Algérie XXIème siècle : «Travailler? Pour quoi faire?»

Donc, selon l'avis général, un Algérien gagne plus quand il travaille dans le «public» et gagne moins en travaillant chez le privé. Mieux ou pire, il gagne mieux en ne travaillant chez personne : chez lui, en prenant un morceau de trottoir, un bâton ou un mur. Comme dit il y a des semaines, les jeunes Algériens rêvent tous de devenir agents de sécurité ou loueurs de voitures. La raison ? Ce sont les meilleurs métiers assis. Faire et vivre comme le pétrole : couler lentement, valoir beaucoup. Jouir comme un ancien combattant 54 : libérer un morceau de terre puis le louer. La fortune est dans la rente ou le gisement, pas dans le muscle ou la tête.
L'état actuel de l'offre de main-d'œuvre algérienne fait que tous les patrons vous racontent le même drame : ouvriers importés du Maroc, sous-traitance avec les Chinois, etc. Les Algériens aujourd'hui refusent même de récolter la pomme de terre ou les olives dans les champs. Revendre des pétards rapporte plus. «Et c'est humain !», nous dit un patron. «Ce qu'il faut, c'est culpabiliser les gens qui ne veulent pas travailler au lieu de laisser s'enfler la fausse explication du «il n'y a pas de travail», et pas le contraire», affirme un patron. Le chômage n'existe pas en Algérie ? Si. Le travail aussi. Les deux n'arrivent pas à se rencontrer et à avoir beaucoup d'enfants. Parfois le chômage paye plus, l'Etat donne mieux et le Pouvoir est composé de beaucoup de gens sans compétences que le peuple voit comme des modèles qui ont marché sur la lune.
Equation sans solution quand le régime déteste officiellement le «privé» dès qu'il ne s'agit pas de ses enfants ou de ses prête-noms. Car dans ce cas, l'université et le centre de formation professionnelle vont continuer à former pour faire plaisir aux statistiques du régime qui n'en a pas besoin et pas aux entreprises qui cherchent de la main-d'œuvre. La solution de la solution ? «Le partenariat avec l'Europe d'en face : en Espagne, les gens savent faire mais ne trouvent pas où. Chez nous, on ne sait pas faire, mais on cherche ceux qui savent. Autant encourager une importation de main-d'oeuvre spécialisée avec la contrainte de la formation sans les clauses de contrat».
En attendant ? Daho Ould Kablia l'avait dit : son bureau déborde de demandes d'agrément de partis politiques et presque pas de demandes d'agrément d'associations civiles, d'aide, de soutien. On paye mieux à l'APN que chez Dieu ou chez les pauvres. Et les privés. Du coup, il est difficile de trouver un maçon qui ne soit pas chinois ou marocain mais pour les listes des candidatures aux élections, les Algériens peuvent en arriver aux couteaux. Importés d'ailleurs. Le travailleur déteste travailler. La raison ? Tout le monde veut être comme le régime, faire partie du régime, s'allier au régime : le régime est payé par le pétrole et pas par ses efforts et encore moins par sa compétence, selon les conclusions du peuple. Pourquoi travailler donc puisque la France est partie et que le pétrole a été découvert ? Dans dix ans on sera 40 millions de députés peut-être. Un million de ministres, trois cent mille conseillers à la Présidence propriétaire de deux cents entreprises et il y aura six présidents de la République dont deux frères, un cousin, un militaire, un religieux, un ancien combattant et un Nord-Malien et une femme et demie. Cela fait sept et demi ? Le pétrole payera.
par Kamel Daoud
Le Quotidien d'Oran
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