atténuer ce déséquilibre régional dont il tenait tant à atténuer les disparités criardes : « Nous devons créer, dit-il, un Etat qui ne disparaîtra pas avec le départ des hommes qui le gouvernent. » Les cigares cubains et le burnous en poils de chameau, c'est le seul luxe qu'il se soit permis. Il était animé par une profonde conviction, l'argent de l'État appartenait à la nation et ne devait pas être dilapidé... A sa mort, ses détracteurs ont découvert, avec étonnement, qu'il ne détenait aucun patrimoine immobilier, aucune fortune personnelle et que son compte courant postal était approvisionné à hauteur, seulement de 6000 dinars...
L'Algérie en 1965
Dans une contribution en 2008, j'avais imaginé un dialogue imaginaire et j'avais rapporté quelques confidences d'outre-tombe de Boumediene sur l'anomie actuelle du pays dans un environnement de plus en plus chaotique marqué par l'errance des pays arabes :
« L'Algérie est en ruine morale et est encore plus divisée que jamais. Le plus grave est qu'elle a perdu son âme, en perdant son identité. Mettez-vous dans la peau du nationaliste que j'étais et jugez-en plutôt : l'Algérie était à la fois menacée de l'intérieur par la division clanique et de l'extérieur par des pays, notamment par les appétits de nos voisins qui n'ont jamais accepté que l'Algérie soit aussi grande. (...)Pour faire court, j'avais le choix entre continuer à être « une colonie à distance de la France » sous une autre forme et être inféodée à l'Egypte, soit repartir à zéro et reconstruire les relations d'abord en mettant de l'ordre à l'intérieur, et il faut bien savoir que l'on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs. J'ai opté pour le développement à marche forcée, j'avais pour cela une équipe qui y croyait autant que moi ».(1)
« (...) Laissez-moi vous, continue Boumediene, rappeler et rappeler aux jeunes ce qu'était le pays, ce qu'était l'Algérie en 1965. Après la période euphorique de l'Indépendance, où le pouvoir se croyait tout permis en usant et en abusant de la démagogie le pays était plus exsangue que jamais. Que faire ? Pas d'argent ! Pas de cadres ! Pas de système éducatif ! Un pays profondément meurtri et déstructuré ! Un environnement international sans pitié. Il est vrai que l'aura de la Révolution faisait que l'Algérie avait suscité un respect et une admiration réels. Je vous rappelle que l'embryon d'industrie algérienne était tourné, avant l'Indépendance, vers la Métropole, l'Algérie c'était surtout le vin et dans les dernières années de la colonisation, le pétrole. La révolution industrielle, ce que l'on appelait les « industries industrialisantes », a permis la création de dizaines d'entreprises nationales, de dizaines de milliers d'emplois. On me dit qu'elles ont disparu ! Disparue la Sonitex avec le plus grand complexe d'Afrique qu'était Draâ Ben Khedda, disparue la Snvi qui fabriquait les cars-camions, disparue la Sonacome ! Vendu El Hadjar ! Dans quel monde vivons-nous où nous sacrifions nos défenses immunitaires pour l'inconnu et le bazar où l'affairisme le dispute au népotisme ! Nous ne savons plus rien faire par nous-mêmes. Nous payons avec les dernières gouttes de pétrole. Nous avons, en fait, basculé vers la métropole moyen-orientale dans ce qu'elle a de moins glorieux, le farniente, la fatalité et en définitive l'installation dans les temps morts par rapport aux changements spectaculaires que je constate dans les pays développés. (1)
« A l'indépendance poursuit Boumediene dans ce dialogue imaginaire, l'Algérie avait besoin de retrouver son identité, je ne pouvais pas endiguer un torrent qui a accumulé 132 ans de déni identitaire, il fallait « accompagner » le fleuve et, graduellement, le canaliser. Il est vrai que nos frères arabes ne nous ont pas envoyé des enseignants de qualité. 26 nations « formataient » l'imaginaire de nos enfants avec tous les dégâts collatéraux que nous (vous) subissons. La massification de l'enseignement était une étape incontournable. Il est vrai que certains de mes ministres n'ont pas su résister à la thèse de l'arabisation bâclée qui a démonétisé la langue. Il faut savoir que de 1965 à 1978, l'Algérie a eu en tout et pour tout près de 22 milliards de dollars de rente pétrolière et nous étions dépendants du pétrole pour une très faible part. Le tissu pétrochimique actuel date de cette époque ! Nous sommes bien contents d'avoir une capacité de raffinage de 22 millions de tonnes, la première d'Afrique ! Nous sommes bien contents d'avoir encore quelques complexes pétrochimiques miraculeusement épargnés malgré la furie du mimétisme de la mondialisation. Quand on voit ce qui a été fait du pays après mon départ, ne valait-il pas mieux continuer le développement à marche forcée plutôt que de manger la rente d'abord avec le PAP (Programme anti-pénurie) où on donnait l'illusion que l'Algérie était définitivement sortie de l'ornière du sous-développement. A mon tour de m'interroger : qu'avons-nous fait depuis ? (1)
« Kararna ta´emime el mahroukate » (Nous avons décidé la nationalisation des hydrocarbures) ! Par cette phrase, Boumediene annonçait à la face du monde que l´Algérie tenait en main son destin énergétique. En fait, écrit Luiz Martinez, ces critiques avaient peu de poids au regard de la dynamique du régime de Boumediene. Le succès de la nationalisation du secteur des hydrocarbures en 1970-1971 octroyait au régime les moyens financiers d'asseoir sa politique de développement. Ainsi, tout au long de la décennie 1970, le taux de croissance avoisinait les 7% et le taux d'investissement brut dépassait les 35% ! Cette croissance exceptionnelle faisait apparaître l'Algérie comme un « dragon » en Méditerranée...Dans la mémoire collective, cette décennie fait figure d'un âge d'or, d'une période où le devenir de l'Algérie était celui de l'émergence d'une puissance régionale, fondée sur un État fort et respecté, et d'une économie prospère tirée par le succès des « industries industrialisantes ». (2)
Le visionnaire et les mutations du monde
Il est incontestable que vers la fin de son règne, Boumediene avait été gagné au goût de l´action diplomatique. Il voulait donner à l´Algérie une place qu´elle n´avait jamais occupée auparavant sur la scène internationale. Le Sommet des Non-Alignés de 1973 a constitué une étape fondamentale qui a servi de tremplin. L´apothéose de ce redéploiement diplomatique fut, incontestablement, la participation de Boumediene, en avril 1974, à la session spéciale de l'Assemblée générale de l´ONU où il a prononcé un discours mémorable sur le Nouvel ordre économique international. Dans son fameux discours, il avertissait.
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